Épilogue

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Trois ans.

Aujourd'hui, cela faisait trois ans, jour pour jour, qu'Aquila était tombé. Un dictateur tombé de son trône, un oiseau tombé de son perchoir, quelle était donc la différence ?

Nous avions réussi notre objectif alors que nous n'étions que cinq. Nous avions décidé de placer notre foi en l'être humain, si bien que si nous avions eu tort, notre entreprise n'aurait eu que pour conséquence de faire sombrer définitivement les terres d'Eques dans le chaos. Mais nous avions eu raison de faire confiance aux êtres humains : dès les minutes, les heures et les jours qui ont suivi, d'anciens gardes du palais, des membres de groupes rebelles et d'autres citoyens nous avaient rejoints dans le palais afin de commencer à bâtir dès à présent une nouvelle société, de nouvelles règles et une nouvelle organisation. Officiellement, la guerre était finie depuis vingt-six ans, presque vingt-sept, mais l'effervescence qui remuait le pays était exactement la même que celle qui avait duré les quelques années qui en avaient suivi la fin.

Mais à force de patience, d'entraide, nous avions fini par mettre par écrit des objectifs, des lois primaires sur le comportement des individus. Cela faisait trois ans qu'il n'y avait plus aucune figure d'autorité désignée, mais des groupes de personnes créés pour chaque quartier, chaque ville, chaque région. Des groupes de personnes où tout le monde était sur un pied d'égalité et avait droit à la parole : tous ces groupes étaient reliés mais personne n'était porteur d'une plus grande responsabilité que les autres. Pouvait-on appeler cela un fonctionnement en anarchie ? Je n'en étais pas tout à fait sûre, puisque certains courant anarchistes décrivaient cela comme un fonctionnement basé sur l'individuel, alors que nous, nous essayions de faire fonctionner les choses avec l'aide de volontaires. Il y avait autant de place pour le collectif que pour l'individu – du moins de ce que je pouvais observer au quotidien.

Bien des choses avaient changé en trois ans, et bien des choses changeraient dans les années à venir : un monde est vivant, un monde est en perpétuel changement, un monde ne stagne jamais, que ce soit dans le bonheur ou l'horreur.

Assise sur le bord d'une fenêtre d'immeuble dont le pourtour de plâtre avait été fait à la va-vite, je laissai mes jambes pendre dans le vide et fermai les yeux pour tenter de ressentir le poids du débardeur légèrement trop long que j'avais enfilé ce matin sur mes épaules et le long de mon dos. Comme lors du premier anniversaire de cet évènement si particulier – et du deuxième –, je me remémorai toute mon histoire, et les évènements qui s'étaient déroulés en cascade à partir du moment où j'avais quitté le petit village dans lequel j'avais grandi pour rejoindre Gladius sans trop savoir ce que j'allais y faire.

Lou, Élios, Cassiopée, la Colombe et moi n'étions que cinq idéalistes prêts aux pires folies, même si nous ne nous en étions pas encore rendus compte au moment de nous introduire dans le palais d'Aquila. Nous étions complètement inconscients, à bien y repenser, notre entreprise avait été carrément suicidaire. Je ne comprenais, aujourd'hui encore, en y repensant, comment cela avait pu marcher. Aquila avait eu raison : nous étions bien arrogants. Mais cela avait payé.

Aquila avait certes complètement disparu, et il n'y avait plus trace de son corps ou de ses photos nulle part – de nombreuses habitations s'étaient retrouvés avec des cadres vides accrochés sur leurs murs –, mais il n'avait pas été effacé des mémoires. Il se présentait maintenant sous un jour nouveau dans l'esprit des gens. Tel qu'il était vraiment.

Aries, Élios et moi n'avions pas disparu à notre tour pour retrouver notre place dans l'univers, contrairement à ce que nous avions cru comprendre de la légende : mais une légende ne s'est jamais targuée d'être une représentation fidèle de la réalité, après tout, si ? Non, nous n'avions pas disparu, mais nous brillions désormais dans le noir, comme le font les étoiles dans le ciel quand celle de notre système planétaire disparaît de notre vue pour éclairer l'autre côté de la Terre. Nous brillions, comme si, en usant de la puissance des éclats d'étoiles qui se trouvaient en nous, nous avions révélé notre véritable visage. C'était peut-être le cas, après tout.

Après avoir pulvérisé Aquila et ouvert les yeux à des milliers de personnes, des révoltes générales avaient inévitablement suivi : un bon nombre de soldats avaient été blessés, certains tués, mais les gens avaient bien compris qu'ils étaient en train de reproduire le même schéma que ce qui les avaient menés au totalitarisme. Certes, la colère l'emporte souvent sur la raison, mais la raison l'emporte davantage sur la peur de reproduire des situations qui nous ont fait souffrir. Les gardes et collaborateurs qui avaient survécu avaient, pour la plupart, été jugés, certains libérés, certains emprisonnés, contraints à effectuer des tâches ingrates – mais jamais humiliantes et dangereuses, un bon nombre de personnes s'en était assuré.

Dans cet optique, la Colombe, même si elle avait changé de bord, avait été jugée – et à raison, selon moi – et, grâce à nos témoignages, n'avait écopé que d'un an de prison : elle était malgré tout responsable en partie du massacre d'un groupe entiers de personnes, et il fallait qu'elle purge une peine pour cela. Elle aurait pu prendre plus, si elle n'avait pas joué de rôle déterminant dans la chute d'Aquila. Son cas avait été une affaire qui avait longtemps divisé les gens, mais aujourd'hui, toute la bonne volonté dont elle faisait preuve pour s'intégrer et aider sur les chantiers, la construction de fosses d'enterrements d'armes à feu et autres tâches manuelles – elle n'était pas encore vraiment la bienvenue pour prendre des décisions politiques – avait apaisé les esprits.

Elle ne chômait donc pas une seule seconde, car les chantiers étaient nombreux : des bâtiments avaient été détruits, d'autres reconstruits, beaucoup étaient en rénovation, et les gens s'organisaient à tour de rôle pour donner des coups de main et effectuer des travaux. De cette manière, j'avais compris une chose : si les rêveurs, rêveuses et les artistes occupaient une place essentielle dans la construction d'un nouveau monde pour en dessiner les contours, ces nouveaux mondes resteraient des rêves s'il n'y avait pas des mains pour en dessiner des plans concrets et des mains pour en façonner les murs. Tout le monde pouvait avoir – et avait – un rôle à jouer dans la création de lendemains meilleurs.

Parce que oui, après la chute d'Aquila, il y avait eu, dans un premier temps, de la famine et de la panique, mais à force de temps et d'entraide, cela avait fini par se calmer : aujourd'hui, le monde était en reconstruction, et même s'il y avait des hauts, des bas, et qu'il restait beaucoup de problèmes à régler, j'avais foi, terriblement foi en l'avenir, et étais sûre que ce monde idéal, que je m'étais plu tant de fois à imaginer, verrait le jour bientôt, très bientôt.

Les yeux accrochés au ciel, je réalisai que chaque personne était une étoile, et que notre course n'était régie par aucune loi : l'humain était un être libre de nature. C'était notre droit le plus fondamental, et maintenant que les terres d'Eques s'éveillaient de la torpeur dans laquelle elles avaient été plongées pendant tant de temps, nous le devenions enfin, petit à petit. Je ne connaissais pas le nom de toutes les personnes qui s'étaient battues pour leurs droits dans l'Ancien Monde puisque c'était l'une des choses qui avait été détruite en priorité par le régime d'Aquila, mais maintenant, j'avais la certitude que mon nom se trouvait aux côtés de ceux de mes amis et de nombreux autres dans notre monde actuel, et que je vouerais ma vie à ça.

À me battre pour un monde plus juste.

À me battre pour un monde meilleur.

La course des étoiles ne s'arrêterait jamais.

La course des étoilesWhere stories live. Discover now