Chapitre 4 : Lucent

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— J'ai dix-neuf ans, entama-t-elle. Et je suis une formation préparatoire de Design de mode, pour intégrer une école de haute couture.

La jeune femme poursuivit en précisant qu'elle cherchait à travailler en parallèle des cours, afin d'économiser de quoi financer son inscription. Elle ne mentionna pas sa recherche de colocation, ni son appréhension de ne pas même parvenir à assumer le loyer.

— Je dessine énormément, continua-t-elle. Surtout au traditionnel pour le moment, parce que je ne maîtrise pas encore bien le digital. En ce qui concerne mon Arété...

Ses doigts lissèrent machinalement le bout d'une de ses tresses. D'un vert de jade à son arrivée, ses cheveux et ses iris passèrent au grenadine tandis qu'elle parlait.

— Ça, ç'en est une partie, mais c'est ce que je peux faire avec l'eau qui pourrait vous intéresser.

— Tu me feras une démonstration après, décréta Nori. Tu connais un peu le métier, déjà ? Tu penses pouvoir t'en sortir ?

Quand elle parlait, ses crochets s'apercevaient, blancs et luisants entre ses lèvres. Tout en elle captivait le regard. Le miroitement de ses écailles, le scintillement du piercing à son nez, le balancement des créoles à ses oreilles.

Son Arété ne faisait aucun doute. Elle devait posséder une affinité particulière avec le Boa, pour être parvenue à intégrer les attributs du reptile à son apparence.

Thélia inspira un peu plus fort, cherchant à rassembler toute l'assurance dont elle disposait.

— Sylvius m'en a parlé. Même si c'est à ma manière, je pense pouvoir faire... le nécessaire. La conversation, la vente, et surtout les divertissements.

— La seule bonne manière, c'est la tienne, approuva Nori.

Vinrent ensuite une série de scénarios qui firent office de simulations, la gérante désirant savoir quelles seraient les choix et les réflexes de Thélia face à des situations types. À l'issue de quoi arriva la partie de l'entretien que la jeune femme maîtrisait sans doute le mieux.

Devant le saladier emplit d'eau que Nori avait fait apporter, elle laissa son Essence circuler. Il n'y eut plus que le liquide, le flux d'énergie, et la confiance sereine, d'un bleu indigo, qui l'emplissait.

Une fois qu'elle eut écarté les mains du récipient, l'Aster releva les yeux vers sa vis-à-vis. Le regard de Nori ne cillait pas.

— Tu disais que tu es déjà inscrite dans une formation ? releva-t-elle.

Thélia s'efforça d'arrêter de la dévisager pour se concentrer sur les couleurs qui fleurissaient dans son esprit au son de sa voix.

— Oui, mais ça ne m'empêchera pas d'être disponible, s'empressa-t-elle de lui assurer.

La gérante du Lucent secoua la tête.

— Non, tu m'as mal comprise. Je te prends à l'essai, à condition que tu sèches pas les cours pour bosser ici. Flinguer ton assiduité parce que tu as besoin de fric, crois-moi, ça vaut pas le coup. Décroche ton diplôme, d'accord gamine ?

Terre-de-sienne.

C'était la couleur de sa voix.

Terre-de-sienne avec des reflets mordorés.

Elle plut à Thélia.

Les bavardages abrutissants et les rires criards diffusés par l'écran de télévision accueillirent la jeune femme lorsqu'elle rentra chez elle. Dans l'air stagnaient les effluves douceâtres d'alcool oxydé. La transition avec le raffinement du Lucent fut si nette que ses mèches virèrent au vert kaki du dégoût.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASWhere stories live. Discover now