CHAPITRE 10: Déchirure Couleur Vodka

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La chaleur de la vie revenait peu à peu ranimer le corps de Gabrielle. Elle tournait en rond dans sa chambre d'hôpital silencieuse pour se réhabituer à marcher, appuyée sur une tige porte-sérum qui empêchait ses jambes encore fragiles de la faire tomber.

Malgré la nette amélioration de son état de santé, quelque chose la préoccupait plus que tout. Sa main droite, toujours raide et plus froide, ne répondait toujours pas. Désespérée, la jeune fille avait tout essayé, la mordre, souffler ou frapper dessus, mais aucune information sensorielle ne lui parvenait. Les médecins lui avaient assuré avec certitude que ce n'était qu'une question de temps. Mais chaque heure qui passait semblait l'éloigner à tout jamais de Bébé. Cette effrayante chasse dans les rues de Saint-Expedit était peut-être la dernière fois que ses doigts auront pu épouser le guidon.

Tous ses souvenirs après son accident étaient liquides, instables et troubles, de temps en temps. Elle voyait le visage brumeux d'Alan flotter autour de son lit et une odeur de soufre qu'elle seule pouvait sentir se répandait dans la pièce une fois la nuit tombée. Fixer intensément la lune au nord-est à travers les persiennes de sa fenêtre était son unique échappatoire sensorielle contre toutes les hallucinations qui la matraquaient.

La Tetrodotoxine, le datura et toutes les cochonneries que les analystes du laboratoire n'avaient toujours pas identifiés avaient refroidi son corps comme un véritable cadavre et considérablement ralenti son pouls à un point où son cœur ne semblait plus battre. Ce n'était surement pas quelque chose dont on ressortait sans séquelles. Et si elle finissait par perdre la tête ? Comment se sentiront ses amis, sa famille quand ils verront son âme s'effondrer petit à petit ? Elle ne voulait pas devenir un légume sans vie, non pas maintenant.

Elle se rappelait de la douleur qu'elle avait ressentie peu après son réveil, quand ses alvéoles pulmonaires atrophiés par sa respiration insuffisante s'étaient gonflés d'oxygène. La même douleur qui faisait pleurer les bébés à leur naissance.

Dans un sens, elle était née une seconde fois. Dans une morgue...

Le ronflement particulier d'une Toyota Sprinter Trueno AE86 attira son attention. La petite voiture blanche et noire cherchait une place sur le toit du parking en face de sa fenêtre, de l'autre côté de l'allée où rentraient et sortaient médecins et familles de patients. Elle s'assit sur le lit et ralluma son téléphone chargé en attendant sa visiteuse qui était surement déjà sur la passerelle.

« Déclarée morte, elle revient à la vie 3 jours plus tard ». Décidément, la presse ne s'était pas fait attendre pour se jeter sur son histoire comme des charognards sur la carcasse d'une biche, encore vivante pour le coup. Ils avaient pris soin de garder son anonymat, mais elle ne se faisait pas d'illusions pour autant. Son nom avait surement déjà parcouru tout l'Instagram et le Twitter local, vu toutes les notifications de messages de soutien qui apparaissaient sur sa barre. L'intention était louable, mais à cause de toute cette attention soudaine et étouffante, même à travers son écran. Elle ne voulait même plus quitter sa chambre. S'attendant à voir pleins d'yeux rivés sur elle, son pire cauchemar.

Toc-toc-toc.

Gabrielle détacha son chignon et secoua ses cheveux mêlés pour ornementer un peu son visage blafard.

La porte s'ouvrit et une jeune Japonaise coiffée d'un énième chapeau de paille entra dans la pièce. Elle devait en avoir des dizaines.

— Comment va mon carri Camaron préféré ?

— Wesh Docteur Octopus ! Salua amicalement le garçon derrière elle, Julien-Esaïe, le grand frère de Mariko et accessoirement le pilote de la Toyota.

— Comme vous le voyez, toujours tentaculée avec pleins de perfusion, j'ai plutôt l'impression d'être Steve Rogers quand il devient un super soldat.

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