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— Jungkook ? Ça va ?

La voix de ma mère s'étouffait derrière ma porte de salle d'eau. La respiration haletante, je me maintenais au lavabo d'une main, l'autre à mon nez. Des gouttes de sang tombaient sur les parois blanches, ma tête bourdonnait comme une ruche d'abeilles, mon corps semblait aussi lourd qu'une falaise et une toux subite me déchira les poumons. J'avais l'impression qu'ils étaient remplis de sable, je n'arrivais plus à respirer à force de tousser et du sang me bouchait le nez. J'entendais ma gorge siffler, et lorsque mon regard croisa le miroir, une affreuse remontée me prit. Elle était là, juste derrière moi, maculée de sang, les cheveux coupés à l'arrache, un large sourire diabolique aux lèvres gonflées.

Je lâchai un cri et tombai en arrière, sur le carrelage gelé qui me brûla le dos.

— Jungkook !

Au-dessus de moi, je vis mon ange gardien apparaître. Le démon avait disparu, mais tout était flou et un bruit sourd se mit à résonner dans mon crâne. Je cherchais désespérément de l'air, haletant comme un animal égorgé, mon corps tremblait, tout devenait noir et le regard de ma mère posé sur moi me terrifiait. Je ne voulais pas devenir fou, je ne voulais pas perdre le contrôle, je ne voulais pas mourir sans retrouver ma vie passée. Ma peau me brûlait, comme si l'on me griffait avec de longs ongles, que l'on me déchirait la chaire pour la donner au diable. De l'air, il me fallait de l'air.

Bam, bam, bam.

Quelqu'un m'appela au loin. En entrouvrant les paupières, mon cœur loupa un battement lorsque je le vis, devant moi, un sourire compatissant et rassurant au visage. Son regard se posait sur moi d'une douceur que je n'avais pas connue depuis longtemps. On raconte que lorsqu'on est sur le point de mourir, on revoit la personne à qui on tient le plus, celle qui nous a le plus manqué, celle que l'on a le plus aimé. Je ne ressentais plus rien. Une chaleur m'envahissait grâce à ce visage aussi doux que le miel, à ces cheveux ondulés et sombre comme l'or noir, à la paix intérieure qu'il apportait en moi en un seul regard. Ma main encore tremblante se leva vers lui, et ma paume rencontra sa joue. C'était agréable, cela provoquait des décharges de soulagement dans mon corps.

Seulement, la chute fut fatale. En un clignement, ma mère avait pris sa place, le regard inquiet, peiné, déchiré. Il n'était pas là. Il n'était pas là comme autrefois, à calmer mes crises qui pouvaient se déclencher sans prévenir. Deux mains féminines prirent mon visage, et des larmes se mirent à couler sur ses joues.

— Oh mon amour, murmura-t-elle entre ses sanglots, je suis tellement désolée...

Je ne savais plus si je tremblais, si je pleurais, ou même si je respirais. Je fixais les trais crispés de ma mère, les yeux ronds comme ceux d'un poisson. Elle passa une main dans mes cheveux en continuant de s'excuser par des murmures, jusqu'à finalement s'assoir en tailleur pour y mettre ma tête entre ses jambes. Ses ongles manucurés parcouraient mon crâne, caressaient mes mèches, créant des petites fourmis agréables qui me permirent de fermer les paupières. Ses pleurs s'étaient calmés après quelques minutes de silence, seuls les légers grésillements des lampes mêlés à nos respirations retentissaient.

Peut-être que ma mère avait deviné, mais je ne lui ai jamais dit que j'étais malade depuis quelques mois. Ce n'était pas difficile à comprendre, car avec ma perte de poids, ma toux, mes crachats de sang, une douleur presque quotidienne aux poumons, j'étais étonné qu'elle ne m'en ait pas parlé. Je ne savais pas quelle maladie c'était, ni d'où elle venait, et je n'avais aucune envie d'aller chez le médecin. Je n'étais pas fou, je n'étais pas malade, ça allait passer dans peu de temps.

Je ne supportais plus vivre. Chaque jour à Séoul, hors de ma maison natale et de ma mère, était un véritable calvaire. Mes épaules s'affaissaient, mon dos se courbait sous le poids de mes choix, mon cœur battait à chaque parole dites, vivre était devenu encore pire qu'auparavant. A côté de mon état actuel, les trois mois que j'avais passés en hôpital psychiatrique il y a sept ans me paraissaient être de la barbe à papa. Plus aucune couleur, sensation, expression ne venait, tout était parti en même temps que lui. Les mots n'étaient pas assez forts pour exprimer mon besoin de le revoir, de le serrer dans mes bras, sentir son odeur, lui hurler mon manque, ma solitude. Ce désir était tout ce qui me retenait ici en plus de la peur d'abandonner ma mère.

❝𝐓𝐎:𝐊𝐘:𝐎𝐎❞ ᵗᵏOù les histoires vivent. Découvrez maintenant