Dynasties / Eliane

Від ombrenoire

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Empires naissants et royaumes à l'aube de leur gloire, contrées en déclin et cités dépéries. Sur le continent... Більше

Dynasties
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L'Exilée (3)
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L'Exilée (5)
L'Exilée (6)
Épilogue
Remerciements

La Souveraine (6)

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Від ombrenoire

Par la suite, Eliane évita de se mêler de trop près à la politique de l'ensemble du royaume. Au lieu de cela, elle continua à prendre des nouvelles de sa Province par l'intermédiaire de son père et de son oncle et, avec Uriel à ses côtés, parchemin en main, elle procéda en premier lieu à une inspection complète des quartiers des serviteurs. Durant les cinq hivers qu'elle avait passées au château, elle s'en était abstenue, puisqu'elle n'avait aucune autorité sur ce qui s'y passait. Mais maintenant qu'elle était maîtresse du palais, elle ne se priva pas de faire les chambres une par une, parlant aux domestiques lorsqu'ils étaient présents, notant ce qui manquait et ce qui devait être réparé, remerciant chacun pour le travail fourni jusque là. Évidemment très mal interprété par la noblesse, le geste lui valut en revanche une admiration renouvelée de la part de ceux qui permettaient au château de fonctionner correctement.

Avec Karashei, elles parlèrent durant des heures et des heures des différentes Provinces, de ceux qui les représentaient à la Cour, des dangers de chacun. Ce fut aussi à Karashei qu'Eliane offrit, presque spontanément, quelques uns de ses plus beaux pantalons. La Demoiselle n'étant pas dupe, dès le lendemain, elle s'en habilla au petit-déjeuner, ce qui lui valut d'abord des regards moqueurs de la part des autres femmes. Mais, lorsqu'Eliane franchit à son tour les portes de la salle de réception en long pantalon tombant, les ricanements s'éteignirent, remplacés par une lueur de jalousie mauvaise. Une décade plus tard, la moitié des femmes s'y étaient converties, et les couturières du château ne savaient plus où se donner la tête.

Et puis, enfin, une lune entière après son couronnement, Eliane franchit pour la première fois les portes de la salle du conseil restreint. Elle prit place aux côtés de son époux en silence, fit signe à celui qui avait la parole de continuer, et écouta durant les heures qui suivaient. Les discours qu'elle entendit, contraires à tout ce que son père lui avait enseigné dans son enfance, lui hérissèrent le poil, mais elle demeura muette jusqu'à ce que son mari lui demande finalement ce qu'elle en pensait.

— Je pense que vous avez tort. Tous. Vous n'avez aucune idée de l'absurdité de vos exigences.

Ses paroles jetèrent un froid dans la salle agréablement chauffée au feu de cheminée. Les ministres ouvrirent la bouche pour protester, mais comme le Roi Vilhelm ne pipait mot, ils n'osèrent pas non plus s'imposer, maintenant que la parole avait été accordée à leur souveraine.

Eliane jeta un bref regard interrogateur à Vilhelm, qui l'encouragea à poursuivre d'un hochement de tête. Il y avait une étincelle de curiosité au fond de ses yeux noirs, comme de l'expectative silencieuse. Les tensions qui avaient semblé émerger au début du règne s'étaient temporairement apaisées, mais Eliane les sentait bouillonner sous la surface, comme un ruisseau aux eaux troubles et aux courants traîtres.

— Chez moi, nous allons régulièrement voir chaque famille, ou alors, inversement, nous l'invitons chez nous. Nous leur demandons ce dont ils ont besoin, ce qu'ils voudraient voir comme aménagements pour...

— Je ne souhaite pas vous offenser, Votre Grâce, l'interrompit un vieil homme aux cheveux gris filasse, mais ceci n'est pas la Province d'Ombre.

— Je souhaite pas vous offenser, Messire, mais le fait est que votre économie est en chute libre depuis des hivers, alors que la nôtre fleurit.

La remarque acide refroidit le vieil homme, qui coula un regard presque désespéré à son souverain. Mais Vilhelm ne bougeait pas. Ses yeux sombres étaient rivés sur Eliane, emplis de questions silencieuses. Voyant qu'elle avait son soutien muet, elle reprit :

— Vous êtes enfermés dans ce château, à l'abri de la réalité. La famine, le froid, les épidémies, ce ne sont pas des faits de votre quotidien. Au lieu de chercher à imposer des taxes à l'aveuglette, allez à la rencontre de la population. Sachez ce dont elle a besoin, avant de réclamer quelque chose de sa part.

— Mais ils doivent payer les taxes ! s'offusqua un ministre.

— N'est-ce pas plutôt le roi qui est censé aider sa population ? cingla Eliane. Arrêtez-moi si je me trompe, mais il me semble que l'unique raison pour laquelle les paysans doivent une taxe à leur souverain, c'est afin que celui-ci les aide en retour.

— Absolument pas ! La royauté est un privilège avant tout ! grinça le même vieillard, agacé.

Eliane ne chercha pas à réprimer le sourire dur qui affleurait à ses lèvres.

— Donc si je vous démets de vos fonctions et vous chasse du château, demain, vous serez capable de remplir vous-même votre assiette, en allant labourer la terre si c'est nécessaire ?

— Parce que vous en êtes capable ?

Le ton hautain fit courir des frissons sur les échines des autres ministres, qui se mirent brusquement à craindre la réaction d'Eliane d'Ombre. Ils étaient conscients que leur confrère poussait ses droits un peu trop loin, la mâchoire serrée de Vilhelm en attestaient. Mais le roi ne faisait pas mine d'intervenir.

— Oui. Et vous ?

La réponse, si simple qu'elle en devenait provocatrice, avait quelque chose d'insidieusement menaçant. Cette fois-ci, le vieillard le perçut, et recula instinctivement dans sa chaise, réalisant enfin ce qu'il venait de dire. Il jeta un regard angoissé à son souverain, qui regardait toujours son épouse, comme incapable de s'en détacher. Eliane, s'en apercevant, se tourna vers lui avec un sourire.

— Altesse ?

— Le conseil est ajourné, déclara-t-il d'une voix distante. Messires, je vous retrouverai demain pour nos discussions habituelles.

Ils n'osèrent protester, déguerpirent au plus vite. Le lourd battant de bois claqua derrière eux lorsque le dernier, le vieil homme, eut fiché le camp, ses parchemins ramenés contre sa poitrine comme un trésor. Eliane les regarda fuir avec un sourire pensif.

— Altesse, si vous trouvez que je dépasse les limites, vous devez me le dire... soupira-t-elle finalement.

— Au contraire, fit Vilhelm en lui attrapant le poignet d'un geste familier. Je me demande chaque jour un peu plus combien j'en sais encore peu sur l'art de régner.

Elle lui sourit, fit pivoter sa chaise pour lui faire face. Le raclement du bois contre les pierres froides résonna quelques secondes dans la petite pièce, avant d'être brisé par un soupir :

— Je vous ai observée, cette dernière lune. Vous êtes impressionnante. Votre initiative avec les serviteurs, vos petites modifications dans l'administration... J'ai l'impression que le palais ne pourrait pas mieux fonctionner, et pourtant, chaque jour vous changez quelque chose, et chaque jour, ça s'améliore encore un peu.

Eliane baissa les yeux sur sa main blanche, que son mari serrait doucement, pensive.

— Vous savez, finit-elle par souffler, peu avant notre couronnement, votre père m'avait demandé pourquoi je désirais le pouvoir. Je lui ai répondu que j'avais la possibilité de l'obtenir, et que je n'allais pas m'en priver. Mais ce n'est qu'une partie de la vérité.

Vilhelm l'écoutait en silence. Son pouce dessinait de petits cercles concentriques au creux de la paume de sa femme, qui se prit à sourire.

— La totalité de la vérité, c'est que je sais que le modèle d'Ombre est durable, et juste. Et cela me peine de voir qu'il n'est pas appliqué ailleurs, que les populations pauvres souffrent de la cruauté des plus grands. Alors, si je peux changer quelque chose...

Elle laissa sa phrase en suspens, surprise de sentir que les doigts de Vilhelm se resserraient autour de son poignet, fermes, rassurants. Leurs regards se croisèrent, s'accrochèrent. Bleu dans noir, noir dans bleu, communion muette d'idéaux.

— De ce que vous m'avez dit pour le moment, j'ai l'impression que nous avons beaucoup à gagner en vous écoutant.

— Ce sera long, prévint-elle. On ne change pas aisément ce genre de vieilles mentalités.

— Nous prendrons le temps qu'il faudra, sourit-il, presque fataliste.

Eliane le considéra avec attention, curieuse de savoir ce qui avait motivé son changement d'attitude cette dernière lune. Elle n'avait pas l'impression d'avoir fait quoi que ce soit pour l'influencer. En fait, elle s'était contentée d'être tout aussi courtoise qu'elle l'avait été par le passé, et toute aussi distante, puisque prise par ses nouvelles obligations. Tous les soirs, elle s'était couchée aux côtés de son mari, elle lui avait demandé comment s'était passée sa journée, lui avait raconté la sienne en retour. Ils avaient été aussi proches que deux jeunes époux se connaissant à peine pouvaient l'être. Elle lui avait volontairement laissé du temps, et de l'espace, pour qu'il puisse se remettre de la perte d'Imogen, au-delà de ce que le sortilège d'Aitah lui faisait oublier.

— Altesse, si je peux me permettre...

— Vous parlerez en mon nom, décréta-t-il. Prenez les mesures que vous estimez nécessaires, dans le palais comme dans tout le royaume.

Elle inclina la tête, honorée par la confiance qu'il lui accordait et ravie de voir qu'il acceptait ses décisions.


Trois lunes s'écoulèrent dans un calme presque idyllique, sans incidents graves ni troubles majeurs, que ce soit au sein de la Cour comme dans le couple royal. Sans pour autant être follement amoureux ni vivre un bonheur parfait, Eliane et Vilhelm gouvernaient sagement et plutôt justement, amenant les changements dans l'économie et la régence un à un. Tyrha, dont Eliane prenait des nouvelles régulièrement, subissait encore le joug de Gaxier, mais la fin approchait. Elliott, rendu furieux par l'agression de Karashei, s'était porté volontaire pour accomplir la sale besogne. Se faisant passer pour un jeune page affecté au service de Tyrha, il avait emménagé dans le manoir de Gaxier et chaque jour depuis ces quatre dernières lunes, il versait une goutte de poison lent dans la boisson du maître des lieux.

Au début, ces petites doses de la potion préparée par Eliane n'avaient eu aucune incidence. Mais, au bout de quatre ou cinq décades, la santé du cousin du roi avait lentement commencé à se dégrader. Il avait d'abord commencé à tousser, couvant une mauvaise grippe qui partirait bien vite – d'après les médecins en tout cas. La grippe n'était cependant jamais partie, et aujourd'hui, il était alité, incapable de se lever, criblé de douleurs au moindre mouvement. La souveraine savait qu'il vivait ses derniers jours, rongé par le poison. Même si Elliott stoppait les traitements aujourd'hui, le sort de Gaxier était scellé... et ce n'était pas exactement pour déplaire à quiconque. Depuis qu'il s'était marié à Tyrha et avait rejoint son manoir, gentiment congédié par le Roi, l'atmosphère dans les sphères féminines de la Cour s'était quelque peu allégée. Quand quelqu'un mentionnait sa maladie, toutes murmuraient des vœux de prompt rétablissement par politesse, mais le cœur n'y était pas. L'ombre du charognard avait enfin cessé de peser sur les courtisanes, qui se réjouissaient de ne plus avoir s'inquiéter pour elles-mêmes ou pour leurs filles.

Bien sûr, des rumeurs au sujet de Tyrha avaient émergé. Son mariage presque secret tant la cérémonie avait été privée, puis la regrettable maladie de son nouvel époux, étaient évidemment sources de murmures. Mais Tyrha, isolée dans l'immense demeure dont elle hériterait bientôt, le vivait bien. Sa grossesse, désormais officialisée, la rendait quasiment intouchable puisque Gaxier s'était vanté haut et fort d'avoir enfin un héritier. Même si, parmi les nobles de la province de Terre, nombreux suspectaient qu'elle était en vérité enceinte de ce soldat décapité, ils ne pouvaient rien dire. Et, conformément à l'arrangement entre Eliane et Dalethras, la famille proche de Tyrha n'avouerait jamais la vérité.

En près de trois lunes, la souveraine avait affirmé son pouvoir sur l'ensemble du royaume. Désormais, tous savaient qu'aucune décision n'était prise sans son consentement, et tous avaient appris à craindre les fonctionnaires qu'elle avait nommés. Dédaignant les coutumes, rompant avec les conventions tacites, elle avait attribué de nombreux postes auparavant occupés par les descendants d'importantes familles à de simples roturiers, que l'efficacité et la dévotion à leur Reine rendaient redoutables.

En outre, les traditions perdaient enfin du terrain face aux nouvelles habitudes. Désormais, tous les jours, les portes du palais étaient ouvertes le matin aux doléances de la population. Si ce n'était pas la Reine elle-même qui écoutait les plaintes, Uriel ou Karashei prenaient le relais, et si même eux n'étaient pas disponibles, c'était un fonctionnaire de confiance qui prenait la main. La cité de Ciel commençait, doucement mais sûrement, à se transformer. En fonction des remarques des uns et des autres, la sécurité était augmentée dans certains quartiers, les canaux nettoyés, les routes repavées.

Eliane était consciente que ce n'était pas encore le modèle d'Ombre qui était appliqué, loin de là, mais les choses évoluaient doucement, et c'étaient ces changements-là qui la ravissaient le plus et lui donnaient le courage de prendre les décisions difficiles.

Ce soir-là, elle s'attendait à une confrontation particulièrement pénible. En prévision des évènements, elle avait décidé de couper à ses devoirs un peu plus tôt que d'habitude et d'esquiver la réception prévue dans la grande salle. Sa disparition ne passerait certainement pas inaperçue, mais elle n'y prêtait pas grande attention. Depuis la veille, elle sentait des élancements au bas du dos, douloureux mais pas insupportables. Un bain la délasserait après la longue journée qu'elle avait passée.

L'eau brûlante lui tira un sourire d'aise, qui se transforma un instant en grimace quand elle vit la couche de givre qui constellait les bords de sa baignoire. Depuis quelques décades, son arcane de glace s'était faite rebelle, difficile à maîtriser. Elle n'avait aucun doute sur les raisons qui provoquaient ces changements, puisque ses menstrues s'étaient arrêtées, son appétit avait changé et son corps se transformait presque imperceptiblement. Mais l'idée de ne plus maîtriser une arcane aussi puissante et dangereuse l'irritait. Elle avait passé trop de temps à apprendre à la garder sous contrôle pour ne plus blesser quelqu'un par accident.

La peau légèrement rosie par la température, elle ferma les yeux et laissa aller sa tête en arrière sur le rebord de la cuvette de pierre. Le silence de la suite royale était bienvenu, après les heures passées dans les murmures de la Cour. Son esprit, libéré des contraintes, dériva vers l'échiquier posé sur son bureau, qu'elle utilisait pour représenter la situation politique actuelle. Pour le moment, tout était plutôt équilibré, les pièces noires et blanches n'avaient pas encore commencé à s'entre-tuer. Elle savait cependant que ce n'était qu'une question de temps, et aujourd'hui était un jour déterminant.

Somnolente, elle s'oublia dans les secondes qui s'écoulaient l'une après l'autre, jusqu'à ce que l'eau commence à tiédir. Alors, elle se redressa pour sortir, voulut appeler Astryd pour qu'elle lui apporte une serviette.

La douleur soudaine, vive et tranchante, jaillit de nulle part, lui coupa le souffle. Elle hoqueta, se replia sur elle même avec l'impression d'être déchirée de l'intérieur, émit une plainte sourde. Le calme des lieux s'était évaporé. Haletant, elle battit des paupières, la vision troublée par les larmes, porta instinctivement la main à son bas-ventre. La souffrance venait par lames successives, ininterrompues, qui n'avaient pas le temps de refluer que déjà la suivante arrivait.

Sonnée, elle s'accrocha de toutes ses forces au bord de la cuvette, à en faire blanchir ses jointures déjà pâles, jusqu'à ce que les vagues s'espacent un peu. Alors seulement, le souffle court, l'esprit cotonneux, elle sortit un pied hors de l'eau désormais froide, se laissa glisser, à peine consciente de ses gestes, sur le carrelage de la salle de bains, et se replia sur elle-même.

— As... Astryd... coassa-t-elle péniblement.

D'interminables secondes s'écoulèrent avant que la tête brune de la servante n'apparaisse dans l'embrasure. Quand elle vit Eliane, prostrée au sol, secouée de tremblements convulsifs, elle se précipita à ses côtés, presque effrayée de la voir dans un tel état. Elle l'enveloppa sans un mot dans une épaisse serviette de bain, puis se serra contre elle, comme une éternité plus tôt, lorsqu'elles étaient encore gamines.

Agenouillée, impuissante, incapable de bouger, Eliane essayait désespérément de comprendre, mais la souffrance obscurcissait encore ses pensées. Elle avait la sensation qu'on était en train de l'écorcher vive. Ses joues étaient humides de pleurs brûlants, mais elle se sentait transie de froid. Une pointe de peur pernicieuse s'instillait doucement dans ses veines, paralysait ses muscles.

Pourtant, enfin, elle consentit à se redresser. Ses larmes s'étaient taries d'épuisement, ses spasmes s'étaient réduits à un léger tremblement de ses doigts. Quand elle se releva, la tête basse, elle vit immédiatement la mare de liquide dans laquelle ses pieds trempaient, et les longs sillons écarlates qui striaient ses jambes. Dans l'éclairage terne des chandeliers muraux, le sang qui avait coulé sur sa peau diaphane prenait des reflets bruns, presque noirs. Astryd hoqueta.

Une nouvelle vague de contractions afflua, arrachant une plainte sourde à Eliane. Les yeux hagards, elle chercha l'appui de son amie, qui paraissait à la fois horrifiée et terrorisée. Il était beaucoup trop tôt.

— Lewuen... souffla Eliane entre deux inspirations hachées.

Astryd hocha la tête, se redressa, fonça vers la chambre à coucher. Elle revint avec deux coussins, qu'elle cala sous le dos d'Eliane, et un peignoir dont elle la recouvrit hâtivement, jeta la serviette de bain ensanglantée dans un coin, puis sprinta en direction des couloirs. Demeurée seule, Eliane, l'esprit en vrac, s'appliqua à souffler longuement, mettant toute sa volonté dans le déni, jusqu'à ce que son amie et l'alchimiste arrivent.

Les heures qui suivirent se perdirent dans une brume trouble et sanglante aux allures d'agonie cauchemardesque. Eliane saignait si abondamment que, durant un moment, l'alchimiste craignit une hémorragie interne. Le labeur se prolongea jusqu'à la moitié de la nuit et quand, enfin, le bébé fut expulsé au prix d'inconcevables souffrances, tous le considérèrent avec un abrutissement mêlé de désespoir. Eliane, elle, le fixa sans un mot, le regard vide, dénué d'émotions. La terreur qui l'avait habitée tout le long venait de la quitter. Quelque chose s'était rompu.

Elle s'était rompue.

Dans la poche translucide qui s'était déchirée à l'air libre, on distinguait un petit corps, de la taille d'une paume de main, rose violacé. Il avait de petits bras et de petites jambes, des oreilles minuscules, des yeux encore fermés sur un visage aux contours indubitablement humains. Sa tête faisait presque la même taille que le reste du corps, et sous sa peau fine, les veines étaient dessinaient un inextricable réseau de fils bleuâtres entremêlés. On voyait même les doigts et les orteils. Il n'y avait aucune malformation visible, aucun trouble apparent.

Vilhelm, qui avait rejoint la scène peu auparavant, ne put contenir un haut-le-cœur, et sortit de la pièce presque en courant. Quand il revint, Eliane discerna dans ses yeux sombres une pointe de déception, qui ne s'attarda pas bien longtemps.

◊~◊~◊

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