22* Chien dangereux

Depuis le début
                                    

Le réfectoire est à moitié plein. Dans le coin gauche, je vois Eren me faire signe de les rejoindre lui et ses deux amis. On dirait qu'on lui a accordé un tout petit peu plus de liberté ces derniers jours, je me demande si ça durera. Je dis au jeune homme que je vais chercher mon plateau avant de m'asseoir.

Ce que je ne comprends pas chez la cuisine militaire, c'est qu'on a toujours le droit à un festin de roi lors des petits déjeuners, mais pour les déjeuners ou les dîners, c'est toujours médiocre.

Je prends un petit pain avec de la confiture, un grand bol de lait, du jus d'orange et quelques petites brioches. Au moment d'attraper la grande cuiller pour me servir les œufs brouillés encore chauds, je m'immobilise. Une autre main s'apprête à saisir la cuiller. Quand je tourne la tête, je sens la gêne monter en moi.

-Bonjour, Caporal.

Levi me répond d'un bref hochement de tête et se sert le premier une généreuse part d'œufs. Je me mords la lèvre. Le souvenir d'une larme solitaire coulant sur sa joue me brûle l'esprit. La culpabilité revient au grand galop, rapidement suivie d'une profonde tristesse et d'un immense mépris envers moi-même.

-Lise ?

Levi me fixe avec une expression que je n'arrive pas à interpréter. Inquiétude ? Curiosité ? Ou contrariété ? Peut-être est-ce une haine dissimulée ? J'avale ma salive. Soudain, je n'ai plus faim. J'ai même la nausée. Je m'excuse, abandonne mon plateau et quitte le réfectoire aussi rapidement que possible.

x.x.x.x.x

L'air frais me fait du bien et je respire à fond. Ma nausée se calme doucement et je me détends. Il va vraiment falloir que j'apprenne à gérer ma culpabilité : étant un membre du Bataillon d'Exploration, je vais être amenée à croiser Levi souvent. Je ne peux pas me permettre de fuir comme un lapin chaque fois que je le vois.

Même si je suis décidée, je sais que ça va être difficile. Toutes les nuits, je pense à Petra, Auruo, Gunther et Eld. Toutes les nuits je me demande si je n'aurais pas dû directement les aider, au lieu d'accepter leur demande pour faire ensuite demi-tour. Toutes les nuits, je me demande si cela aurait vraiment changé quelque chose.

Je sens les larmes venir quand je repense au père de Petra et à ce qu'il m'a dit. Je revois la larme de Levi. Je...

-Lise ?

Je sursaute et fais volte-face.
-Armin ! Bon sang, tu m'as fait une de ces peurs !
-Désolé, sourit le jeune homme.

Il vient jusqu'à moi et s'accoude au muret.
-Tu vas bien ? me demande-t-il.
-Oui. Enfin je crois.
-On a été surpris avec Eren et Mikasa de te voir détaler devant Levi.

Je me renfrogne. J'espère que personne d'autre n'a vu ça. Surtout pas Jean.
-Je n'ai pas vraiment envie de me retrouver face à lui en ce moment, me justifié-je.
-Je comprends. Mais Levi avait l'air étonné de te voir partir comme ça.

J'éclate de rire.
-Levi ? Etonné ? Pardonne-moi Armin, mais un homme comme lui ne s'étonne plus de rien.
-Pourtant, il a froncé les sourcils et t'as suivi du regard jusqu'à ce que tu sois hors du réfectoire, réplique gentiment le jeune homme. Eren a même cru qu'il allait te suivre et se tenait prêt à intervenir.

Les paroles d'Armin me troublent mais j'essaie de ne rien laisser paraître. Je me concentre sur mes ongles, ne trouvant rien à redire. Si Levi m'avait suivie, il m'aurait servi un sermon ou se serait foutu de moi. Pourtant, quelque part, je me surprends à espérer autre chose de sa part.

Non non et non Lise. Ne joue pas aux idiotes. Tu es perdue, chamboulée, alors ne te laisse pas influencer par ce genre de chose.

-Lise ?

Armin me touche doucement l'épaule et je secoue la tête.
-Aucun risque que ce bonhomme soit surpris par quoi que ce soit, surtout venant de ma part, grogné-je.
-Ce qui me rend curieux, c'est pourquoi tu sembles en faire une affaire d'état.
-Je n'en fais pas une affaire d'état ! protesté-je.
-Mais tu sembles très concernée quand il s'agit de Levi, insiste Armin, une lueur maline dans les yeux.
-Je ne suis pas concernée ! nié-je avec véhémence. C'est juste que... il est toujours là à se foutre de moi, à me sermonner et que sais-je encore.
-Il est toujours là parce que tu veux qu'il soit là, réplique Armin, son sourire grandissant.
-Comment ça ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

Armin rit doucement en secouant la tête :
-Mais enfin, Lise, tu ne te rends même pas compte que c'est toi qui le suit. Chaque fois que Levi est dans les parages, il faut que tu fasses quelque chose pour qu'il te remarque.
-Armin, si c'est une blague...
-Je ne plaisante pas, Lise, c'est la vérité ! Tu le fais inconsciemment, bien sûr, mais tu le fais tout de même. Et le pire, c'est que ça marche : Levi tombe toujours dans le panneau.

Je cligne des yeux, perdue. J'ai l'impression qu'Armin se moque de moi, ou alors qu'il essaie de me faire comprendre une chose essentielle. Chose que je n'arrive pas à saisir. Le jeune homme le voit, et pousse un profond soupir de frustration.

-Lise, tu es amoureuse de Levi.

J'éclate de rire. C'est la meilleure (et la plus mauvaise) plaisanterie jamais entendue sur Terre ! Je dois m'appuyer contre le muret pour ne pas tomber par terre. Armin me regarde, consterné.

-Le pire dans toute cette histoire, c'est que tu te mens à toi-même, Lise.
-Oh, Armin ! articulé-je entre deux rires. Tu devrais faire de l'humour plus souvent.
-Je suis on ne peut plus sérieux, rétorque le jeune homme.

Mon hilarité s'envole et je le fixe.
-Armin, je ne suis pas amoureuse de Levi. Je ne sais pas où tu as été chercher ça mais...
-Il suffit de te regarder quand tu es près de lui pour le voir. Il suffit de te dire « Levi » pour avoir toute ton attention. Tu joues à chien et chat avec lui, Lise. Le problème, c'est que tu joues avec un chien dangereux.

Pour le coup, je ne sais pas quoi dire. Les paroles d'Armin me perturbent, me dérangent sans que je ne sache pourquoi. Si ce n'était pas vrai, je ne devrais pas autant m'en faire, non ?

Armin fronce les sourcils et se retourne brusquement. Je suis son regard et mon cœur manque un battement.

Putain de merde.

-Gamins, il est interdit de venir sur le toit, dit Levi les bras croisés sur sa poitrine.
-Pardon, Caporal, s'excuse Armin en faisant le salut.

Ne sachant pas quoi faire d'autre je l'imite. Nous descendons silencieusement les marches avant de nous diriger vers la salle d'entraînement. Derrière moi, j'entends le pas léger mais décidé de Levi. Sa présence me brûle le dos et c'est une sensation étrange.

Armin, idiot ! C'est de ta faute !

La peur m'envahit soudain. Depuis combien de temps Levi était-il là ? Qu'a-t-il entendu ? Tout ? Si c'est le cas, je suis quitte à aller m'enterrer au fond d'un trou et y rester jusqu'à la fin de mes jours. Mes joues me brûlent rien que d'imaginer ce qu'il aurait pu entendre.

Levi s'apprête à retourner au réfectoire lorsque je le retiens. J'ai besoin de savoir, c'est plus fort que moi.

-Hum... Nous avez-vous écoutés ? demandé-je d'une petite voix.

Levi me fixe un moment de ses prunelles grises, froides, impassibles.
-Si tu t'inquiètes pour ton chien, gamine, sache que tu ferais mieux de t'en débarrasser avant que je ne le trouve. Les animaux sont interdits ici.
-Donc vous n'avez rien entendu d'autre ? insisté-je avec espoir.
-Aurais-je dû ?
-Non.
-Tant mieux.

Sans rien ajouter de plus, Levi tourne les talons vers le réfectoire. Un soulagement sans nom m'envahit, et j'ai envie de rire. Il croit que j'ai un chien ! Cela veut dire qu'il n'a écouté que la dernière phrase d'Armin, et rien d'autre. Je fixe la silhouette de Levi jusqu'à ce qu'elle disparaisse, puis me tourne vers Armin. Ce dernier me regarde avec un sourire moqueur.

-Jolies joues rouges, Lise.
-Ferme-la.

A choice with no regrets (Levi x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant