Infidèles ?

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Alors, comme elle sortait de chez son amant, dans la lumière éblouissante de cette franche après-midi d'avril, posant son pas sur le trottoir en refermant la porte, elle se demanda si c'était bien vrai qu'elle était infidèle.

Infidèle. Qu'est-ce que cela voulait dire au juste ? Était-ce pour signifier qu'elle avait peur ? Qu'elle était coupable ? Qu'elle avait commis une faute ? Ou n'était-ce pas plutôt pour la faire se sentir craintive, honteuse et pécheresse ?

Comme elle avançait sous le ciel infini dans la rue grande ouverte, elle dressa le buste, cambra la taille, allongea sa marche, dissimulant ainsi son trouble, comme une femme forte, sûre, innocente, s'efforçant de paraître revenir du bureau à pied ainsi qu'elle faisait souvent par beau temps, de façon que quiconque la trouverait sur ce chemin ne pût s'imaginer qu'elle venait de passer trois heures avec un autre homme que son mari.

Et elle ne put s'empêcher de penser que cette pose, que cette feinte, indiquait en effet qu'elle se méfiait, qu'elle simulait, qu'elle avait à craindre. Infidèle était le mot qui s'appliquait à une femme dans son état d'esprit, cependant c'était le mot lui-même, avec toutes ses acceptions terribles, qui provoquait cette angoisse.

Elle avait déjà vérifié l'état de sa robe qu'il n'avait pas chiffonnée ; il ne portait pas non plus de parfum dont la trace sur elle pût le trahir ; l'odeur de l'appartement disparaîtrait, couverte par celle de la rue ainsi que par la légère sueur de son corps en mouvement, de sorte qu'elle savait que plus le temps passait, que plus elle s'éloignait, plus les indices s'estomperaient, et qu'il ne resterait bientôt rien de son trouble, et même plus rien de l'humeur d'un homme sur ses joues et en son corps ; tout cela, comme des effluves d'une autre vie, passerait, insensible à tout autre, demeurant au lointain de sa conscience, comme des images issues d'une fiction.

Autour d'elle, les façades la voyaient en spectateurs de pierre au rythme de son passage, tant de bâtiments familiers, maintes fois vus, négligés et normaux, ne sachant rien, recelant des existences derrière les vitres. Elle tâchait de ne pas se dire, car c'était absurde et symbolique, invraisemblable et puéril, que ces entités savaient, que les fenêtres ouvraient des accusations muettes et la confondaient. Elle ne voulait pas s'abandonner à la pensée affolante de l'inéluctable, à l'idée que son existence était déjà condamnée après une erreur qu'elle ignorait, que l'avenir sinistre n'avait plus qu'à se dérouler, radical sous le poids bouleversant de l'adultère. Elle aurait pu ainsi prospecter dans l'avenir les signes de sa déchéance en déroulement, et déjà penser avec regret à l'heureux temps d'il y avait trois heures, quand elle avait une famille tranquille et que personne ne savait qu'elle avait un amant.

Mais il était presque impossible qu'on sût – elle avait toujours préparé une excuse si Henri la cherchait au travail –, et elle devait plutôt se mettre à la place de l'innocence avec laquelle une femme calomniée se voyait ; elle devait se fondre dans l'innocence, incarner la probité et, si elle était accusée, représenter l'indignation candide. Rien que le rôle pleinement assumé lui donnerait la force peut-être de pleurer d'injustice, s'il fallait.

Oui, mais la question demeurait : n'était-elle pas infidèle ? Si elle avait à craindre, c'est qu'elle avait une faute à réparer, non ? Quand on n'a rien fait de répréhensible, on n'a rien à cacher.

Elle aperçut le clocher de l'église par-dessus les toits, trois cent mètres en avant. Était-ce un blasphème d'aller dans cette direction après ce qu'elle avait fait ?

Le mariage. Elle n'avait pas tenu parole, c'était vrai. Oh ! tout ce qu'on dit, ce qu'on promet, quand on est jeune, devant une foule, à celui qu'on aime et qu'on suppose le seul à venir, le dernier ; tout ce spectacle qu'on crée. Et ce qui change ensuite, la réalité normale, les compromissions forcées, les désillusions logiques, les rétractations rationnelles. On se figure au commencement que le présent sera infini, une éternité à aimer toujours de la même manière, l'illusion tant entretenue par la société que le véritable amour reste inaltéré. Henri n'était pas un mauvais mari, non, pourtant elle le jugeait différemment à présent ; il travaillait beaucoup, elle le voyait peu – il était toujours enfermé dans son bureau. Assez froid, sans engouement, sans passion, tandis qu'elle avait gagné, elle, en spontanéité, en fraîcheur, en curiosité neuve. Elle n'avait rien à lui reprocher, seulement le temps les avait rendus distincts, c'était évident, ce n'était pas grave. Elle songea que le serment qu'elle avait fait il y avait treize ans dans cette robe de cérémonie blanche, elle ne l'avait pas adressé au Henri d'aujourd'hui, et que, d'ailleurs, la femme qu'elle était n'existait plus, que ce n'était pas elle qui, ce jour ancien, avec cet esprit révolu, avait parlé devant tant de témoins.

Petits récits du revers des chosesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant