Chapitre 8

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Genève, vendredi 17 avril

Ça ira, ça ira, ça ira.

Elsa se répétait en boucle les paroles de Marion en préparant sa valise, les instructions de Garamont à la main. Ce maniaque du contrôle lui avait envoyé le même type de liste que sa mère utilisait à l'époque pour les départs en colonie de vacances. Elle s'assura de n'avoir rien oublié.

Trois tenues : sportive, décontractée, élégante. Check ! Pour autant qu'ils partagent la même conception de l'élégance.

Sous-vêtements coordonnés et nuisette : check ! Pour le coup, elle avait dû foncer dans une boutique de lingerie pour y acheter à prix d'or deux ensembles sobres, ainsi qu'un bout de tissu satiné qui lui couvrait à peine les fesses. Sérieusement, des femmes dormaient pour de vrai là-dedans ?

Affaires de toilette, maquillage, pilule. Gloups. Check.

Carte d'identité. Idem. Tout y était.

Restaient les mots en gras : téléphone mobile interdit. C'était la seule exigence qui avait fait tiquer Marion, peu enthousiaste de ne pas pouvoir la joindre. Mais pour trente mille francs, Garamont avait le droit de bénéficier de son attention absolue.

Elle éteignit son smartphone et le laissa en évidence sur la table de la cuisine. Ensuite, elle glissa le spray au poivre dans son sac à main. Hors de question de se retrouver désarmée en compagnie d'un illuminé adepte des thérapies expérimentales.

Ne pas réfléchir pour ne pas flancher.

Ça ira, ça ira, ça ira.

Elle prodigua une dernière caresse à la Teigne qui se roulait sur ses chaussures et sortit sur le perron. Quand un nuage cacha le soleil, elle resserra son trench-coat. Elle avait froid, soudain. Un miaulement inquiet traversa le battant. Châtaigne percevait-elle son désarroi ou redoutait-elle un régime sec en son absence ? La pensée la dérida. Son voisin, Ali Husseini, passerait la nourrir samedi et dimanche matin. Elsa partait donc le cœur léger... ou presque. Deux nuits et deux jours avec un inconnu. Elle s'en sortirait. Elle s'en était toujours sortie.

Elle verrouilla la porte d'entrée avec le sentiment troublant d'abandonner une part d'elle-même derrière elle.

Ça ira, ça ira, ça ira.

Peu avant dix-neuf heures, la même limousine noire qui l'avait menée chez la doctoresse Duvivier s'arrêta devant la maison. Un chauffeur différent – un nouvel anonyme en costume – la rejoignit pour prendre sa valise. Il la rangea dans le coffre, lui ouvrit la portière, attendit qu'elle s'installe, la referma, se remit au volant. Des gestes si ordinaires.

Il démarra et s'engagea sur l'avenue. On y était. Mais pourquoi ne disait-il rien ?

— Où va-t-on ? osa-t-elle finalement.

— À l'aéroport, madame.

Pourtant, il ne suivait pas la route habituelle. Elle se tendit.

— Vous êtes sûr de vous ?

— Bien sûr, madame.

L'affirmation un brin agacée l'inquiéta. Elle plongea la main dans son sac et saisit le spray au poivre. Son cœur accéléra, sa gorge se serra. Elle entrouvrit la fenêtre pour mieux respirer. Le chauffeur la regarda dans le rétroviseur central, sourcils froncés.

— Tout va bien, madame ?

— Oui, couina-t-elle.

Il reporta son attention sur le trafic, non sans glisser de fréquents coups d'œil vers l'arrière dans le miroir. Elsa, elle, répétait les actions à enchaîner au moment où ils s'arrêteraient : viser, vaporiser, sortir de l'habitacle, courir. Merci, Eduardo.

La limousine emprunta la route qui longeait les pistes de l'aéroport et s'engagea sur un chemin goudronné. Un panneau annonçait « Terminal T3, aviation d'affaires ». Garamont possédait un jet privé ! Se sentant un peu stupide, Elsa ôta sa main de son sac.

Une nouvelle pensée la glaça : elle échapperait à tous les radars s'il souhaitait la faire disparaître. Stop ! Assez de stupidités ! C'était un homme d'affaires, par un tueur en série ! Encore qu'on le découvrait généralement trop tard...

Après avoir immobilisé le véhicule devant un bâtiment bas, le chauffeur vint lui ouvrir la portière. Elle descendit de la voiture tandis qu'il tirait sa valise du coffre. Comme il patientait sans faire mine de la lui donner, elle lissa son manteau d'une main nerveuse et franchit les portes coulissantes d'un pas aussi assuré que possible, l'homme sur les talons. Incertaine, elle se figea sur le marbre du hall.

Le chauffeur intervint :

— Permettez, madame.

Il la précéda au comptoir et tendit une enveloppe à une hôtesse d'accueil aussi souriante que pomponnée. Après des formalités succinctes, on conduisit immédiatement Elsa à un avion de petite taille. Sa valise avait disparu dans l'intervalle, mais elle ne s'en soucia pas. Un émerveillement enfantin s'empara d'elle lorsqu'elle monta l'escalier escamotable. Une rouquine au visage avenant, un badge indiquant « Julie » épinglé sur la poitrine, l'accueillit d'un chaleureux « Bienvenue à bord, madame » et la guida dans la cabine étroite où régnait un parfum d'ambiance ambré. Deux fauteuils se faisaient face de chaque côté de l'allée, autour de tables rabattables en bois verni. Elsa hésita. Attendait-on encore quelqu'un ? L'hôtesse lui désigna un siège dirigé vers le nez de l'appareil.

— Celui-ci vous convient-il ?

Elle opina du chef et se laissa tomber sur l'assise moelleuse et enveloppante, très éloignée du confort façon « granit brut » de la classe économique.

— Nous décollerons dans quelques minutes, annonça l'hôtesse. Désirez-vous une boisson dans l'intervalle ?

— Non merci.

Elsa hésita, puis enchaîna :

— Où allons-nous ?

Sans paraître étonnée, la rouquine répondit dans un sourire :

— À Londres, madame.

Rassurée, Elsa s'enfonça dans son siège. En cas de problème, Genève n'était pas si loin. L'hôtesse s'assura qu'elle était correctement attachée et n'avait besoin de rien, puis disparut derrière une cloison. Les pensées d'Elsa vagabondèrent. Elle n'était jamais allée à Londres. Les livres sur l'art l'intriguaient. Visiteraient-ils un musée ? Même si l'idée la séduisait, elle ne comprenait pas en quoi cela contribuerait à la désintoxication de Garamont.

L'avion se mit en branle et roula pour rejoindre l'extrémité de la piste. Les moteurs gémirent, grondèrent, le fuselage trembla et le jet s'élança sur l'asphalte. Le cœur d'Elsa se décrocha à l'instant où les roues quittèrent le sol, et elle regarda Genève rapetisser dans la lumière déclinante.

Addiction sensuelleWhere stories live. Discover now