Chapitre 1

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Genève, dimanche 20 mars

Il était vingt-trois heures et le calme régnait dans l'hôtel, à peine troublé par le gazouillement de la fontaine intérieure. Debout derrière le comptoir de la réception, Elsa regardait les reflets des lumières de la ville danser sur les eaux sombres du lac Léman. Loin sur la droite, les arbres de l'île Rousseau dressaient leurs branches encore nues vers les étoiles. De jour comme de nuit, la rade de Genève offrait un spectacle fascinant dont elle ne se lassait pas.

Du coin de l'œil, elle aperçut Michel, le bagagiste, descendre les trois marches du perron d'un pas vif pour aller ouvrir la portière d'une limousine à l'arrêt. Une longue silhouette se déploya. Elle consulta le registre des arrivées et retint un soupir d'agacement : Adam Garamont.

Ce type la mettait mal à l'aise, avec son regard inflexible et sa bouche qui arborait un continuel demi-sourire narquois. C'était toujours elle qui se le coltinait. Arrivée le dimanche, de préférence à la fin de son service, quand ses pieds lui hurlaient qu'il était temps de rentrer se coucher, départ le vendredi en soirée, alors qu'elle avait ingurgité un après-midi de cours de littérature médiévale. Que du bonheur !

Elle se redressa, plaqua son plus charmant sourire sur son visage rond et patienta. Enfin, les portes automatiques s'ouvrirent, et elle ne put qu'admirer les épaules larges, accentuées par un pardessus noir, la démarche souple, assurée. Garamont franchit les quelques mètres de mosaïque bleutée qui le séparaient du comptoir sans jeter un regard au somptueux décor de style colonial français.

Il s'accouda au marbre d'un geste nonchalant et braqua ses yeux vert jade dans les siens. Sa mâchoire carrée, ombrée d'une barbe naissante, mettait en valeur le dessin de sa bouche. Ses cheveux brun foncé, un peu trop longs, frôlaient son col. Il était beau et il le savait.

— Bonsoir, Elsa.

Même sa voix était sexy. Elle injecta une touche de froideur dans la sienne pour répondre :

— Bonsoir, monsieur Garamont. Votre suite est prête.

Elle lui tendit le discret étui cartonné qui contenait la carte magnétique. Pas besoin de remplir quoi que ce soit ou de le faire patienter. VIP un jour, VIP toujours. Il s'en saisit et leurs doigts s'effleurèrent. Elle aurait juré qu'il l'avait fait exprès, comme à chaque fois. Ce type jouait avec ses nerfs depuis plus d'une année. Il n'avait donc que ça à faire ? La cent vingtième fortune de Suisse, trente-deux ans au compteur et président du conseil d'administration de la banque privée Garamont & Cie, s'amusait aux dépens de la réceptionniste un peu trop enveloppée du Belle-Rive.

Parfois, quand elle regardait passer les hommes d'affaires arrogants ou les riches touristes du Golfe couvés par leurs gardes du corps, il lui prenait l'envie de laisser tomber. De cesser de trimer à l'hôtel jusqu'à des heures indues pour poursuivre ses études de lettres. De vendre sa vieille baraque impossible à chauffer, liquider ses souvenirs et partir. Mais elle savait qu'une fois l'hypothèque remboursée, il lui resterait à peine de quoi survivre quelques mois, et elle n'était pas prête à brader les murs qui avaient entendu ses rires d'enfant et protégé son sommeil des monstres. Les murs entre lesquels elle avait été vraiment heureuse, avant.

— ... sushis à proximité ?

Elle regarda Garamont sans comprendre. Il attendait visiblement une réponse.

— Veuillez m'excuser, monsieur, pouvez-vous répéter ?

Les joues d'Elsa se teintèrent d'écarlate. Elle se serait giflée. Il haussa un sourcil arrogant et recommença en détachant ses mots avec soin, comme s'il parlait à une demeurée :

Addiction sensuelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant