Dynasties / Eliane

By ombrenoire

2K 392 147

Empires naissants et royaumes à l'aube de leur gloire, contrées en déclin et cités dépéries. Sur le continent... More

Dynasties
La Demoiselle (1)
La Demoiselle (2)
La Demoiselle (3)
La Demoiselle (4)
La Demoiselle (5)
La Demoiselle (6)
La Demoiselle (7)
La Demoiselle (8)
La Favorite (1)
La Favorite (2)
La Favorite (3)
La Favorite (4)
La Favorite (5)
La Favorite (6)
La Souveraine (1)
La Souveraine (2)
La Souveraine (3)
La Souveraine (4)
La Souveraine (5)
La Souveraine (6)
La Souveraine (7)
L'Exilée (1)
L'Exilée (2)
L'Exilée (3)
L'Exilée (4)
L'Exilée (5)
L'Exilée (6)
Épilogue
Remerciements

La Favorite (7)

68 13 6
By ombrenoire

L'enfant sondait la salle de ses yeux azurins, détaillait les convives, observait les visages. Partout, il n'y avait que des rires, des éclats de voix, des expressions heureuses et des yeux aux pupilles dilatées par l'alcool et la faible luminosité de la salle de banquet. Assise aux côtés d'une place vacante, qui était censée être occupée par son père, elle avait une vue imprenable sur le souverain d'Helvethras lui-même, le Roi Laurus, son épouse et son fils, qui occupaient les trois places d'honneur. En face d'eux, un ménestrel convoqué à la hâte pinçait les cordes de sa lyre, à la recherche d'un accord joyeux qui lui permettrait de chanter une ballade. Finalement, il trouva une tonalité qui semblait lui convenir, au grand bonheur de l'ensemble de la salle, dont les bruissements s'apaisèrent quelque peu. Eliane tourna la tête, toujours à la recherche de son père, mais déjà, elle prêtait oreille distraite aux premiers mots.

Elle trouva les phrases belles, mais plates. Il manquait quelque chose au ménestrel, contrairement à d'autres qu'elle avait déjà eu l'occasion d'entendre. Celui-ci souhaitait clairement dépeindre la vaillance de son roi et, plus les vers s'enchaînaient, plus la redondance de termes comme bravoure, courage et fierté lui donnait la terrible sensation que le poète, qui qu'il soit, n'avait aucune idée de ce dont il parlait. La bataille n'avait eu lieu que quelques heures plus tôt, mais elle semblait toujours aussi distante, toujours aussi peu vivante. Elle avait vu certains hommes de son père rentrer du champ de bataille, ensanglantés, vacillants, et leurs yeux étaient comme morts, hantés par les échos de combats qu'ils revivaient. Tout son être se rebellait contre les belles descriptions du chanteur, qui contrastaient trop avec le peu qu'elle avait déjà eu l'occasion de voir.

Et, alors que le ménestrel attaquait une nouvelle strophe où, enfin, un vol de chauves-souris aux ailes noires comme la nuit tombante venait porter secours aux faucons en déroute, quelqu'un, juste à côté d'elle, plaqua violemment ses paumes contre la table. Eliane sursauta, leva la tête, avisa le profil rude de son père, qui s'était tenu dans son dos sans qu'elle ne le remarque, et qui dardait maintenant ses yeux de glace sur le chanteur. Les mots de ce dernier moururent sur ses lèvres, ses doigts s'immobilisèrent au-dessus des cordes de l'instrument, il déglutit.

— Zerrhus, asseyez-vous, offrit le Roi Laurus d'une voix tendue.

Dans la clarté des lampes, la strie sanglante sur sa joue lui donnait un air sévère, presque combattif, mais lorsque le Sire d'Ombre ficha son regard dans celui de son souverain, ce dernier sembla se recroqueviller sur lui-même comme s'il avait été touché par une flèche. Même s'il luttait pour conserver une façade avenante et un sourire poli, Eliane vit sa peur soudaine, la sentit dans son propre corps comme un frisson d'appréhension. Elle savait, même du haut de ses cinq hivers, qui était le souverain et, même si elle ne le comprenait pas encore, elle sentait que la puissance n'était pas dans les mains de celui qui détenait officiellement l'autorité suprême.

— J'ai fait mon devoir envers vous, Altesse, siffla Zerrhus, glacial. Mais ne me demandez pas de m'asseoir et d'écouter de ridicules poèmes mensongers quand les corps jonchent encore la plaine.

L'assemblée fut secouée d'un hoquet d'effroi, mais déjà, il se tournait vers sa fille. Face au brasier glacial de ses yeux, Eliane se raidit, momentanément effrayée par les éclairs qu'elle avait presque vus jaillir de iris azurins. Jamais elle ne l'avait vu aussi furieux.

— Eliane, viens avec moi.

Elle se leva sans un mot, déposa sur la table la serviette qui avait couvert ses genoux, et s'engagea à la suite de son père dans le silence mortuaire de la noblesse, qui observait le Sire d'Ombre et sa fille avec attention.

— Sire Zerrhus, appela encore le Roi, où allez-vous ?

— Là où on a le plus besoin de moi, cingla-t-il sans se retourner.

Dans les couloirs, il prit la main de sa fille et, sous les regards choqués des courtisans de Ciel réfugiés à Ombre, l'entraîna droit en direction des remparts. Bientôt, les bruits de la fête se réduisirent à un lointain écho, les robes bouffantes et les riches parures furent remplacées par des uniformes sombres, poussiéreux, maculés de sang séché, et les capiteux parfums des mets du dîner s'évaporèrent pour laisser place à l'aigre puanteur métallique de la viande en décomposition. Eliane fronça le nez en montant les marches qui menaient à la tour de guet, le cœur au bord des lèvres.

Les soldats d'Ombre, affalés contre les murs ou appuyés contre leurs hallebardes, la saluaient de hochements de tête, las mais familiers, ou de sourires épuisés. Pour la plupart, ils semblaient à peine tenir sur leurs jambes, mais la flamme de respect qui illuminait leurs yeux lorsqu'ils voyaient Zerrhus leur donnait la force de se tenir droits sur son passage, et parfois même d'échanger quelques mots avec lui au sujet de la précédente bataille. Ils demeuraient peu loquaces, conscients de la présence d'une enfant, mais des quelques brefs dialogues qu'Eliane put entendre, elle devina qu'ils tiraient une indicible fierté du simple fait que leur Sire était à côté d'eux, toujours présent, même s'il aurait pu être en train de profiter de sa soirée comme des dizaines d'autres privilégiés.

Enfin, après une longue et éreintante ascension pour la jeune héritière, qui commençait à haleter à cause de son corsage serré, l'air nocturne, frais et vivifiant, s'engouffra dans ses poumons. Elle monta les dernières marches deux à deux, émergea au sommet de la tour, inspira profondément et leva la tête vers les nuages sombres qui voilaient le ciel, chargés de pluie. Puis, son regard se posa sur la plaine en contrebas, et l'effroi lui glaça le cœur.

Une dizaine de longues rangées de torches avaient été plantées dans le sol à intervalles réguliers afin de quadriller l'immense lande, et leurs halos rougeoyants, frémissants sous les assauts du vent, se réverbéraient sur les milliers d'armures sanglantes qui jonchaient le sol. Entre les corps, impossibles à différencier par leurs uniformes salis, des soldats d'Ombre et de Ciel s'activaient comme des fourmis, récupéraient les morceaux d'armure épars et les armes encore utilisables, s'apostrophaient et se disputaient les meilleures parts de butin tels des charognards se battant pour un morceau de viande. Mais, outre leurs exclamations et les quelques ordres lancés de temps à autre, qui ne parvenaient au sommet des remparts que par intermittence, portés par un vent qui charriait l'odeur de mort, la plaine était muette.

Le souffle coupé, Eliane demeura raide et figée, incapable de se détacher du spectacle macabre qui se déroulait sous ses yeux d'enfant et, quand son père posa la main sur son épaule, elle tressaillit violemment.

— Ceci est la réalité de la guerre, souffla Zerrhus d'une voix basse, qui se fêla sur la fin. La bravoure qu'aiment tant citer ces ménestrels n'est en réalité que l'instinct de survie. Il n'y a pas de noblesse ni d'honneur sur le champ de bataille, juste la peur de la mort, le sang et la souffrance.

L'espace d'un instant, l'horreur et la tristesse de son ton donnèrent à sa fille la sensation d'avoir à côté d'elle un vieil homme, brisé par les années, blessé au plus profond de son âme par ce qu'il avait vu. Elle avala sa salive, leva la tête vers l'horizon sombre qui, brièvement, fut illuminé par un arc d'électricité jailli des nuages. Le tonnerre gronda, le flash s'imprima sur sa rétine, elle battit des paupières et demanda, absente :

— Combien d'hommes avons-nous perdu ?

Elle ne vit pas les regards, éberlués mais appréciateurs, qu'échangèrent les vigies campés à côté d'elle, qui sondaient eux aussi l'horizon à la recherche d'éventuelles menaces.

— Trois cent trente-sept, répondit son père.

— Trente-neuf, corrigea l'un des gardes en pointant du doigt le chemin de ronde, où quatre hommes étaient en train d'en dévêtir un cinquième. On vient de perdre Rial, et Cassey a trépassé y'a pas longtemps.

Zerrhus d'Ombre hocha la tête, les lèvres serrées en un pli mécontent, et Eliane devina aisément son amertume. Les combats avaient beau être terminés, des hommes mouraient encore, tandis que d'autre fêtaient cette victoire acquise au prix de rivières de sang versées pour – mais pas par – eux.

— Et en face ? interrogea-t-elle.

— Nos espions nous ont rapporté qu'il y avait douze mille hommes d'Avalaën ce matin. Nous en avons capturé neuf cent, les autres sont morts ou alors en fuite. Mais ce sont les autres provinces qui ont essuyé le plus de pertes. Autour de cinq mille hommes pour Ciel, et environ huit mille pour Eau, Terre et Lumière réunies.

— Au cours de cette bataille seulement ? releva Eliane, sous le choc.

— Non, depuis le début des combats. La bataille de Ciel, notamment. Et, en outre, il va encore falloir reconquérir la capitale. La guerre n'est pas finie.

Elle soupira légèrement. La vue des reflets rouges, presque noirs, sur les armures, la hantait même quand elle fermait les yeux. Elle se détourna du champ de bataille, frissonna lorsqu'un brusque coup de vent secoua les pans de sa robe, retint son souffle le temps que la puanteur exhalée par les cadavres en contrebas s'estompe quelque peu dans l'air nocturne.

— Puis-je aider ? demanda-t-elle enfin. À quoi que ce soit.

La fête avait depuis longtemps été reléguée au fond de son esprit au rang de futilité mondaine. Seuls demeuraient les hommes, ses hommes, qui s'agitaient en contrebas, ramassaient les cadavres et nettoyaient le champ de bataille, tournaient sur le chemin de ronde, éreintés mais toujours debout, tentaient tant bien que mal de stopper le flot qui s'écoulait de leurs blessures, et espéraient désespérément survivre à la nuit.

— Tu peux aller proposer ton aide à Lewuen, offrit son père, je doute qu'il la refuse. Mais change-toi d'abord.

Elle acquiesça, se dirigea vers l'escalier qu'elle avait monté un peu plus tôt. Sur la cinquième marche néanmoins, elle s'arrêta. Seule sa tête dépassait encore de l'obscurité de la tour, mais sa voix était claire.

— Père ? Merci de m'avoir montré la vérité.

Et elle s'en fut aider l'alchimiste.

Demeuré en haut des remparts avec les quatre vigies, Zerrhus se prit à sourire lorsque l'un des soldats souffla :

— Ce sera un honneur de l'avoir pour Dame.

— De ce que je vois pour le moment, soupira le Sire d'Ombre, je préfèrerais qu'elle soit Reine.

◊~◊~◊

Allez, un petit flashback pour bien finir la partie 2 =) Je vous retrouve bientôt pour la 3 !

Continue Reading

You'll Also Like

535K 32.8K 33
Version Française du livre de Sydney724 : "All I Wanted Was A Mate". Tous les crédits reviennent à Sydney724. French Version of Sydney724 's book : "...
47.6K 4.7K 46
Tome final Disponible partout
120K 3.9K 13
L'Alpha Suprême, Enzo 20ans. Une future Louve Alpha, Liria 16ans. Leurs destins entrecroisés pour une aventure mouvementée et entraînante. Un loup g...
2.5M 115K 113
Mariage Forcé et la nouvelle tendance sur Wattpad, je vous laisse découvrir le mien . Surtout ne vous arrêter pas simplement sur la couverture, je v...