Chapitre 6

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J'ai passé Noël seule encore une fois, regardant les gens acheter des cadeaux par dizaine mais n'ayant apparemment pas de monnaie à donner à des SDF. J'ai passé ce mois à voir toutes ces personnes s'agiter dans tous les coins.

Pour tuer l'ennui, j'essayais de deviner quel cadeau était désigné à quelle personne de sa famille : la montre c'est souvent pour les frères ou les pères. Les hommes sortant du Sephora vont sûrement offrir un parfum à leur femme ou à leur mère, vive l'originalité. Les couples sortant des magasins de jouets allaient sûrement rendre leurs enfants très heureux. 

A force de les regarder, j'en ai même reconnu certains qui revenaient finir leurs achats. Dans ces moments là, j'avais presque l'impression de les connaître, de savoir qui ils étaient même si une personne ne se réduit pas à sa liste de courses de Noël. 

Et ça je l'avais bien compris lorsque, le soir du réveillon, les rues se vidèrent à nouveau me laissant seule dans l'immensité de cette ville. J'étais seule et sans cadeau, comme quoi même le Père Noël m'avait oublié, j'étais invisible pour tout le monde. 

La nuit du nouvel An était assez spéciale, entre les gens bourrés et ceux qui voulaient absolument passer la nouvelle année à faire quelque chose d'incroyable, je me suis retrouvée à assister à des spectacles de grandes qualités du genre une bagarre qui éclate dans un bar... 

Moi je l'ai passé dans mon coin, enroulée dans ma fidèle écharpe qui me suit depuis mes débuts en tant que SDF. Je les regardais s'amuser et payer de l'alcool sans compter tandis que je priais juste pour me réchauffer. Heureusement j'ai réussi à me débrouiller..

Le froid glaçant du mois de janvier m'empêchait depuis déjà quelques nuits de m'endormir. Entre pluie, orage et grêle, les endroits abrités semblent devenir luxueux. Mais le froid qui se répandait dans la rue est le même que je sois sous un pont, devant une enseigne d'un magasin ou devant une bouche de métro.

La rue tue chaque année des centaines de SDF. Le froid lui, tue rien qu'à Paris environ 50 SDF rien que durant le mois de janvier. Dis comme cela c'est triste, choquant, révoltant peut être mais pour ceux qui vivent dans ces conditions, c'est juste effrayant. 

Peu importe comment on voit les choses, 50 d'entre nous sont morts alors qui dit que nous ne serons pas le 51ème du mois. Et peu importe combien c'est horrible, le monde ne changera certainement pas pour quelques SDF. 

Notre mort arrange peut-être, d'une certaine façon, on ne gâcherai plus le paysage et on ne vous imposerai plus de voir la misère que nous sommes. Mais en dehors de cela, le monde ne changera jamais parce que les politiciens n'en ont rien à faire de nos conditions de vie. Comme l'a dit l'Abbé Pierre :

"Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres"

Je me retrouve donc à devoir m'abriter sous un abri bus dans l'espoir de ne pas tomber encore plus malade. La pluie, ramené par le vent puissant, mouille mes vêtements et mon visage comme pour me rappeler que dans la rue, on n'est jamais à l'abri de rien. 

Je prends mon courage à deux mains et cours jusqu'une bouche de métro, espérant pouvoir profiter du peu de chaleur quoique ça sera toujours mieux qu'à l'extérieur. Je me faufile dans le passage et trouve un petit escalier près duquel il y a une sorte de salle des machines. 

Je ne peux pas y rentrer mais l'air chaud qui se libère par les grilles de ventilation me fait le plus grand bien. Rester dans le métro c'est dangereux mais ce soir je n'ai pas d'autres échappatoires.
Je me glisse donc près de la source de chaleur me dépêchant de m'endormir afin de retourner à ma place habituelle dés que le premier métro sera passé. 

Il est l'heure de dormir maintenant.

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La première fois que je vous avais parlé j'ai dis que c'était le 462ème jour, et bien aujourd'hui nous en sommes au 562ème. C'est pas très joyeux de me dire que 100 jours se sont écoulés et que rien n'a changé, je suis toujours dehors, affamée, morte de froid, et terrifiée à l'idée de me faire voler ou agresser. 

Mais contrairement au 561 jours précédents, aujourd'hui, je suis heureuse de voir au loin quelqu'un. Je lui fais un grand signe de la main pour qu'il me repère et c'est ce qu'il fait. Il s'approche de moi et s'installe à nouveau à côté de moi 

SDF : ohh t'es toujours là, j'aurais jamais cru te revoir 

Vous vous souvenez du mec à qui j'avais demandé à manger ? Et bah le revoilà !

Moi : je suis toujours à la même place !

SDF : j'avoue c'est plutôt confort, t'as la gare devant toi et y a plein de monde qui passe. Ca rapporte bien ? 

Moi : ohh pas tant que ça, mais je survis hein et toi t'es du genre à te balader partout ? 

SDF : ouais, j'aime pas trop rester au même endroit, j'ai l'impression que ça devient mon chez moi et de savoir ça me rappelle que je suis à la rue. Je préfère me balader et vivre au jour le jour 

Moi : ouais je vois 

SDF : j'aurais jamais cru que t'aurais survécu jusqu'à aujourd'hui vu la gueule d'affamée que tu tirais 

Moi : j'ai failli y passer hein mais bon un sandwich m'a sauvé 

SDF : j'avais vraiment rien ce jour-là tu sais... 

Moi : t'en fais pas tant que je suis en vie je m'en fou de qui me donne quoi 

SDF : t'as raison, tant qu'on est en vie tout va bien 

Moi : je n'irais pas jusque là, t'es sûrement trop optimiste pour moi. Tiens je vais t'appeler comme ça !  

SDF : L'optimiste ? C'est nul comme nom de code, appelle moi plutôt avec un nom stylé 

Moi : Ton prénom devrait faire l'affaire tu sais...

SDF : Thomas

Moi : et bien enchantée Thomas 

SDF : de même, et le tien ? 

Moi : Elyssar 

SDF : j'avais jamais entendu ce prénom 

Moi : je suis unique au monde 

SDF : oui oui, et sinon tant qu'on en est au présentation, comment tu t'es retrouvé ici ? 

Comment ?
Une erreur, une simple erreur dû à mon aveuglement 

Moi : Longue histoire assez chiante et toi ? 

SDF : parents alcooliques, on nous a foutu dehors parce qu'on payait pas le loyer et ils ont finis par tomber dans la drogue. Puis overdose 

Moi : pas super joyeuse ton histoire 

SDF : désole de te décevoir mais t'es censée être bien placée pour savoir que dans notre monde rien est joyeux 

Moi : ouais... 

Thomas se redresse et se lève en récupérant ses affaires 

SDF : bon allez moi j'ai un dîner à trouver ! Bon courage Elyssar ! 

Moi : bon courage aussi Thomas 

Je lui fais un signe d'au revoir puis il entreprend de prendre sa route mais avant cela il se retourne et m'annonce : 

SDF : ah oui et la prochaine fois qu'on se croise, j'aurais un truc à manger à te donner promis ! 

Moi : tu gères mec ! 

Je lui souris une dernière fois avant de le laisser s'en aller 



L'amour m'a tué, l'amour m'a sauvéWhere stories live. Discover now