CHAPITRE 5: Chaleur poisseuse

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Édouard déboutonna un cran de sa chemise à fleurs décolorée. La climatisation avait lâché et il ne pouvait que subir en silence l'étouffante chaleur poisseuse alors que l'heure du déjeuner approchait. Tout le commissariat de Malartic s'en plaignait, mais la direction n'en avait rien à faire évidemment ! Se disaient la plupart des agents, car la panne ne concernait pas leurs bureaux privés, situés au dernier étage.

Rakoto épluchait tous les vieux dossiers d'assassinats, qui pouvaient être liés de près ou de loin à celui de Sarah, aussi loin que les archives le permettaient, le 8 janvier 1973.

Ses maigres souvenirs d'elle l'obsédaient. Depuis plus d'un mois, il ne parlait plus, ni même ne saluait en arrivant. Il s'enfermait directement dans son bureau pour éviter tout le monde. Stores fermés et regard vidé de toute vie sur l'écran infâme de son ordinateur pour examiner des batteries de photographies de cadavres et de scène de crimes écœurantes. Il ne ressentait rien à la vue de ces mares de sang, ces femmes et enfants défigurés. Les cendres de son cœur avaient déjà fanés alors il faisait ça, à longueur de journée. Le temps d'être mobilisé pour une patrouille ou une bagarre.

Pour lui, plus rien n'importait, hormis le tueur de Sarah, il cultivait inlassablement cet espoir vengeur alors que sa rage face à sa hiérarchie grandissait. L'enquête était au point mort. Juste parce que la direction préférait envoyer les agents sur des affaires inutiles comme une querelle de voisin pour quatre mètres carrés de terrain.

Une jeune femme ouvrit la porte de son bureau. Une métisse chinoise aux cheveux bouclés.

Dont les yeux châtaigne et les créoles qui pendaient à ses oreilles brillaient sous la lumière du soleil à travers les persiennes. C'était Carole Mei, celle qui alertait les unités depuis le poste central.

- Tu fais quoi ?

- J'essaie de faire des recherches sur d'anciennes affaires et je trouve que dalle ! Il ravala sa salive et frappa violemment le bois de son bureau en jurant, faisant bondir le clavier et attirant l'attention de quelques agents dans la salle principale.

- Écoute, je sais que c'est dur pour toi, mais tu dois pas te prendre la tête comme ça, c'est pas bon ! Et je... je sais qu'en entendant ça tu vas me détester, mais c'est pour ton bien que je dis ça !

- Si on n'a toujours pas de piste avant la semaine prochaine, l'enquête est close ! tu comprends ça ?! Il soupira et se frotta le visage, comme s'il voulait se déchirer la peau. Et non je te détesterais pas pour ça, ça doit être chiant d'avoir un boulet comme collègue.

- Si t'étais un boulet, je ne t'aurais pas invité à déjeuner avec moi.

- Oh merde il est quelle heure ?

- 12 h 30 j'ai pris ma pose il y a dix minutes, je t'attendais.

- Attends, Attends je ferme tout ça et j'arrive ! Dit-il en se levant subitement de sa chaise. Désolé je t'ai fait attendre, on mange où ?!

- T'inquiète, on a le temps, Chez Viraille ?

- Oh non, avec cette chaleur le massalé c'est la dernière chose dont j'ai envie.

- Le Snackbar du front de mer alors ?

- Va pour le snack.

Aller à l'extérieur fut la meilleure décision d'Édouard. Il détestait de plus en plus l'ambiance du commissariat et avait besoin de sentir l'odeur de la plage et de l'océan indien tout en bas du centre-ville. Il était assis en face de sa collègue sur une des tables en plastique de la terrasse du snack, protégé de Phébus par un parasol bleu estampillé Nestlé. Son regard en amande oscillait entre elle, les petites barques de pêcheurs qui reposaient dans le bassin de radoub et les vagues qui frappaient la digue du port de plaisance plus loin.

Sinistres TropiquesWhere stories live. Discover now