09 | Bienvenue dans la Guilde des Bannis - première partie

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Alors que je me dégageais de l'étreinte que j'avais initiée, j'offris un sourire maladroit à mes trois nouveaux alliés de lutte. Mes épaules me tiraillaient encore un peu, mais je n'y prêtais pas attention : je me sentais comme un bateau trouvant la lumière d'un port après des années de dérive dans l'obscurité. Et c'était sans nul doute le cas. Grandir seule avec des rêves que l'on enfouit et trouver ce pour quoi on s'était enfuie, du soutien, un groupe, des idéaux communs et des personnalités si différentes que l'on avait l'air, rien qu'à quatre dans cette pièce exiguë, d'un arc-en-ciel noir plus éclatant même que le prisme des couleurs, tout ça, c'était le plus beau des cadeaux. Je me redressai, nouvellement pleine de détermination, pleine d'une énergie débordante motivée par les attentes que je plaçais en cette Guilde de rebelles. Aries, Lou et Élios arboraient également une autre expression : le premier semblait désolé et heureux pour moi à la fois, lae deuxième avait l'air d'avoir envie d'apprendre à me connaître, et le troisième avait laissé tomber son masque de gars insensible pour m'adresser un air poli. Lou plaça une main veineuse sur mon épaule avant de me lancer d'une voix cassée « eh bien, viens avec nous, Cassiopée ! » avec un air plus qu'enjoué.

Je ne me fis certainement pas prier. Alors que nous nous dirigions tous les quatre vers la porte de la pièce, mes pensées dérivèrent vers tous les possibles que son ouverture me proposait. Il y en avait tant que ça me donnait le vertige, mais je continuai à placer un pied devant l'autre, à avancer, trop impatiente de tous les découvrir. J'avais envie d'y croire. Même si c'était naïf et peut-être complètement stupide, j'avais envie de croire qu'il était en notre pouvoir de changer ne serait-ce qu'un tout petit peu ce monde qui s'effondrait sur lui-même en nous emportant dans son courant – que dis-je, tourbillon – inarrêtable.

Alors, quand Élios me fit signe de tourner la poignée, je n'hésitai pas une seconde et poussai cette foutue cloison avec une appréhension doublée d'une impatience sans nulle autre pareille. Je ne savais pas ce que je trouverais dans ce bâtiment et le tournant qu'allait prendre ma nouvelle vie. J'étais même à des milliards de milliards de lieues d'oser l'imaginer. Mais pour le moment, tout ce que je souhaitais faire, c'était découvrir. Découvrir le bâtiment, de nouvelles têtes, me faire des amis, participer aux tâches commencées par la Guilde. Aider à résister, même si c'était quelque chose de dangereux. De toute manière, la découverte du fait qu'il était possible de changer le cours de nos vies me soufflait que je ne pouvais plus revenir en arrière. Pas maintenant qu'un torrent d'espoir me consumait de la tête aux pieds. Plus maintenant. Une petite voix me soufflait que j'avais enfin trouvé ma place dans ce monde qui ne voulait pas de moi. En avançant dans ce couloir poussiéreux, avec trois quasi-inconnus à mes côtés, je me disais qu'enfin, je pouvais commencer à vivre quand auparavant je me contentais simplement d'exister, comme un fantôme matériel. Oui, je pouvais enfin commencer à vivre.

Je franchis l'ouverture et m'engageai dans le couloir en retenant mal la fébrilité qui courait le long de mes membres. Une minuscule touche d'appréhension vint teinter les scénarios qui fleurissaient dans ma tête, et celle-ci s'étendit, s'étendit, s'étendit toujours plus, toujours plus loin, s'étendit tant et si bien qu'elle finit par colorer de son noir grisâtre mon sourire. J'esquissai une étrange grimace en tâchant de ne pas manifester mon stress, puis serrai les poings pour ne pas trembler. Et puisque l'Histoire n'était désormais plus à réécrire mais simplement à écrire, j'étais comme une page blanche au-dessus de laquelle on tient un stylo-plume sans savoir par quel mot, expression ou tournure de phrase débuter le récit. J'étais une nouvelle Cassiopée : j'avais la sensation de me réveiller enfin après des années d'errance, et je brillais d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres. J'étais un paradoxe, et je ne m'étais jamais sentie autant en phase avec moi-même qu'à ce moment-là. Je n'avais que mes habits sur le dos, de nouveaux alliés, et puis de l'espoir, de l'espoir à en crever.

Pour ne pas me confronter au fait de voir le début d'une renaissance, j'inspirai profondément et, suivant Lou, qui était en tête de file, dans les couloirs délabrés du grand quartier général, je me remémorais toutes les musiques du Monde d'Avant auxquelles j'avais pu avoir accès – pour la plupart des cassettes anciennes couvertes de poussière. Souvent des reliques familiales qui avaient été données à la bibliothèque de l'école de mon village, des objets qui suivaient les survivants des bunkers depuis plusieurs générations et dont ils ne savaient bien souvent que faire. Avec mes maigres compétences en mécanique, j'avais réussi à remettre en marche un walkman l'année passée, et j'avais écouté les mêmes sons en boucle sans parfois même en comprendre les paroles.

Après être sortie des bunkers et des villes sous-terraines construites dans des grottes, l'espèce humaine s'était rendu compte que tous les dispositifs qui constituaient ce qu'elle appelait « internet » avaient été détruits, que les satellites ne servaient plus à rien : la surface était devenue aride, et les seules traces de civilisations restantes étaient des rochers et des ruines poussiéreuses. Parfois, je me confortais dans l'idée que les humains de l'Ancien Monde étaient encore plus stupides que nous : ils disposaient d'études et de preuves qu'ils détraquaient le climat au nom de la croissance économique – vraiment, faire fonctionner des populations en se basant sur un concept inventé de toutes pièces, l'argent ? on peut difficilement faire plus ridicule et cupide –, avaient plus contribué au réchauffement climatique en cent ans qu'en cent-mille ans avant eux, mais continuaient tout de même à fonctionner sans se remettre en question. En supprimant peu à peu les droits humains les plus fondamentaux des constitutions et en se faisant la guerre pour assouvir leur besoin de contrôle, par ailleurs.

Quand j'étais enfant, à l'école, les professeurs ne faisaient que diaboliser le Monde d'Avant : les humains vivant à cette époque-là avaient commis bien plus qu'une erreur, à cause d'eux de nombreuses générations avaient grandi sous terre, et maintenant nous avions reconstruit des civilisations en mettant tout en œuvre pour que cette catastrophe ne se reproduise jamais. Oui, mais à quel prix ? C'était peut-être même encore pire aujourd'hui : Aquila régnait sur la moitié de la planète, et, mis à part une poignée de lâches fortunés, le reste de la populace se mourrait petit à petit, lentement, comme un organisme qui s'éteignait après avoir ingurgité un quelconque poison.

Alors me conforter dans l'idée que tous les êtres humains ici présents étaient bien meilleurs que ceux de l'avant-apocalypse, ce n'était qu'un leurre, je le savais très bien. La nature humaine était corrompue, égoïste et cupide.

La course des étoilesWhere stories live. Discover now