— Arrêtez de ronchonner, vous réfléchirez peut-être mieux.

— Vous ne m'aidez pas à comprendre, je vous signale. J'ai beau retourner le problème dans tous les sens, votre histoire de saut ne m'évoque rien de plus que le mot « danger ». Vous ne voulez pas chuter accidentellement, vous voulez vous jeter délibérément de je ne sais où. Mais pourquoi ? Qu'est-ce que ça représente, tout ça ?

— Il y a une différence entre tomber sans le vouloir et sauter en pleine connaissance de cause. Là se trouve la clef de votre énigme.

— Concrètement, pour résumer, vous êtes en train de me dire : « je préfère me tuer tout seul et volontairement plutôt que par accident ». J'espère que vous en avez conscience.

Adaryn secoua la tête, affichant un sourire bien plus espiègle. Il aligna soigneusement son fou et son roi sur son côté du damier, tout en cherchant un moyen de formuler ses phrases sans trop en dévoiler. Azriel l'observa et arrangea ses propres pions distraitement, trop obnubilé par les questions qui s'entrechoquaient dans son crâne.

— Voyez ça sous un autre angle. Imaginez un saut depuis le haut d'une marche, et comparez-le avec le saut depuis le sommet d'une tour.

— Dans le premier cas vous vous foulerez peut-être la cheville, dans le deuxième il ne restera plus rien de vous. Des os brisés, à la limite...

— Je ne vous parle pas encore de l'atterrissage, Azriel. Je vous parle d'abord de la chute en elle-même. Procédez étape par étape, vous pourrez mieux analyser les choses. Voir loin et anticiper l'échec et mat, c'est une bonne logique. Mais commencer correctement avec une bonne ouverture, c'est encore mieux.

— La chute en elle-même ? Hm... Si j'ai bien suivi mes cours, les objets tombent tous à la même vitesse, qu'importe leur poids. Les seules différences entre un saut depuis une tour et un saut depuis une marche, je crois que c'est la force de l'impact.

— Exactement. Poussez la réflexion, vous y êtes presque.

— Pousser la réflexion ? Alors... Si la force de l'impact diffère ce n'est pas lié à la vitesse de la chute, c'est parce qu'en sautant de plus haut, alors vous emmagasineriez plus d'énergie. Si on faisait tomber une enclume des deux endroits, celle qui tomberait des marches abimerait à peine le sol, alors que celle qui tomberait de la tour le fissurerait et pourrait même le creuser si la tour est très haute. Mais si c'est vous qui sautez alors vous serez abimé aussi...

— Maintenant comparez une chute et un saut avec cette même logique.

Azriel inclina la tête sur le côté, les sourcils froncés. Il se laissa une seconde de flottement pour sourire intérieurement, appréciant tout particulièrement l'attention que lui portait le souverain. Il ne lui donnait pas directement les réponses, au contraire, il favorisait sa réflexion et ses propres recherches. Il lui offrait la juste dose d'indices afin de faire travailler son esprit. Ni trop peu, ni pas assez : Azriel se sentait jubiler, heureux de faire tourner ses méninges sur les secrets du Roi Oriens.

— Dans une chute involontaire il n'y aurait pas d'impulsion au départ. Au contraire, dans un saut, il est possible de prendre de l'élan. Il est possible de reculer, puis de courir droit devant et de se jeter dans le vide. Sauter et non pas tomber, c'est augmenter encore la force de chute et donc l'impact au sol. Puisque la vitesse de chute ne peut pas être modifiée, alors c'est la force de l'objet et son poids qu'il faut modifier.

— Exactement.

— Vous ne devriez pas sourire comme ça, Adaryn. Vous allez vous tuer. Vous ne devriez pas privilégier la tour, c'est complètement fou. C'est dangereux et trop haut.

𝗗𝗬𝗡𝗔𝗦𝗧𝗬Where stories live. Discover now