Chapitre 9 : Soda

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VARMANTEUIL –



Le soleil désormais haut dans le ciel vespéral transformait graduellement les rues en fournaise. Revenue chez elle, Kaya eut à peine le temps de siroter un verre de limonade sortie du réfrigérateur avant qu'un coup de sonnette ne signale l'arrivée de sa propriétaire. La petite retraitée aux cheveux courts et aux yeux pétillants la salua avec affabilité. Sur le pallier, elle lui posa quelques questions cordiales sur ses plans concernant l'été, et demanda des nouvelles de son ancienne colocataire, en propriétaire qui s'intéressait de loin à la vie des occupants de ses biens. La jeune femme se sentit presque coupable de se tenir prête à saboter une nouvelle visite.

Joseline Vernier fit alors entrer la visiteuse. Avant-même que celle-ci ne franchisse le seuil, Kaya avait perçu son Essence. Il s'agissait de la première Aster dont Mme Vernier – probablement à son insu – acceptait le dossier. Après tout, elle n'avait pas la moindre idée que sa locataire en était une également.

Sourire plaqué sur son visage, Kaya accueillit sa consœur. Si celle-ci arborait le tatouage d'une Constellation, quelle qu'elle soit, alors elle n'aurait même pas besoin de la sonder. Il était hors de question qu'elle cohabite avec une Aster affiliée.

Elle sut au premier coup d'œil que la visiteuse n'avait aucun moyen de duper le monde quant à sa véritable nature. Sa longue chevelure ondulée présentait l'exact même cyan que ses iris. Plus petite qu'elle, peut-être à peine plus jeune, elle ressemblait à une de ces nymphes de l'antiquité, toute en rondeurs pulpeuses et beauté candide. Sa peau pâle apparaissait nacrée, et ses longs cils bleus voilaient son regard comme une brume de rosée.

Kaya chercha à discerner les probables lignes d'encre derrière son oreille, mais la cascade dense de ses mèches dissimulaient son cou. Elle apprécia toutefois que la visiteuse prenne l'initiative de se déchausser.

Mme Vernier paraissait ravie de sa candidature. Elle se trémoussait presque, impatiente de faire découvrir les lieux à la nouvelle venue.

— Mademoiselle Kerdaphy vient de signer un contrat au Lucent, glissa-t-elle à Kaya d'un air de commérage.

Pour la retraitée, toutes les femmes en dessous de trente ans étaient des « mademoiselle ». L'étudiante sourcilla. Le Lucent comptait parmi les établissements vedettes des Achernar, les plus grands rivaux des Régulus.

— Vraiment ? Kerdaphy..., répéta-t-elle en se tournant vers la concernée, espérant recueillir un prénom.

— Thélia, s'empressa de se présenter la visiteuse.

Elle bondit sur l'opportunité, et lui tendit la main.

— Kaya, se présenta-t-elle.

Les doigts de Thélia frôlèrent les siens, sa paume rencontra la sienne. Et les perceptions de Kaya se dédoublèrent. Branchée sur celles de la visiteuse, elle abordait désormais la scène sous le même angle qu'elle. Elle éprouva la moiteur de sa nuque sous l'épaisseur de ses cheveux, et l'épiderme encore chaud du trajet sous le soleil. Elle éprouva la fraîcheur et la finesse de sa propre main dans celle de Thélia.

Sa capacité à se glisser ainsi dans la peau d'autrui faisait d'elle une Esthésive : une Aster sensible au champ sensoriel et affectif de son entourage. Pour la jeune femme, cela nécessitait de passer par un contact physique, sans quoi elle n'avait accès qu'à une parcelle de celui qu'elle désirait sonder.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASWhere stories live. Discover now