Dynasties / Eliane

By ombrenoire

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Empires naissants et royaumes à l'aube de leur gloire, contrées en déclin et cités dépéries. Sur le continent... More

Dynasties
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Épilogue
Remerciements

L'Exilée (1)

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By ombrenoire

De retour dans son office après une éreintante journée, Eliane s'assit au bureau et fixa sombrement le plateau d'échecs qui lui faisait face. Les pièces blanches, désormais majoritaires, dominaient largement le terrain. Il ne leur manquait que leur reine et quelques pions. En revanche, du côté des pièces noires, les derniers hivers avaient été une hécatombe. Il ne restait qu'une reine, un roi et deux fous, acculés dans un coin en position défensive, et une tour et un cavalier en première ligne, tous deux en danger presque immédiat. Quand la situation avait-elle autant dégénéré ? songea-t-elle avec une grimace.

Elle laissa son esprit remonter le temps, loin dans le passé, à la recherche d'une période précise où tout aurait basculé. Depuis son mariage, les lunes s'étaient dissolues dans les saisons, qui s'étaient enchaînées tour à tour en lents cycles qu'Eliane avait à peine sentis, distante, embourbée dans les affres de la politique. Quinze longs hivers étaient passés, rythmés par les pertes successives qui, depuis la première, ne s'étaient plus arrêtées. Elle avait vu mourir trois de ses enfants quelques jours seulement après leur naissance, en avait expulsé cinq autres avant même d'arriver à terme. Elle avait même cessé de compter les possibles vies qui s'étaient enfuies dans le sang de ses fausses couches, et elle avait fini par accepter l'idée que si sa propre jeunesse et sa beauté ne se dégradaient toujours pas, c'était au prix du sang versé.

Car, à plus de trente-six hivers, elle était la même qu'au jour de son mariage, et les murmures à ce sujet se faisaient chaque jour plus virulents. La Cour bruissait de folles rumeurs au sujet de ses enfants morts-nés, de racontars à propos des rituels sanglants qu'elle aurait pratiqués afin de conserver sa jeunesse, de murmures mettant en doute sa capacité à régner après tant de pertes. La confiance que Vilhelm lui accordait s'était depuis longtemps érodée, et même la foi du petit peuple, qu'elle continuait à privilégier au mépris de la Noblesse, commençait à faillir. Son père était mort, victime parmi les premiers de l'épidémie dévastatrice qui avait ravagé le royaume quelques lunes plus tôt. Seule, coupée de ses proches et de ceux qui la comprenaient réellement, elle se savait au bord du précipice, à quelques pas de la chute.

Lasse, elle tourna la tête, appela :

— Astryd ?

La servante, assise non loin, n'eut pas besoin de regarder le plateau pour comprendre le cheminement des pensées de sa maîtresse. Elle souffla :

— Tu vas bientôt perdre la partie.

— Je sais, merci, cingla Eliane, grinçante. Une idée pour m'en sortir ?

— À moins de ramener à la vie tes figurines perdues, ou de faire surgir de nulle part une armée inconnue, je ne vois pas...

Eliane médita un instant cette réponse, secoua finalement la tête, ouvrit un tiroir, à la recherche du dernier bilan économique. L'inondation d'Eau avait causé des dommages majeurs aux récoltes sur le point d'être moissonnées, et à l'approche de l'hiver, la famine menaçait. Uriel et Karashei étaient partis constater personnellement les dommages. En principe, ils devaient actuellement être sur le chemin du retour. Mais, quel que soit leur rapport, il faudrait anticiper la propagation et l'aggravation de la crise ; l'économie du royaume, en fin de transition vers le modèle d'Ombre, était encore plutôt instable malgré – et surtout de par – les efforts réticents de la noblesse.

Soudain, la porte vola presque hors de ses gonds quand deux gamins, l'un aux yeux clairs et l'autre aux iris disparates, tous deux bruns à la peau sombre et aux boucles frisées, foncèrent dans la pièce et sautèrent l'un dans les bras d'Eliane, et l'autre dans ceux d'Astryd. Interloquées, les deux femmes échangèrent un regard empli d'incompréhension, mais les serrèrent malgré tout instinctivement contre elles. Les gamins, réalisa Eliane avec un frisson d'appréhension, étaient au bord des larmes.

Un instant plus tard, un homme de haute stature, âgé d'une trentaine d'hivers, vêtu du bleu ciel de la garde royale, apparut dans l'encadrement de la porte restée grande ouverte. Ses traits doux, presque efféminés, se froissèrent de tristesse à la vue des enfants. Il entra sans attendre l'autorisation, porta son poing fermé à sa poitrine, s'inclina profondément devant sa souveraine à la manière des soldats d'Ombre.

— Mattias, soupira Eliane. Je suppose que tout cela a un rapport ?

Elle jeta un regard éloquent au garçon qui sanglotait doucement contre son épaule. Le Général acquiesça, la mine fermée.

— Ils l'ont appris en même temps que moi, mais ils connaissent mieux les passages secrets. Dame Karashei et Sire Uriel ont eu un accident sur le trajet du retour, à quelques lieues seulement des remparts.

Le sang d'Eliane se figea dans ses veines, son cœur rata un battement. Mais déjà, Mattias poursuivait, implacable :

— De ce que nous savons, l'incident a eu lieu sur le Pont de l'Aube Rouge. Mes hommes sont en route ; je n'ai pas plus d'informations pour le moment.

Soudain, le cœur d'Eliane sembla se remettre à battre, trop vite, trop fort. Une terreur primitive lui enserrait les entrailles : la peur de perdre un être aimé. Elle ne pouvait pas perdre Uriel et Karashei. Elle le refusait. Au-delà des simples appuis à la Cour qu'ils représentaient pour la souveraine, ils étaient sa famille, l'un comme l'autre.

Elle releva la tête, tâcha de remettre un peu d'ordre dans ses pensées. Le Général Mattias la fixait, dans l'attente d'instructions. Nommé à son poste après la mort de Sethardi, alliant honneur, discrétion et loyauté absolue envers sa Reine, il la servait fidèlement depuis près de quinze hivers maintenant. Elle avait confiance en lui, et il savait que cette confiance impliquait de sévères conséquences à la moindre erreur, raison pour laquelle il s'évertuait à ne jamais faillir ou commettre d'impair.

Eliane serra les dents. Karashei, désormais habituée à la simplicité d'Ombre, avait insisté pour voyager avec une escorte légère. Était-ce cela qui avait causé cet incident ? Pourtant, les hommes de l'escorte avaient été sélectionnés par Mattias lui-même. Quelqu'un avait-il failli... ou pire, trahi ?

Trop tôt pour se lancer dans de folles conjectures ou tirer des conclusions hâtives, songea-t-elle en s'astreignant au calme.

— Astryd ? Pourrais-tu me donner un grand cristal ?

La servante se redressa précautionneusement, sans lâcher la main de l'adolescent, s'en fut dans la salle de bains, revint quelques instants plus tard. Elle tendit à Eliane une gemme octaédrique d'un blanc translucide, aux parois rugueuses, couvertes de minuscules aspérités. La souveraine la fit tourner deux ou trois fois entre ses doigts, puis tendit la main, paume à plat vers le haut.

— Bra ek vakma.

Un craquement sonore retentit, accompagné d'un flash blanc. Le garçon bondit hors de portée d'Eliane et se réfugia derrière Astryd, la peur dans les yeux. Eliane poursuivait déjà, imperturbable.

— Dekka mam, selja hur. Sena terenkat.

La pierre se fendit en deux dans sa paume. La femme se redressa, s'approcha de Mattias, jeta un regard à Astryd.

— Prends l'une des pierres, commanda cette dernière.

Le Général s'exécuta.

— Maintenant, dis « Eliane ».

— Eliane, lâcha-t-il, les sourcils froncés.

— Mattias, souffla la Reine, un léger sourire aux lèvres. Velia skol danae.

Les deux pierres scintillèrent encore une fois, puis Eliane recula d'un pas et expliqua :

— C'est un sort de liaison. Dis mon nom et je t'entendrai, et inversement. Ne perds pas le cristal.

Il s'inclina profondément, honoré.

— Maintenant, va examiner la situation sur le Pont de l'Aube Rouge toi-même, et fais-moi un rapport dans les plus brefs délais. Ramène Karashei et Uriel aussi vite que possible, de préférence sans que la Cour ne le remarque. Ce sera tout.

Il salua une seconde fois, tourna les talons, et Eliane s'affala dans son fauteuil. Les jumeaux réfugiés derrière Astryd la fixaient avec crainte et insistance. Elle joignit ses mains devant elle, enferma dans la prison de ses doigts l'idée que son cousin et sa cousine par alliance puissent être en danger. Mattias lui ramènerait de quoi appréhender la situation avec clarté. D'ici-là, il valait mieux écarter les pensées négatives, et elle aimait bien se les représenter retenues dans une sorte de petite cage d'oiseau. Un exercice de son père, comme souvent.

— Veuillez m'excuser pour avoir réagi impulsivement, marmonna le brun aux yeux vairons qui avait sauté dans ses bras un peu plus tôt.

— Ce n'est rien, Jesten, sourit Eliane. Mon usage des arcanes t'a fait peur ?

Il ne répondit rien, mais ses yeux parlèrent malgré tout. Jusque là, son frère et lui n'avaient entendu que les médisances, mais ils venaient de voir qu'elles étaient fondées. La Reine Eliane, aussi gentille soit-elle avec eux, était une sorcière.

— C'est difficile à maîtriser ? demanda Aidan, sa peur instinctive virant à la curiosité.

— Plutôt, admit l'arcaniste. Cela demande de l'entraînement, et beaucoup de patience. Les dons arcaniques innés comme le mien peuvent être dangereux lorsqu'ils ne sont pas contrôlés. Mais...

Elle fronça les sourcils, hésita un instant.

— Mais ne devriez-vous pas être avec votre précepteur ? Où est-il ?

Les jumeaux échangèrent un regard anxieux mais malicieux, et Eliane devina qu'elle aurait probablement une longue et pénible discussion avec le précepteur en question, qui devait être en train de les chercher dans tout le palais à l'heure actuelle.

— Vous lui avez faussé compagnie ?

Aidan acquiesça, l'air faussement honteux, alors qu'en vérité, elle le savait hautement satisfait de lui-même. Lui et son frère étaient, de toute manière, de véritables chenapans, et s'entendaient très très bien avec Elliott, malgré la différence d'âge. Celui-ci, frisant désormais la trentaine, se comportait toujours autant comme un enfant, même si une tache avait terni l'éclat de ses yeux. Il fréquentait – dans toute la discrétion possible à la Cour – Karashei, avec laquelle il avait deux adorables petites filles. Il s'occupait également des pupilles royaux – donc de Jesten et d'Aidan – et... et à la réflexion, il évitait Eliane autant que possible depuis quelques jours.

Les jumeaux, quelque peu apaisés malgré la situation, protestèrent vivement quand Eliane envoya un serviteur à la recherche du pauvre précepteur. Près d'une demi-heure d'explications sur les arcanes plus tard, le pauvre homme déboula dans la pièce.

— Majesté... ahana-t-il, épuisé par la longue montée qui l'avait conduit dans la tour ouest.

Eliane le salua d'un signe de tête, puis désigna les deux adolescents, qui essayaient au mieux de se faire tout petits.

— Je crois que ces jeunes hommes ont oublié le chemin qui mène à leur salle de classe. Pourriez-vous les y reconduire je vous prie... et vous assurer qu'ils y restent ?

Le précepteur accepta avec un soupir, mais un regard teinté de gratitude. Il n'était pas dans ses devoirs de courir après les pupilles royaux quand ces derniers, profitant de la moindre occasion, s'esquivaient, mais il ne tenait pas non plus à ce qu'on l'accuse de négligence. Eliane n'était pas exactement connue pour sa tolérance à l'égard de ceux qui faisaient mal leur travail.

— Messires ? interrogea-t-il sèchement. Vous avez une leçon d'escrime cette après-midi, et maître Aren toujours pas terminé la bataille de l'Aube Rouge.

La souveraine sourit tristement au surnom de sa mère, qui était aussi la dernière bataille qui avait délivré Ciel et, par conséquent, le Royaume d'Helvethras, de l'emprise avalonienne. Aujourd'hui, pour les jeunes esprits, la guerre n'était qu'un pan supplémentaire de l'histoire à apprendre ; en revanche ceux qui l'avaient connue se souvenaient encore aujourd'hui de son coût, même si les souvenirs des batailles se réduisaient à de lointains cauchemars.

Jesten et Aidan plissèrent le nez, puis se tournèrent vers Eliane avec des yeux suppliants.

— Vous pourriez nous raconter la bataille ? supplia Jesten, ses yeux vairons suppliants.

— Votre Majesté ? ajouta Aidan avec un regard d'avertissement à son jumeau.

Souvent, l'un commettait un impair et l'autre le rattrapait, mais des deux, Aidan était celui qui oubliait le moins souvent les protocoles. En revanche, pour ce qui était des bêtises, il n'y en avait pas un pour arrêter l'autre, et il y avait le plus souvent aussi Elliott pour les défendre.

Eliane considéra un long moment, puis jeta un bref coup d'œil à son échiquier. Les pièces n'avaient pas bougé. Lentement, songeuse, elle s'en approcha sans que personne n'ose l'interrompre ou poser la question à nouveau. Elle prit délicatement le cavalier noir de la ligne de front, et le déplaça de trois cases, de manière à menacer un pion ennemi sans nécessairement découvrir la reine ou le roi.

— J'arrive, acquiesça-t-elle dans un murmure.

Les jumeaux, qui semblaient avoir retenu leur souffle, exhalèrent avec de grands sourires. Le précepteur quant à lui plissa les lèvres, moins contrarié que pris au dépourvu par l'initiative de ses élèves. Les interventions de la Reine, quoique rares, amenaient toujours un vent de fraîcheur et de bonne humeur chez les pupilles royaux. Aussi, après quelques instants de silence, il ploya le cou, reconnaissant.

— Merci, Altesse.

Presque à regret, Eliane se détourna du plateau d'échecs. La peur, quoique domptée, courait dans ses veines comme un courant de fond traître dans une profonde rivière. Elle songea à Karashei et à Uriel, à ce qu'ils devenaient. Mattias les retrouverait, découvrirait ce qui leur était arrivé. Il n'y avait pas d'autre possibilité.

Elle s'engagea à la suite des garçons et du précepteur. Dans les couloirs, les courtisans s'écartèrent sur son passage, s'inclinèrent profondément, mais elle discerna dans leurs yeux une froideur glacée qui aurait pu être la sienne. Ils la craignaient toujours, mais elle savait que son influence faiblissait. Et, même s'ils constataient eux aussi sans mal les progrès économiques, et n'hésitaient pas à la féliciter dès qu'on célébrait le moindre évènement, ils attendaient surtout une occasion de la mettre à mal.

Quand ils parvinrent à l'aile sud, où deux grandes salles étaient réservées à l'enseignement pour les pupilles royaux, elle discerna un attroupement près des portes. Elle fronça le nez, sa réserve et sa prudence grandissant tandis qu'elle s'approchait.

Au centre de la trentaine d'aristocrates drapés de couleurs vives se tenait une silhouette sombre. Le reflet des rayons de soleil dans les joyaux bleus de sa couronne illuminait ses cheveux noirs d'éclats dansants. Eliane sentit ses épaules se crisper alors que la foule retenait son souffle.

— Altesse.

— Altesse.

La froideur de leurs tons fit l'effet d'une bise glacée dans le couloir. Les courtisans frissonnèrent d'une crainte instinctive, mais leurs regards se firent cruels, avides de tensions et de colportages.

— Que faites-vous là ?

— Je viens finir un cours d'histoire pour les plus âgés des pupilles. Et vous, mon Roi ?

Il serra les dents. La voix, à peine provocatrice, de son épouse, parvenait toujours à le mettre sur les nerfs. Elle le savait, en usait – et, plus rarement, en abusait – quand il fallait.

— Nous étions en train de débattre des prouesses en escrime de Jonah, sourit-il, presque fallacieux, en tapotant l'épaule de l'enfant en question.

Sous le regard azurin de la Reine, le jeune garçon parut se ratatiner. Mais Eliane ne l'observa pas bien longtemps ; très vite, elle reporta ses yeux sur Vilhelm, qui ne lui accordait aucun regard. Toute son attention était focalisée sur Dame Jassena de Terre, une lointaine cousine de Tyrha. Un instant, il releva la tête vers Eliane, et l'arrogance dans ses yeux parvint presque à dissimuler son imperceptible crainte. La souveraine tourna la tête vers Jassena, pas dupe pour deux sous, et la femme blêmit autant que sa peau sombre pouvait le permettre.

— Dame Jassena ? interrogea-t-elle.

— Altesse ?

Même si elle avait lutté pour garder une voix égale, elle paraissait craintive. Toutes les femmes savaient que Vilhelm demeurait, malgré les années et les insuccès, la chasse gardée d'Eliane. Elle de son côté était néanmoins certaine que quelques unes d'entre elles avaient réussi à se glisser dans le lit de son époux plus d'une fois, même si elle prétendait n'en rien savoir. Elle se rappelait ce qu'elle lui avait dit, des hivers auparavant, à propos des autres femmes qui partageraient sa couche, et lui s'en souvenait tout aussi bien.

— Vous paraissez un peu pâle, aujourd'hui... Un peu de soleil vous ferait du bien, non ? Voudriez-vous venir à cheval avec moi demain ?

Vilhelm essaya tant bien que mal d'adresser un regard discrètement réprobateur à son épouse, mais elle l'ignora royalement. Tous savaient que Jassena haïssait les chevaux. Mais qu'elle n'oserait malgré tout jamais refuser une invitation aussi directe de la Reine.

— Avec... plaisir, Votre Majesté.

— Parfait. Mon Roi, voudriez-vous venir avec moi ? Ou, le cas échéant, me laisser mes élèves ?

Vilhelm retira sa main de l'épaule de Jonah, et le jeune garçon détala en direction de la salle de classe aussi vite que l'étiquette le lui permettait.

— Non, je me passerai d'enfantillages de ce genre. Mais amusez-vous bien avec ces enfants...

Et non les vôtres, n'ajouta-t-il pas. Eliane encaissa le sous-entendu en silence, comme un coup de poing dans le plexus, se fendit d'un sourire plein de grâce, aussi affûté qu'une lame de rasoir.

— Je vous remercie, Sire.

Il courba poliment la tête, puis se détourna, et la Cour le suivit. Une fois qu'ils furent hors de vue et d'oreille, Eliane se permit un long soupir. Vilhelm avait vieilli, contrairement à elle. Les quarante hivers approchaient pour lui, ses traits s'étaient assouplis et sa silhouette enveloppée. Et avec leur jeunesse s'étaient étiolés les promesses de confiance et les espoirs aveugles. Déçu, d'abord par le temps que prenaient effectivement les changements mis en place, puis par les fausses couches successives, Vilhelm avait progressivement pris ses distances avec son épouse. Leur bonheur éphémère avait duré à peu près trois hivers, et au-delà, les épreuves et les tensions avaient commencé à les marquer tous les deux. Aujourd'hui, avec l'expérience qu'il avait – ou pensait avoir – acquise, il n'hésitait plus à la contredire ou à la critiquer en public. Elle trouvait toujours le moyen de répondre ou de dévier le coup, ce qui avait le don de l'irriter encore davantage, mais plus personne ne pouvait ignorer que leur relation était plus qu'instable.

La gouvernance du royaume gardait cependant un axe à peu près commun aux deux. Les derniers changements économiques qu'Eliane voulait mettre en place arrivaient chacun à leur juste moment, et pour le reste, elle commençait à laisser la main à Vilhelm sur beaucoup de choses. Il s'était familiarisé avec son système de justice et de gestion, et avait appris à l'appliquer, et prenait des initiatives qu'elle considérait plutôt bonnes. Il appliquait un modèle hybride, un mélange d'Ombre et de l'ancien régime de Ciel, qui semblait convenir à la majeure partie de la population, et désormais, cela suffisait à Eliane. Même si elle avait toujours envie de faire au mieux, souvent, elle se contentait de bien. Elle commençait à comprendre pourquoi ce qu'elle aurait voulu voir advenir n'était pas possible, du moins, pas dans le temps qui lui était imparti.

Une étrange fatigue l'habitait, désormais. Elle se sentait lasse de ces hivers de lutte, de cette énergie qu'elle avait investie dans un royaume qui ne le lui rendait guère. Les seuls qui lui rendaient à peu près son affection étaient les pupilles royaux. Dans la longue pièce, qui avait auparavant été une salle de réunion, ils étaient une douzaine, garçons et filles âgés de onze à quinze ans, tous habillés d'uniformes identiques, bleu sombre et blanc, brodés de filigranes d'argent. Certains vivaient avec leurs parents, qui habitaient non loin, d'autres étaient hébergés par des familles aisées qui recevaient en contrepartie la gratitude – et un support financier – de la Couronne, et d'autres encore étaient logés à même le palais, en attente de leur trouver un foyer d'hébergement stable. Ils étaient nés enfants pauvres et démunis dans des familles qui peinaient à les nourrir, et se retrouvaient propulsés au cœur de la Cour, avec une éducation qui ferait d'eux les futurs fonctionnaires du Royaume.

Eliane considéra le manuel ouvert sur le bureau, en parcourut brièvement les pages, et salua Aren, un vieil historien aux cheveux grisonnants qui, dans l'éducation des plus jeunes, avait retrouvé sa volonté de vivre alors qu'il dépérissait d'ennui dans sa maisonnette insalubre à Eau.

— Permettez, maître, je reprendrai la leçon à partir d'ici.

◊~◊~◊

Hello !

Un peu de bonnes choses en ces temps troubles, un petit chapitre qui fait son apparition :)

(Et oui, un pitit timelapse de rien du tout.)

J'espère que vous allez bien ^^ Prenez soin de vous !

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