5. L'enfer, partie 2... ou pas?

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La récréation vint trop rapidement. Je fus tentée de me cacher dans les toilettes, mais l'odeur d'urine mélangée à je-ne-sais-quoi me donna des nausées. Je sortis contre mon gré, enfonçant à nouveau mon chapeau en tissu de jean sur ma tête. J'allai m'asseoir sur une des quelques balançoires, regardant autour de moi furtivement. Nonobstant à mon désir éloquent d'être seule, Scarlett et Charlène vinrent se planter à mes côtés.

– Viens avec nous, m'invita gentiment Charlène la Brunette.

Elle repoussa sa frange sur le côté. Je ne répondis pas et regardai ailleurs.

– Romane, viens, supplia presque Scarlett. On peut juste parler si tu veux.

Je fis non de la tête, évitant encore de croiser leur regard. Elles s'assirent devant moi – non mais quel culot de 1) ne pas respecter mon isolement volontaire 2) ne pas respecter ma bulle.

– Je suis bien seule.

– On veut juste être tes amies, dit Charlène la Brunette.

– Je suis bien seule, répétai-je.

Scarlett aux Cheveux Frisés leva les yeux au ciel et soupira.

– Tu es vraiment têtue à la fin.

– Vous, vous êtes deux sangsues cheloues dont j'ai rien à cirer.

– C'est mal être cheloue? (Sa remarque m'arracha un sourire contre mon gré.) Écoute, Romane. Tu n'es pas la seule à vivre un changement d'école, d'accord? (Je ravalai l'esquisse de mon sourire.) Regarde, je suis Haïtienne. J'ai vécu là-bas quelques années, mais les difficultés vécues par mes parents les ont forcés à déménager ici.

Je toisai Scarlett, me sentant énervée par son histoire de changement d'école. Ça ne changeait rien à ma vie merdique.

– Et alors? lui dis-je.

Scarlett aux Cheveux Frisés sembla ne plus trouver de mots à ajouter. J'en profitai pour me lever de la balançoire et m'éloigner des filles.

– Hey toi! lança une voix dans mon dos.

Je me retournai et reçus un ballon en plein visage. Pardon? Une bande de cinq garçons, paraissant du même âge que moi, se tordirent de rire. Je scrutai les visages, sentant mon cœur prêt à exploser de rage à l'idée que Gaël puisse faire partie de leur bande. Malheureusement, je ne le vis pas – je me plaisais à l'idée qu'il rencontrât mon poing. Bref, je me dis qu'il valût mieux que je les ignorasse, alors je leur tournai le dos et continuai ma marche.

– On peut t'appeler Blanche-Neige? lança une autre voix dans mon dos.

– Est-ce que tu aimes les pommes?

– T'es à la maternelle ou quoi?

– Les nains ont mangé ta langue?

– En fait, c'est elle la naine!

Des rires méchants éclatèrent. Les balles de haine criblées à mon endroit ne firent que durcir ma carapace d'arrogance. N'y avait-il aucune paix possible dans cette satanée école?! On m'arracha mon chapeau et je tentai de le récupérer, mais on le tint hors de ma portée.

– T'es la petite nouvelle, right? un des garçons me demanda.

– Donne-moi mon chapeau, morveux, ordonnai-je au maigrichon qui tenait mon chapeau avec un sourire malicieux.

Je lui donnai un coup de genou à l'entrejambe. Il tomba au sol. En revanche, un des autres garçons me jeta sur le sol poussiéreux. J'inspirai un nuage de poussière alors qu'un ballon me fut – à nouveau – lancé en pleine figure. Je me levai, furieuse et déterminée à leur rendre la monnaie. Je balançai mon poing au visage d'un de mes agresseurs, qui recula, sonné. Je tordis aussi fort que je pus le bras d'un autre, qui rigola. Non mais quel taré, me dis-je. Un autre me fit tomber au sol à nouveau. Je me relevai aussi vite que je pus, mais on me repoussa au sol. Je me levai, retombai, me levai, retombai... Je distribuais des coups de pied et de poing là où je le pouvais. J'avais goûté du sang – le mien? – mais cela ne m'arrêta guère.

– Lâchez-la, bande de cons!

Je reconnus la voix de Scarlett aux Cheveux Frisés avec une profonde exaspération. Les garçons s'éloignèrent un peu de moi et je me levai. J'arrachai mon chapeau des mains d'un des garçons, ne manquant pas d'érafler sa peau avec mes ongles.

– Aha, c'est ta nouvelle protégée? demanda un des garçons à Scarlett.

Elle ne se laissa pas démonter pour autant. Elle sourit comme si elle souriait à un ami de longue date, relevant le menton en guise de défiance.

– Tu aimes toujours la bagarre, Samuel. Mais je sais que c'est pas toi au fond.

Je les regardai tour à tour, perplexe. Alors ils se connaissaient? Charlène la Brunette étouffa un rire, puis me prit la main – que je retirai vivement. On m'attira loin du groupe de garçons.

– Tu vas nous remercier ou non? me dit Scarlett aux Cheveux Frisés.

– C'est sur vous, lui rétorquai-je.

– Ça fait plaisir, répondit-elle souriante.

– Laisse tomber, Scar. (Silence.) Il a vraiment du culot l'imbécile, dit Charlène la Brunette.

– Il changera jamais, répondit Scarlett aux Cheveux Frisés.

Derrière nous, je reconnus la voix dudit Samuel qui lâcha un « Vos gueules! » à ses acolytes, qui rigolèrent comme des truies.

– C'est qui eux? demandai-je soudainement aux filles.

Ah peu importe, la ferme, pensai-je venimeusement.

– Des idiots, fais pas attention à eux, me répondit Charlène la Brunette, enroulant une mèche de sa frange autour de son doigt.

– Ils aiment intimider les petits, ajouta Scarlett. (Je lui jetai un œil haineux, me sentant agressée par sa remarque.) Non, les plus jeunes je veux dire. Ils s'en prennent souvent aux première, ça leur donne le sentiment d'avoir de l'influence.

– Et ce Samuel, tu le connais? lui demandai-je.

Elle leva les yeux au ciel théâtralement.

– Malheureusement oui. Apparemment, il me trouvait mignonne l'an dernier, mais il était vraiment trop abruti.

– Le laideron croyait vraiment avoir une chance avec toi, hein? se moqua Charlène la Brunette.

Je ris avec elles – non pas par camaraderie, mais uniquement parce que les filles avaient osé affronter plus fort qu'elles. Peut-être qu'elles seules n'étaient moutons aussi plates et insignifiants que des feuilles de papier, à l'instar des autres élèves? Je fus soudainement envahie d'un étrange calme.

Au-delà des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant