Chapitre 2 : Le paria

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D'un voile silencieux, la nuit avait figé les marais. A cet instant, à mi chemin entre le clair de lune et l'aube, seuls quelques discrets ronflements s'élevaient dans le vaste dortoir de l'auberge. Deux yeux étaient fixés sur le plafond. Une goutte d'eau, pendue à une poutre, menaçait de déferler sur un dormeur. Kale l'avait désigné, depuis un certain temps déjà, comme principal objet de ses pensées. Cette perle translucide semblait devenue la quintessence même de ses réflexions. Il tentait de parier sur le moment de sa chute. Soudain, au beau milieu du silence, la goutte lâcha sa prise et s'écrasa sur le front d'un voyageur endormi.

Kale soupira. Son centre d'intérêt, en se volatilisant, l'avait condamné. En désespoir de cause, il reporta son attention sur le nombre de poutres au plafond, la quantité de couchages dans ce dortoir commun. Il se rattachait à cette tâche insipide pour ne pas se laisser étouffer par la chaleur amère et le soleil cruel de l'arène.

Kale se redressa soudain. Il avait le souffle rauque et les cheveux trempés. Le sommeil ne viendrait plus le chercher. Il avait raté son voyage pour cette nuit. Résigné, il abandonna ses draps humides et quitta la vaste pièce.

Maussade, il se tassa dans son sweat. Il était impatient que le soleil répande sa brume étincelante sur les marais, chassant la fraicheur des nuits de printemps. Il passa une main dans ses cheveux châtains dorés, poissés par l'humidité. Lentement, il frotta ses paumes contre son visage, tentant avec naïveté de faire disparaître ses derniers signes de fatigue. Il suivit le couloir sombre et déboucha sur la grande salle de l'auberge. La veille, elle avait été bondée de shapeshifters venus écouter un joueur d'instrument des temps anciens. Mais pour l'heure, Kale était seul dans cet immense hangar avec quelques vestiges des excès de la veille en guise de compagnons.

Le jeune homme s'assit à une table. Le soleil pointait timidement ses rayons à l'Est, perçant à travers les fenêtres troubles de la taverne. Désireux de rentabiliser son temps avant son départ, Kale dressa mentalement un inventaire. Mais ses pensées dévièrent bien vite. Pourquoi en avait-il encore rêvé ? L'arène continuait de le hanter, écourtant ses nuits et dessinant d'immenses cernes sous ses yeux verts.

Soudain, la porte de la cuisine claqua. L'aubergiste, l'air encore ensommeillé, sembla surpris de sa présence.

« Déjà d'bout ? » S'exclama-t-il.

Kale se leva et sourit. Il chassa les dernières bribes de ses tourments et s'approcha du comptoir.

« Je dois prendre la route pour le Sud, je préfère ne pas trainer. »

L'aubergiste haussa les épaules et Kale fouilla dans ses poches. Il devait payer sa nuit mais il avait échangé ses derniers objets de valeur la veille. Au fond de sa veste, il trouva une pépite de fer et une d'argent. Il fit la moue.

« Je n'ai pas grand chose. Vous ne proposez pas des nuits au service ? »

C'était courant dans la plupart des auberges. En échange de la nuitée, on pouvait demander à effectuer n'importe quel travail jugé utile par le maître des lieux. L'aubergiste le dévisagea un instant en fronçant les sourcils. Un sourire intéressé fit tressauter sa lèvre inférieure.

« Vous m'avez l'air d'être un solide gaillard... »

Kale baissa machinalement les yeux vers son buste. Il était en forme certes, mais commencer une phrase de cette façon n'était jamais bon signe. Il releva la tête vers l'aubergiste et l'incita à poursuivre.

« J'ai quelques stères de bois à déplacer, mais mon dos m'fait des misères. »

Kale retint un soupir et hocha la tête.

« Très bien, montrez-moi. »

Malheureusement pour Kale, l'aubergiste était un optimiste. Ces quelques stères de bois l'occupèrent une bonne heure et il ressortit de l'auberge, trempé et épuisé.

Legend of Shapeshifters (T1)Unde poveștirile trăiesc. Descoperă acum