CHAPITRE 1: L'Affaire Sarah

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Île de Clarence, océan Indien, 2020.

Elle réussit à s'extirper du sombre cloaque botanique ou il l'avait emmenée. Sa joue gauche trempait dans une flaque d'huile irisée et ses paumes ouvertes s'enflammaient à chaque fois qu'elle poussait son corps en avant sur le bitume. Elle suppliait ses cordes vocales de lui laisser crier à l'aide, mais c'est à peine si ses maigres gorgées de souffle passaient dans sa trachée écrasée par les coups. 

Nul regard ne pouvait troubler ce spectacle macabre, pas même ceux des chats de gouttière et des cafards qui avaient tous pris la fuite dès le début des pleurs. Alors qu'elle tendit sa main vers les éclats des réverbères de la rue Edmond Rostand, brouillés par ses larmes. Le long bras poisseux abattit sa machette au niveau de son cou, il l'abattit si fort que ses vertèbres cervicales se brisèrent. Elle n'avait même pas eu le temps de gémir. 

Rapidement, un lac rougeâtre et visqueux s'était accumulé entre ses rangées de dents cassées et se déversa le long de la rue. Le bras avait empoigné ses cheveux mazoutés et la tirait comme un vulgaire sac a ordure jusqu'au portail du lycée endormi, a quelques mètres de la. C'est alors que les chauves-souris en chasse se sauvèrent des cieux. Il n'en avait pas fini, ce n'était pas assez. 


Ce matin de fin juin, la majorité des discussions aux lycées Lislet Geoffroy et Leconte de Lisle dans le quartier du Butor, gravitaient autour du curieux entassement de flics à l'entrée principale des deux établissements, dont les sirènes lancinantes avaient commencé à hurler dès l'aube. Aucun snackbar ne servait de sandwich gratiné en guise de second petit déjeuner aux lycéens ce jour-là. Tout le square était bouclé par une demi-dizaine de DS3 estampillées "POLICE NATIONALE" et des agents postés ici et là a l'ombre des palmistes qui ne semblaient avoir autre réplique en bouche que "Circulez, il n'y a rien a voir". Ce qui n'empêchait pas certains badauds de s'amasser autour du cordon. 

Au grand dam des adolescents curieux, Monsieur Stollaire, le proviseur de Geoffroy avait envoyé ses surveillants bloquer la moitié de l'allée centrale qui séparait les deux lycées. Certains étaient morts de frayeur à l'idée que le macchabé pouvait être leur ami ou leur crush tandis que d'autres cherchaient simplement à assouvir leur avidité malsaine de récits sanglants, à l'affût d'une bombe à lancer sur les réseaux pour être le premier au cœur de l'attention.

Les professeurs se retenaient à l'écart de la foule, se partageant déjà leurs inquiétudes à voix basse comme un club d'adultes comploteurs. Ce n'était pas une révélation qu'ils allaient sûrement enseigner dans le vent aujourd'hui. Plus personne n'avait quelque chose à faire des cours qui arrivaient. La sonnerie de 7 h 30 approchait et les coursives de l'établissement étaient aussi désertes qu'un dimanche de fin juillet. Des théories fumeuses se préparaient déjà à circuler de table en table et de classe en classe, écrasant les restes des conversations des secondes hors mouvement sur la saison 3 du chapitre 2 de Fortnite. Dès 7 heures 25, certains parlaient déjà d'une certaine Lou-Anne Chane-Law, qui l'avait sarcastiquement confirmée sur son Instagram avant que cela ne s'ébruite trop. Elle avait juste choppé la fièvre.

Une silhouette s'ajouta à cette foule, qui commençait à retourner au compte goutte dans la cour principale. Ses Chuck Taylor All Stars noires déglinguées rencontrèrent le bitume gris foncé. Elle avançait d'une démarche qui s'espérait assurée, mais essayait surtout de ne pas trébucher sur un caillou mal placé et mordre la poussière devant 600 personnes. Absorbée par Brain de Mariah The Scientist. Elle n'avait même pas remarqué l'entassement excité dans "L'allée des Étudiants. Son seul objectif était de rentrer en classe pour reprendre son sommeil sur la table. Sortie en vitesse de sa maison. Elle n'avait pas eu le temps de se regarder dans une glace et ne voulait pas voir quel curieux effet la brise matinale du début d'hiver austral faisait dans son "bob ondulé" ou du moins ce qu'il en restait après les frottements sous son casque. 

Sinistres TropiquesWhere stories live. Discover now