Je suis un actiste

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     Un soir, j'ai entendu mon père qui disait qu'il allait demander une cessation d'activité pour s'occuper d'un enfant handicapé. Il disait que c'était son droit et qu'il comptait bien en profiter. Au début j'ai eu très peur car je croyais qu'on allait faire venir un enfant malade chez nous et je ne voulais pas partager ma chambre et surtout pas attraper sa maladie.

     Quelques jours plus tard, il est venu me chercher au centre et m'a dit qu'à partir de maintenant il n'avait plus besoin de travailler car il devait s'occuper de moi. Je lui ai demandé si j'étais un enfant handicapé. Il ne m'a pas répondu et m'a dit que si je continuais à lui obéir je serais le plus parfait de tous les enfants. Ça m'a rassuré.

     A partir de ce moment, mon père est devenu très présent dans mon quotidien. Il me levait très tôt le matin et on faisait plusieurs exercices. Par exemple, il me demandait de ranger ma chambre en triant chaque objet en fonction de sa couleur. Il me disait de regrouper tous les objets bleus dans mon coffre à jouets. Sous le lit, je devais mettre les objets noirs, et dans l'armoire les objets rouges. Ensuite, il me forçait à poser sur mon lit tous les objets multicolores de ma chambre, et je devais me recoucher et dormir au milieu de ce capharnaüm. Avec le temps, j'ai fini par détester les objets de plusieurs couleurs. Le multicolore me mettait dans une colère noire et j'étais incontrôlable. Je ne voulais que des objets unis mais pas noir, car il fallait se glisser sous le lit pour les ranger, et j'avais peur.

     Tous les matins mon père avait un rituel bizarre. Il me demandait de toucher différents objets sans les regarder, et je devais les reconnaître. Il me disait de me concentrer sur la sensation, sur la texture, il me disait qu'il voulait développer mon sens du toucher. Après plusieurs semaines, je devenais ultrasensible à chaque texture et je ne pouvais m'empêcher de passer ma main sur les murs, les fenêtres, les portes, le sol partout où j'allais. J'adorais sentir de nouvelles sensations.

     Il a pris soin de moi chaque jour : chaque matin, chaque soir, chaque nuit. Ça, c'est ce que je croyais. Toutes ces années, il m'a conditionné pour faire de moi exactement ce qu'il voulait.