Hating, Craving, Falling

By VicArroyo

225K 11.7K 4.6K

| Gagnant Wattys 2018, catégorie « Acteurs du changement » | Si Charly Sanders est bien sûre d'une chose, c'... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
ÉPILOGUE
Bonus - Lettre
Playlist Hating, Craving, Falling

Chapitre 38

2.5K 179 34
By VicArroyo

En début de semaine, j'ai la surprise d'apprendre que j'ai droit à quelques jours de congés que je pose pour le vendredi et lundi qui arrivent afin de profiter d'un long week-end. Le travail s'accumule et un peu de repos ne me fera pas de mal. Surtout que mon cerveau ne s'arrête plus depuis l'annonce de Chloé. Mon esprit est focalisé sur son procès et je parviens difficilement à penser à autre chose.

Le mercredi, je ne croise Chloé qu'à trois occasions. Une fois en arrivant, puis lors d'une concertation avec Joanne à propos de notre potentiel client du 8 mars, et enfin quand elle prend congé à 18 heures. Le point commun à ces trois épisodes est sa tension palpable depuis les îles Fidji. Ses yeux n'ont jamais été aussi cernés, elle était totalement déconcentrée, et j'ai cru qu'elle allait tout simplement exploser, ou s'effondrer, au choix. J'ai hésité à essayer de la dérider un peu, mais aucune phrase n'a su se former correctement pour éviter d'avoir l'air de me mêler de ce qui ne me regarde pas.

Mes pensées à son propos sont confuses et embrouillées, mais maintenant, je possède un élément de compréhension. Élément que je passe la soirée à retourner dans tous les sens dans mon esprit pour essayer d'en tirer quelque chose, en vain. Sa situation est délicate, et je suis désolée pour elle, mais pourquoi est-ce que ça me prend aux tripes à ce point ? Pourquoi j'ai l'impression que c'est mon histoire qui se joue à la place de la sienne ? Mon estomac en est tellement noué que je finis par aller me coucher sans rien manger.

La journée du jeudi, quant à elle, se révèle interminable. Impossible de me concentrer sur mon travail. Une partie de mes pensées sont dirigées vers Chloé, je l'imagine toute petite dans un grand tribunal, face à la raison affreuse qui l'a emmenée là, et ça me tord les boyaux. L'autre partie angoisse pour ma rencontre de ce soir et je regrette plus que jamais d'avoir proposé à ma mère de me rejoindre. Je n'ai aucune idée de ce que je vais lui dire et mon esprit est bien trop encombré pour que je lui accorde toute mon attention.

Le soir venu, je conduis jusqu'au lieu de rendez-vous et arrive bien trop en avance. Je commande un café en m'installant à une table près de la baie vitrée. Avec vue sur la rue, je pourrais l'apercevoir en premier si elle se décide à venir. Mais les minutes s'égrènent et je me sens désespérément seule. Je savais que c'était une erreur, elle ne viendra pas. Il n'est même pas encore 19h05 que je suis persuadée qu'elle m'a posé un lapin. Habituellement elle ne veut même pas me parler alors qu'est-ce qui la motiverait à conduire à une heure de chez elle pour voir sa fille ?

Je tapote la table du bout des doigts en regardant la vie se dérouler devant mes yeux. Je ne connais pas bien Albertville, n'y étant allée que de très rares fois. Le café donne sur une petite place occupée par une église entourée d'arbres. C'est bucolique. Je vois une femme sortir de sa voiture et serrer son manteau contre elle. Un peu plus loin, un homme tient la main de son gamin, vêtu d'un blouson rose pâle et de bottes de neige à fleurs. Un autre homme les dépasse en marchant rapidement, le téléphone contre l'oreille, ses lèvres bougeant à toute vitesse à mesure qu'il parle.

L'heure est presque écoulée et la serveuse me demande si je désire autre chose, mais je secoue la tête en souriant faiblement. Alors que je commence à me lever pour décrocher mon manteau de la chaise, ma mère se matérialise devant moi, légèrement essoufflée.

– Désolée... Je n'ai pas pu me libérer avant, s'excuse-t-elle doucement.

Je l'ai vue il y a quelques mois seulement à l'anniversaire de mon grand-père, et pourtant j'ai l'impression que cela fait des années que je ne l'ai pas réellement observée. Elle possède les même yeux verts que moi, sous de longs sourcils qui semblent toujours haussés, comme si son expression naturelle était l'étonnement. Elle est maigre et frêle, mais je sais qu'elle est résistante. Elle est peut-être d'une passivité affligeante, mais elle n'a jamais flanché, à s'occuper des courses, de la maison, de nous, enfin surtout de mon frère et ma sœur. Elle tenait l'intendance et les comptes bien qu'elle ne ramenait pas d'argent à la maison. Je ne sais pas si elle a jamais pris un seul instant pour elle dans sa vie.

Maintenant que je l'ai face à moi, seule, elle me fait un peu de peine. J'ai encore plus envie de la sortir des griffes de mon père. Elle n'est plus toute jeune, mais il n'est jamais trop tard pour s'émanciper, si tant est qu'elle le veuille.

Elle s'installe face à moi, ôtant son bonnet et son écharpe, et nous échangeons quelques banalités tandis qu'elle attend son café. Elle n'est pas très bavarde, mais ne présente aucune hostilité. Pas que j'en attendais d'elle, ceci dit. Elle est égale à elle-même. Plate.

Au bout d'un moment, après avoir fait le tour de tous les non-sujets que nous pouvions partager, je décide d'arracher le pansement d'un coup.

– Tu sais, tu mérites mieux comme vie.

Elle fronce les sourcils, ne comprenant pas ce que je cherche à lui dire.

– Il y a quelque chose dont je dois te parler à propos de papa...

Je me triture la lèvre du bout des doigts, comme si ceux-ci me disaient de me taire, mais je ne les écoute pas.

– Tu as été témoin de toute l'homophobie qu'il m'a fait subir, mais ça avait commencé bien avant... Maman, tu dois savoir que Papa a abusé de moi psychologiquement et émotionnellement toute mon enfance. Il n'est pas sain.

C'est la première fois que je verbalise cela à haute voix et je ne sais pas trop quel effet ça me fait, malgré un frisson qui me traverse.

Elle ne répond pas tout de suite, baissant la tête en déchirant le bord de la petite serviette en papier. J'ai l'impression que trois éternités s'écoulent avant de la voir secouer la tête.

– Il me disait les pires horreurs quand il n'y avait personne d'autre, alors tu ne pouvais pas le savoir. Même si je n'ai jamais compris pourquoi tu ne prenais pas ma défense les rares fois où il m'attaquait devant toi.

– Je ne voulais pas me mettre entre ton père et toi.

C'est sur mon visage que se peint l'étonnement. Ce n'est clairement pas la réponse que j'espérais.

– Quoi ? Mais... c'est un peu le principe, en fait, non ?

Elle hausse les épaules.

– C'était vos histoires, je pense qu'il voulait seulement t'apprendre la vie.

Ses paroles me sonnent. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais certainement pas à ça. J'ai toujours cru qu'elle n'était jamais intervenue car elle n'osait pas, car elle avait peur. Je n'ai jamais imaginé une seule seconde que sa passivité était tout à fait volontaire.

– M'apprendre la vie ? répété-je en essayant de croiser son regard sans succès. Mais enfin, Maman, tu ne te rends pas compte que j'ai vécu un enfer ?

– Il faut le comprendre... C'était compliqué pour lui.

– Compliqué ?!

J'en tombe des nues. J'ai l'impression d'être un perroquet mais je ne sais comment réagir autrement. Je sens la colère bouillir dans mes veines, et je suis tellement épuisée de ressentir tout cela.

– Quelle « complication » peut justifier de maltraiter son enfant comme ça ? Parce que c'est ce que c'est, Maman ! De la maltraitance.

– Ne dis pas n'importe quoi. Il ne t'a jamais frappé. Il y a des choses que tu ne sais pas, c'est tout. Il faut le pardonner, le pauvre.

Le pauvre ?!

Je manque de me lever et balancer la table devant moi tant je suis envahie par la rage. Les paroles de ma mère sont incompréhensibles. Il m'est fondamentalement impossible de comprendre ce qu'elle dit, de comprendre qu'elle savait mais qu'elle n'a jamais rien faire. Pire, qu'elle lui trouve des excuses. J'essaie de calmer ma respiration et contrôler mes émotions car je ne veux pas lui montrer à quel point son désintérêt m'affecte.

– Explique-moi, alors. Explique-moi pourquoi je dois le pardonner, parce que là ça me paraît impossible.

– Il se trouve que ton père a toujours voulu un fils. Et pendant ma grossesse, on nous a toujours dit que tu serais un garçon, alors quand tu es arrivée à la naissance...

– Je le sais ça ! Il ne s'est pas privé d'en parler à Alex. Mais ça n'excuse absolument rien.

– On a dû faire le deuil de notre fils avant d'enfin avoir ton frère. Il n'a jamais réussi à s'attacher à toi, ça a été dur tu sais, pour moi aussi. Et puis après, tu ne l'as pas aidé, Léa nous a raconté ce que tu as fait lors de l'accident. C'est très compliqué de te pardonner, il aurait pu mourir.

J'entends mon cœur tomber à mes pieds. C'est invraisemblable. Je ne pensais pas que ça pouvait être pire.

En partageant mon idée à Alex, je pensais que cet échange me permettrait de comprendre et de repartir du bon pied. Mais elle a toujours été de son côté, et vient même de confirmer la dure vérité. Mes parents ne m'ont jamais aimée, et la douleur n'en est que plus cuisante. Paradoxalement, elle me libère presque. Voir la facilité dont elle admet ce que personne n'assumerait jamais de penser. J'ai toujours pensé que ma mère était passive, il s'agissait en réalité d'un détachement profond.

Une lassitude extrême s'abat sur moi.

– Pourquoi es-tu venue à ce rendez-vous, Maman ?

La surprise marque ses traits.

– Eh bien, parce que tu me l'as demandé.

– C'est tout ? Pas pour renouer le contact avec moi, pas pour qu'on puisse former une famille à nouveau ?

– Je... Je ne sais pas si c'est possible. Vas-tu t'excuser auprès de ton père ?

Je manque défaillir.

– M'excuser ? Maman, as-tu compris un seul des mots que j'ai prononcés ?

Elle pose son regard sur moi, les lèvres pincées, et laisse le silence nous envahir. Chacune d'un côté de la table. À se regarder dans le blanc des yeux.

La scission de la famille.

Le bien face au mal.

Le passé contre le futur.

Le silence s'étire et j'inspire, réfléchissant à ce que je souhaite lui dire. Je ne suis pas venue ici pour lui reprocher quoi que ce soit, je voulais juste discuter et comprendre. Mais maintenant que cela est fait, mon cerveau semble vide. Je m'étais imaginé qu'elle était sous l'emprise de mon père, qu'elle n'était pas réellement consciente de la situation. Naïvement, je pensais qu'on pouvait peut-être repartir sur de bonnes bases, que l'eau avait coulé sous les ponts. Mais finalement, je me rends compte que je n'ai absolument rien de plus à lui dire. Je n'ai pas envie de lui demander de me rendre des comptes, je ne souhaite pas entendre le moindre argument supplémentaire venant d'elle et encore moins ses reproches.

En vérité, elle avait le choix depuis le début : celui de me soutenir, ou celui de me renier. Elle n'a jamais fait le premier, à mon tour de faire le second.

Je prends alors la décision qui s'impose, qui paraît la plus logique.

– Je pense que c'était la dernière fois qu'on se voyait, Maman.

– D'accord.

D'accord ?

Elle n'a même pas hésité deux secondes avant de formuler ces mots. Je m'attends à ce que mon cœur se contracte sous la douleur de ses paroles, mais celles-ci glissent sur moi, comme son regard. Le sentiment de libération à peine ressenti un peu plus tôt m'envahit comme un tsunami. Toute la peine, toute la culpabilité qui m'habitaient semblent s'évaporer doucement pour laisser place à une évidence.

Il me manquait juste ses explications pour comprendre. Tant de temps à ressasser le passé et à saler mes blessures pour finalement réaliser qu'elles ont déjà commencé leur cicatrisation. Je pensais avoir encore une cargaison de mots à livrer à ma famille, mais mon panier est vide. Nos mondes se sont éloignés, je n'ai plus rien à voir avec eux, je n'ai plus besoin d'être en lien avec eux. Je croyais devoir la sauver des griffes de mon père, mais elle ronronne contre son flanc, et si elle se complait dans cette situation, alors tant mieux pour elle. Ce n'est plus mon problème, ce n'est plus ma bataille.

En me levant, en la regardant sans vraiment la voir, je réalise que mon deuil est fait depuis longtemps, il me manquait juste la prise de conscience, et elle vient de s'opérer.

Je laisse un peu d'argent sur la table et range ma chaise avant de disparaître sans me retourner, le regard braqué vers l'avenir.

********

Bonjour bonjour,

Et voilà une coupure franche concernant la famille. Parfois, il n'y a rien d'autre à faire que simplement couper les ponts, pour se protéger et pour avancer.

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Je vous souhaite un bon week-end et vous dis à demain pour un court chapitre !

xx

Victoria

Continue Reading

You'll Also Like

15.3K 1.9K 36
Devenue esclave après l'invasion de son village par les soldats de l'Empereur Androclès, Lektha se force à mener une vie de gladiatrice sans l'espoir...
1.8K 184 20
Rhéa s'inscrit sur un site de rencontre et donne rendez-vous dans une librairie à sa crush
419K 30.3K 90
« - Il y a les caméras, souris. - Mais je saigne... - Je t'ai dit de sourire. » Fiancée depuis toute petite à un homme violent et qui ne l'aime pas...
3.3M 123K 109
[ chronique terminée ] De sa vie paisible à celle pleine de regrets, aveuglée par ces sentiments Neyla fera-t-elle les bons choix ?