— Bois !

La jeune femme attrapa maladroitement la tasse, qu'elle vida d'une traite. Il en restait près de la moitié. La nausée persistait et n'allait sûrement pas s'arrêter en si bon chemin. Mais le liquide suave et doux-amer eut le mérite de chasser le goût âcre et atroce de sa bouche.

— Dis-moi ce que tu sais sur le thé ?

La question était incongrue, alors que le tangage s'accentuait. Jawaad leva la tête, pensivement, un bref moment. Si Damas ne l'appelait pas sur le pont, c'est qu'il gérait parfaitement la situation, et le maitre-marchand retourna son regard noir sur Lisa, qui le fixait avec une tête surprise et un peu défaite. Posant son regard sur la lampe au loss et sa lumière dorée, elle se demanda fugacement comment étaient fabriquées les ampoules à filament ici, quand, sur Terre, cela avait pris des années de perfectionnement pour Thomas Edison, leur inventeur. Comme elle n'en avait jamais vu que chez Jawaad et uniquement pour son usage personnel, elle se doutait bien que cela restait des raretés. Chassant ces étranges divagations que prenaient ses pensées qui faisaient de leur mieux pour lui faire oublier la nausée, elle déglutit, quelque peu pitoyable, et répéta tout ce qu'Azur lui avait expliqué et raconté sur le thé et son art. Elle n'omit rien. Elle avait absolument tout retenu, même si elle avait du mal à être claire dans ses propos, le ventre noué à la torture. Son explication fut interrompue par un autre haut-le-cœur qui s'acheva une nouvelle fois dans la bassine et quand elle se redressa encore, Jawaad lui tendait un verre d'eau. Il gardait Azur à l'œil, qui n'en menait pas bien large non plus. Mais cette dernière avait compris le but de son maitre : distraire la jeune terrienne de son malaise en la forçant à se focaliser sur autre chose. Elle ne cacha pas cependant sa surprise ; Azur pensait que Lisa aurait sans doute retenu l'essentiel de la préparation du thé, mais en aurait oublié des bouts. Mais non, la jeune terrienne avait tout mémorisé du premier coup, au mot prêt ; il n'y aurait jamais besoin de le lui expliquer une seconde fois.

— Alors, c'est toi qui prépareras mon thé, demain. Ce faisant, Jawaad fit un signe pour qu'Azur revienne vers lui, l'accueillant en attrapant doucement son menton : Va vite chercher des bananes dans la réserve. Le grain va durer un peu.

Azur hocha la tête et se releva, un peu hésitante sur ses pieds, même si le ballottement était encore modéré. Si elle était elle-même un peu malade, elle avait bien plus l'habitude de circuler sur un navire tanguant que Lisa, qui n'aurait pas été bien loin dans son état.

Les bananes n'étaient pas tout à fait un luxe du côté d'Armanth. On en cultivait dans les plaines côtières, et elles participaient à la base alimentaire des villages de bord de mer de l'Athémaïs. Et en effet, c'était une des rares choses efficaces pour non pas contrer le mal de mer, mais éviter de devoir vomir sa bile l'estomac vide. Azur en avait fréquemment besoin, et celles à bord lui étaient quasi exclusivement destinées, même si tout le monde appréciant d'en déguster, le stock était conséquent.

Sur le pont humide et glissant, les marins s'activaient vigoureusement. Ici, tout le monde allait pieds nus, ou presque ; les meilleures chaussures au monde n'auraient pas adhéré sur le bois détrempé qui glissait aussi bien que s'il avait été savonné. Il fallait ramener les voiles et faire virer le navire pour contourner la tempête. Azur en voyait parfaitement la masse noire striée d'éclairs, découpée sur l'horizon couleur de feu. Elle déglutit nerveusement, ça ne la rassurait pas du tout de voir ce monstre de nuages qui s'approchait. Mais autour d'elle, les hommes ne semblaient pas s'en affoler. Ils étaient juste très occupés et savaient tous quoi faire. Il n'y avait à leur avis aucune raison de s'inquiéter pour un grain à venir qui pouvait être esquivé en grande partie ; et la plupart avaient déjà connu bien pire.

Elle était presque arrivée aux cuisines, donnant sur les réserves sous le pont avant, quand elle entendit la vigie hurler :

— Voiles à l'horizon ! On dirait un galion d'Imareth !

Les Chants de Loss, Livre 2 : MélisarenWhere stories live. Discover now