Marc-Antoine a une drôle de malédiction. Chaque matin, à son réveil, son nez change de forme. Un jour, il ressemble à une patate, le lendemain à celui d'un clown, le surlendemain il devient aquilin, et cela depuis qu'il a six ans. Il en est persuadé : une vilaine sorcière lui a jeté un sort pour avoir volé un bonbon à la boulangère le jour de son anniversaire, six jours plus tôt.
Mais ce matin, Marc-Antoine se trouvait fort ennuyé. Son nez avait ce matin décidé de prendre la forme d'une trompe d'éléphant. Il n'avait jamais rien eu contre les pachydermes, mais il devait avouer que sa trompe était lourde et son corps trop léger pour marcher avec. Il avait essayé, plusieurs fois. Son imposant nez finissait toujours par le faire basculer en avant et s'écraser le visage dans la moquette. Cette fois, il n'avait plus le choix, il devait mettre fin à la malédiction.
Il attrapa sa tirelire cochon et la brisa sur le tapis. Entre les vieux chewing-gum et les crottes de nez, une unique pièce de deux euros reposait. Cela suffirait pour rembourser la méchante boulangère qui, il en était sûr, était celle qui lui avait lancé ce sort ! Pour éviter que sa mère ne le voie dans cet état, il passa par la fenêtre et s'éclipsa discrètement.
La boulangerie se trouvait à deux rues de là. Sans réfléchir, il agrippa son vélo et monta dessus. Le deux roues bascula pitoyablement vers l'avant sous le poids de son nez et Marc-Antoine mangea de nouveau la poussière. Après un effort complexe pour se redresser, il décida de balancer sa trompe au-dessus de son épaule, camouflée dans son écharpe, et décida de partir au petit trot. Dix minutes et trois pauses plus tard, la boulangerie était enfin en visuel.
Avec appréhension, Marc-Antoine poussa l'impressionnante porte de la boutique. Le commerce était désert, si ce n'était la méchante boulangère, occupée à sortir des baguettes du four. Le petit garçon s'approcha du comptoir et se hissa au rebord pour appuyer sur la petite cloche. La boulangère cessa son travail et se retourna, d'abord confuse de ne voir personne, puis elle baissa les yeux vers lui.
"Oh, c'est toi, dit-elle d'une voix plein de reproches. Le petit voleur de bonbons."
S'il avait voulu faire demi-tour, Marc-Antoine ne l'aurait plus pu désormais. La dame sortit de derrière la vitrine pour lui bloquer la route.
"Tu as de la chance, tu sais. Si tu n'avais pas fini par revenir, je serais venu te chercher pour te dévorer tout cru. C'est ce que font les sorcières.
- Ma-euh-Madame... Voilà-euh-voici l'argent pour-euh-les bonbons. Je m'excuse."
Il lui tendit la pièce de deux euros, le regard cloué sur le sol. Elle ne la ramassa pas. Quand il releva les yeux, la boulangère souriait.
"C'est bon pour cette fois, dit-elle. Mais ne t'avise pas de recommencer ou sinon..."
Elle ouvrit la bouche, dévoilant deux rangées de dents pointues. Marc-Antoine frémit de terreur et rebroussa chemin, en se promettant de ne plus jamais voler. Lorsqu'il arriva chez lui, la trompe d'éléphant avait disparu et il put enfin reprendre une vie normale.