Pizza aux champignons

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— Hein quoi ?
Milo relève la tête du magazine qu'il a trouvé vers la table basse du salon.
— Qu'est-ce qui se passe ?
Mon ton a dû l'inquiéter.
— Je te demande pardon, ils ont dit quoi ? je demande à Victor en faisant signe à Milo d'attendre.
— Ils ont dit que c'est un champignon qui a tué le professeur Martin, un truc mangeur de chair, et ils sont actuellement en train de barricader l'école pour la désinfecter. On pourra y retourner dès demain, il parait. Sans aucun risque. Il faut juste qu'on se fasse « tester ».
Je perds un tympan quand le téléphone rebondit par terre.
— Tu viens de faire des guillemets aériens, Victor ?
Milo fronce les sourcils. J'entends un gros remue-ménage à l'autre bout de la ligne.
— Désolé, j'ai fait des guillemets aériens en m'habillant.
— Et tu as une banane dans l'oreille.
— Hein ?
— Laisse tomber, je soupire. Mais ton père a dit quoi, exactement ?
— Ben ce que je t'ai dit. Je n'entendais que son côté puisqu'il était au téléphone, donc aucune idée de ce que répondait la personne à l'autre bout. Mais en gros, voilà. Que c'est un champignon mangeur de chair, qu'ils vont désinfecter le bahut et que l'affaire est classée.
Milo fronce les sourcils, et je pose la main sur le combiné pour lui répéter rapidement ce que Victor vient de me dire. Il a à peu près la même expression que j'ai dû avoir en l'entendant la première fois.
— Je retrouve Charlotte au bahut toutal, continue Victor. Vous nous rejoignez ?
Je soupire à nouveau.
— Disons qu'on est un peu punis, je commence.
— Parce que vous avez chassé un monstre ou parce que vous avez découché ? demande-t-il d'un ton anodin bourré de sous-entendus.
— Je pense que je prends perpet' pour l'un et prison à vie pour l'autre.
Je l'entends ricaner doucement à l'autre bout de la ligne.
— Ça en valait la peine ?
— Lequel des deux ?
— Bon vous nous rejoignez ?
Je lui demande d'attendre, discute un instant avec Milo, et on convient que, quoi qu'il arrive, on ne risque pas d'être davantage punis que ce qu'on va l'être actuellement. On dirait que c'est le nouveau leit motiv de ma vie.
Dix minutes plus tard, après avoir étudié la rue comme si des clones de nos parents se cachaient dans chaque brin d'herbe, on approche de l'école, devant laquelle une foule est amassée. On repère rapidement Charlotte, qui nous attend un peu en retrait du côté de la rue qui mène chez moi.
— Joli tee-shirt, lance-t-elle en guise de salutations.
Je baisse machinalement les yeux. Le rouge me monte aux joues comme un traînée de poudre. Et je me sens bien stupide quand je comprends qu'elle parle du tee-shirt, trop grand, que j'ai passé à Milo, vantant un vigneron du coin. La chaleur quitte rapidement mon visage.
— Toi aussi, observe-t-elle droit derrière, regardant cette fois-ci le tee-shirt de Milo, que je porte toujours.
Il me l'a galamment passé avant qu'on sorte du bahut.
— Je...
Je cligne des yeux. Longtemps.
— Tu as mangé épicé, Jo ?
— Hé salut, Victor ! je lance en apercevant ce dernier, heureuse de la diversion.
— Joli tee-shirt, dit pensivement Charlotte.
Qui aurait cru quel, en une nuit, elle deviendrait Miss Mode ?
Mais, lorsque je baisse les yeux sur le tee-shirt de Victor, je comprends d'où vient son ton étrange. Il porte le tee-shirt Led Zepplin.
— Je n'avais plus rien de propre, répond-il machinalement. Et puis, il faut bien le porter, non ? Je ne vais pas l'éviter toute ma vie pour potentiellement éviter de mourir, on sait bien que ça ne fonctionne pas comme ça.
Mon cœur se pince. C'est ce que je fais, moi. Je ne porte pas de bleu pour essayer de sauver maman.
Pour me changer les idées, j'observe la foule grandissante. Ils ne laissent entrer personne dans l'école. Pourtant, maman doit être à l'intérieur. Avec le père de Milo. Et un monstre en liberté.
— Je ne comprends pas comment ils veulent faire passer ça pour un champignon, dit Charlotte en secouant la tête. Ils se rendent compte qu'on a passé plusieurs jours dans cette école et qu'on pourrait tous être contaminés ?
Milo désigne une caravane blanche, dans la cour.
— C'est pour ça qu'ils veulent tous nous « tester ».
Victor hoche la tête. Je ne sais pas s'il approuve ce que vient de dire Milo, ou s'il est impressionné, car ce dernier sait faire des guillemets aériens en restant debout.
— On sera tous négatifs, ajoute-t-il.
— De toute façon, c'est pour le show.
Ce détail me dérange.
— Qui a le bras assez long pour camoufler toute cette histoire de la sorte ?
Merci, Charlotte. Je savais qu'on pouvait toujours compter sur elle.
— Mon père, répond amèrement Milo.
— Quand on parle du loup...
Le père de Milo s'avance dans la cour, flanqué de deux types en blanc. Pas de trace de ma mère. Il prend la parole et annonce de sa voix portante de baryton que l'école restera fermée aujourd'hui, et que tous les élèves doivent aller se faire dépister avant de rentrer chez eux pour la journée.
— L'action de ce champignon est lente, M. Martin avait été infecté avant la reprise. Toute personne positive recevra le traitement adéquat et pourra venir normalement en cours la semaine prochaine.
Une rumeur de déception parcourt la foule estudiantine.
— Les tests se font par ordre alphabétique, continue-t-il. Avancez-vous quand on appelle votre lettre.
— Un jour ça suffit pour tuer ce machin ?
Je me tourne en entendant la voix horripilante d'Emmalou. Manquait plus qu'elle. Et avec une question pertinente. Mais à son insu. Donc ça ne compte pas.
— En tout cas, vivement que ce soit bon, comme ça on pourra faire la soirée pour Caroline.
— La quoi ?
Je me rends compte que j'ai parlé à haute voix quand elle se tourne vers moi et me fusille du regard.
— Je t'ai pas causé, Bozo.
— Tu confonds bête de cirque et clown, Emmalou.
— Oui et toi tu confonds ma main av... hé salut Milo ! dit-elle d'un ton radicalement différent quand elle remarque qu'il est à côté de moi.
Elle vient de passer de chien de chasse à chatte qui minaude en moins de temps qu'il ne faut pour dire bécasse.
— Salut Emmalou, dit-il d'un ton très sobre.
Trop sobre à mon goût.
— J'espère qu'on te verra à la soirée en l'honneur de Caroline, vendredi.
— Vous faites une soirée en l'honneur de Caroline ? demande Victor, un peu incrédule. T'es sûre que c'est un bon moment pour ça ?
Elle l'ignore royalement, n'ayant d'yeux que pour Milo. Pimbêche.
— Je ne pense pas, répond, toujours très sobrement, Milo.
— Oh c'est dommage, il faut que tu viennes. Ce sera à la salle de sport, on va faire une jolie déco, avec plein de ballons et de photos de Caro.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, surtout dans la salle de sport, continue Victor, ignorant le fait qu'elle l'ignore.
Cette fois-ci, elle le fusille du regard. Pas besoin de sous-titres pour ce film silencieux. Elle vient clairement de dire « Ta gueule, avorton ».
— Tous les élèves vont venir, continue Emmalou.
— Première nouvelle, je grommelle.
— Tous ceux qui comptent, ajoute Emmalou sans me regarder.
Pim-bêche.
— Les élèves dont le nom de famille commencent par A ! crie un des hommes en blanc, dans la cour.
— Ah, c'est moi, lance Emmalou d'un ton guilleret. J'espère qu'on t'y verra Milo, ça me ferait très plaisir.
Et elle lui touche l'épaule. PAS DU TOUT DISCRÈTEMENT.
— Pincez-moi je rêve, marmonne Victor sur un ton qui coïncide parfaitement avec mes pensées.
Ou presque.
Elle nous adresse un dernier regard hargneux — un sourire pour Milo —, et fait demi-tour pour aller faire son test bateau. Mais elle n'a pas fait un pas que Victor s'étale au sol.
— Oh non Victor, désolée, je t'ai pas vu ! s'exclame-t-elle d'une voix si mielleuse que quelques abeilles montent la garde autour d'elle. J'espère que tu t'es pas fait mal.
Et elle s'en va, comme ça, bras dessus bras dessous avec Caroline numéro 2.
— Mais je vais me la faire, je grommelle en projetant mon corps en avant.
Je suis malheureusement retenue par les mains puissantes de Milo, sur mes épaules. Étrangement, ce contact me fait dessaouler d'un coup.
— Elle en vaut pas la peine, Jo, dit Victor en se relevant.
On le dévisage tous, bouche bée.
— Quoi ?
Mais il comprend aussitôt et suit nos regards, baissant la tête pour regarder le bas de son tee-shirt déchiré.

TOUCH [TERMINÉ]Where stories live. Discover now