Chapitre 3

255 9 3
                                    


Elsa avait l'impression d'être passée dans un lave-linge en mode essorage intensif. Mardi, on avait volé la selle de son vélo pour la troisième fois depuis le début du semestre ; mercredi, elle avait planché pendant des heures sur une dissertation littéraire ; jeudi, sa chaudière avait rendu le dernier soupir malgré les soins assidus prodigués par le réparateur. Depuis, elle vivait en pull polaire, se douchait à l'eau glacée et jonglait avec son budget pour dégager la somme nécessaire au remplacement de la trépassée. Sans compter les nuits blanches à réfléchir à la proposition de Garamont.

Dans une fiction romantique, elle aurait refusé son offre pour ne pas compromettre son âme. Il lui aurait alors avoué que son infâme proposition ne visait qu'à s'assurer de sa droiture et de son désintéressement, puis l'aurait demandée en mariage, un genou à terre.

Dans la réalité, Garamont épouserait une riche héritière pendant qu'elle crèverait de pneumonie, de malnutrition ou d'épuisement, seule dans sa baraque décrépite.

Comme elle se refusait à parler à qui que ce soit de son éventuelle – et brève – future carrière d'escort girl, pas même à Marion, sa meilleure amie, elle avait listé les « pour » et les « contre ». Et franchement, le déséquilibre entre les deux colonnes sautait aux yeux. À part « ça ne se fait pas », « c'est un grand malade », « je ne suis pas une prostituée » et « je ne céderai pas au chantage », elle était à court d'idées pour remplir la partie des « contre ». En revanche, celle des « pour » débordait, avec sa chaudière en première position.

Garamont savourait sans doute en ce moment même les affres dans lesquelles il l'avait plongée.

Après s'être trituré les méninges durant une éternité, elle était arrivée à la conclusion qu'elle n'avait rien à perdre sauf son temps et sa pudeur. Sa virginité, cela faisait longtemps qu'elle l'avait jetée aux orties avec un gentil garçon bien plus laid que le millionnaire.

De longues heures de recherches sur Internet l'avaient persuadée qu'il n'était ni un détraqué ni un tueur en série, et puis elle pourrait abréger leur « collaboration » quand elle le voudrait.

Advienne que pourra.

*

— Elsa, tu as une tête à faire peur ! Semaine difficile ? l'accueillit Robert, le chef de réception, alors qu'elle prenait son service le vendredi, en fin d'après-midi.

Si elle répondait que tout allait bien, il lui casserait les pieds jusqu'à ce qu'elle admette le contraire. Autant gagner du temps :

— Un peu. Les examens approchent.

Elle espérait que cela lui suffirait, parce qu'elle ne comptait pas évoquer Garamont.

— Tu me raconteras pendant la pause. Tiens, monsieur Garamont a laissé ça pour toi.

Raté ! Elle fixa l'enveloppe blanche qu'il lui tendait comme si celle-ci pouvait la mordre.

— Il est déjà parti ? s'étonna-t-elle.

— En fin de matinée.

Étrange. D'habitude, il s'arrangeait pour qu'elle s'occupe de son check out et en profitait pour le faire durer. Elle se saisit de l'enveloppe, la retourna. Juste son prénom, tracé à l'encre noire d'une écriture nerveuse et penchée.

— Tu ne l'ouvres pas ?

Robert le fouineur s'intéressait à tous les potins, qu'ils concernent collègues ou clients, et elle ne tenait pas à entendre son nom chuchoté à l'heure de la pause. Heureusement une distraction s'annonçait, sous la forme de trois couples souriants chargés de valises taille cabine et de housses de vêtements, un peu gauches, un peu mal à l'aise, les yeux brillants.

Addiction sensuelleWhere stories live. Discover now