L'un des assaillants réussit à contourner Alan pour se diriger vers la clé. Vers leur seule chance de s'échapper. La peur réussit à percer à travers la douleur. Il se jeta sur l'individu et le projeta au sol. Son compagnon se débarrassa de l'un de ses opposants et utilisa le corps de ce dernier pour entraver les autres. L'héritier se précipita vers lui et assomma l'adversaire à terre. Son ami le releva ensuite et les deux fugitifs avancèrent ensemble vers le passage. Il n'y avait que quelques mètres entre eux et la liberté, ils pouvaient le faire. Un bruit fulgurant retentit et résonna dans chaque fibre de son être. Alan se courba.
Il regarda l'héritier, surprit. Que lui arrivait-il ? Il avait du mal à penser clairement. L'un des assaillants en profita pour se glisser derrière eux, une dague dans la main, puis transperça le flanc de son camarade.
Il ne parvenait pas à saisir la scène, trop rapide pour son esprit mutilé, mais quelque chose au fond de lui se glaça d'horreur. Le blessé vacilla en grognant. D'un mouvement vif, Alan retira la lame et la planta dans la gorge de son agresseur.
Alan se tourna ensuite vers lui, le regard déterminé, reflet de ses pensées.
Non.
Il agrippa le bras de son ami dans un geste désespéré. Mais avant qu'il n'ait pu crier son refus, l'héritier l'attrapa par le col, et le projeta en direction du passage. Ses forces étaient au plus bas, il ne put résister. Avec un sourire contrit, Alan le regarda parcourir le dernier mètre qui le séparait de la porte, puis se retourna et se rua vers le globe.
La scène disparut, à l'instant même où il traversa.
***
Selena souffla longuement. Quand est-ce qu'ils arrivaient ? Ils s'étaient aventurés à l'intérieur d'une large fissure, située à la base de la falaise qui servait de limite au cratère. Elle s'était transformée en un couloir sinueux, aux airs de canyons, dont les parois noires et râpeuses étaient décorées par des éclats de cristaux jaunes. Le sol, recouvert d'une couche de poussière jaunâtre, imprimait leurs empreintes de pieds et crissait à chacun de leurs pas.
Selena retint un deuxième soufflement. La fatigue et l'impatience commençaient à prendre le dessus. Ils avaient dû parcourir des centaines de kilomètres depuis le début. Au moins ! Elle avait bien mérité de poser ses fesses sur un fauteuil moelleux, ou mieux, de s'étaler dans son lit et ne plus en sortir pendant une semaine. En partant pour Avalon et le chemin de l'étoile, elle n'avait pas pris en compte cette facette de l'aventure. Elle avait été aveuglée par les contes héroïques édulcorés qui minimisaient bien trop les côtés négatifs. Elles devraient pourtant en faire mention, et en majuscule ! Histoire d'avertir le lecteur que partir pour des quêtes fantastiques, aussi attirantes fussent-elles, allait de pair avec ampoules aux pieds, crampes aux jambes, crasse et mauvaises odeurs. Le groupe était loin de ressembler à de fringants chevaliers étincelants. Ils étaient juste des charbons sur pattes, et avec la même odeur en prime.
Elle était tout de même fière d'elle pour avoir tenu le rythme et s'être rendue utile. Adrian allait être effaré en sachant par quoi elle était passée depuis Avalon. Son cœur se serra en pensant à lui. Il lui manquait. Terriblement. Bien plus que prévu. Comment allait-il ? Probablement inquiet. Très certainement inquiet, en fait. Il allait lui passer un savon monumental en rentrant. Le plus gros de toute sa vie. Mais elle avait hâte de lui raconter tout ce qu'il s'était passé dans les moindres détails. À Mél aussi. Ce serait enfin l'occasion d'aborder l'histoire de sa famille.
Elle sursauta, suite à un glissement de pierres le long de la paroi. Le bruit des explosions s'était tu juste après leur entrée dans le canyon. Si au début, Selena avait apprécié ce silence, cela avait rapidement fait place à une sensation de vide, voire de malaise. C'était trop calme. Cela les laissait dans une appréhension insupportable. Qu'allait-il leur tomber dessus ?
Elle leva les yeux vers les hauts murs du canyon. Peut-être de l'exaspération. Ce couloir avait-il donc une fin ? Quand est ce qu'ils arrivaient ? Elle en avait marre. Sacrément marre. Elle lâcha un deuxième soufflement. Interminable cette fois. Elliot prit la parole :
– Il se réveille.
– Pose-le à terre, dit Merlin. Je vais l'examiner. Profitez-en pour vous reposer un peu.
Pendant qu'il frôlait le corps du blessé avec ses mains, il le questionna :
– Est-ce que vous me comprenez ?
L'intéressé acquiesça faiblement.
– Nous vous avons trouvé il y a peu, dans un état critique. Nous vous avons soigné du mieux possible, mais vous n'êtes toujours pas tiré d'affaire. Il faudra que nous sortions de cet endroit pour vous fournir tous les soins nécessaires. En attendant, je peux juste apaiser la douleur.
L'inconnu cligna des yeux en réponse. Son regard auparavant vitreux avait retrouvé un peu de vivacité. Adam s'approcha :
– Qui êtes-vous ?
L'homme toussa avant de dire d'une voix éraillée :
– Je...
Il fronça les sourcils et garda la bouche ouverte, cherchant la réponse à la question.
– Je... n'arrive pas... à me rappeler... souffla-t-il difficilement. Souvenirs... confus.
– Que dit-il ? demanda Adam à Merlin.
Merlin leur traduit la phrase, qui paraissait être en langue du Sidh.
– Qu'il n'arrive pas à se rappeler.
Adam gronda :
– C'est trop facile comme réponse.
Merlin le calma :
– Un tel choc est tout à fait capable de causer des pertes de mémoire. Ne le brusque pas. Il est très faible. S'il est encore en vie, c'est uniquement grâce à sa nature féerique.
– Tu veux dire... Que c'est une fée ? s'exclama Will.
Le blessé hocha fébrilement la tête.
– Cherchez-vous aussi Excalibur ? demanda Will.
La fée souffla imperceptiblement, en français cette fois :
– Non.
Adam fronça les sourcils :
– Alors que faites-vous ici ?
L'héritier fixait l'inconnu afin d'obtenir sa réponse. Celui-ci ouvrit la bouche, la referma. Il déglutit à plusieurs reprises avant de réussir à articuler d'une voix enrouée :
– Je ne sais pas... où vous pensez que l'on soit... c'est la lisière des sphères. Domaine... des enfants de...
Il toussa :
– ... l'immatériel.
– Et ? l'incita à continuer Will.
– Nombreux chemins... Nombreux souhaits.
Will s'impatienta :
– Je ne comprends pas. Que voulez-vous dire ?
L'individu se crispa et son visage se tordit de douleur.
– Qu'est-ce qu'il a ? demanda Adam.
– À ton avis ? s'exaspéra Merlin, en apposant ses mains sur le torse de la fée. Il est aux portes de la mort. Arrêtez de le brusquer !
Le blessé retomba une nouvelle fois dans l'inconscience. Merlin se releva en titubant, la mine préoccupée.
– Tu es épuisé, dit Elliot.
– Ne t'inquiète pas pour moi. Je connais mes limites et j'ai encore de la marge. Mais pas lui. Dépêchons-nous. Plus tôt nous partons, plus tôt nous trouverons de quoi le soigner.
Le groupe reprit sa marche, pressée par Merlin malgré sa fatigue.
Peu de temps après, une brise chaude souffla dans leur direction. Chacun se raidit, les sens en alerte. La chaleur qui les avait enveloppées avait été agréable. Mais par expérience, tout le monde avait deviné que ce changement ne pouvait signifier qu'une chose. La prochaine épreuve arrivait.
Selena jeta un coup d'œil inquiet à la personne à demi consciente dans les bras d'Elliot. L'héritier avait beau le porter sans problème, il n'était pas libre de ses mouvements. Et l'état de la fée nécessitait de le transporter avec une grande délicatesse. Les épreuves affrontées jusqu'à présent les avaient malmenées sans relâche. Si celle qui se profilait était du même acabit, Elliot et celui dans ces bras allaient être en difficulté. Elle se plaçait à leur niveau, prête à les aider au moindre signe de danger.
La température augmentait en se propageant par vague. C'était une chaleur sèche, comme celle expérimentée dans le désert. Elle était accompagnée d'un grondement sourd qui résonnait entre les murs du couloir. À chaque pas qui les rapprochait de l'origine de ce phénomène, l'appréhension se faisait plus lourde. La source ne devait pas être très loin. Ce fut au détour d'une sinuosité que le groupe la découvrit. Gabriel et Adam qui discutaient à l'avant arrêtèrent aussitôt tandis qu'un « Wôw ! » s'échappa des lèvres de Selena. Les autres gardèrent le silence, sidérés par le spectacle.
Devant eux se trouvait un mur de feu. Prenant naissance au sol, il s'étalait sur la largeur entière du couloir et s'élevait vers les sommets du canyon. Si sa base était d'une jolie couleur bleutée, les flammes en hauteur se muaient en langues orangées. Maintenant qu'ils étaient à proximité, la température était à peine supportable. Trop s'approcher de ce rideau incandescent était synonyme de se transformer en torche humaine.
– Gabriel ? commença Will.
– Je n'arrive pas à voir de l'autre côté, dit l'intéressé. Il est trop épais. Mais ce que je peux vous dire, c'est que ce n'est pas une illusion.
Il se détourna du brasier en grimaçant et plaça les mains sur ses yeux. Selena fit la même chose. La luminosité était trop forte pour être supportée. Merlin qui était à côté de lui chuchota :
– Ne force plus dessus. Tu risques de ne pas pouvoir t'en remettre.
Gabriel, la mine sombre, ne répondit qu'un imperceptible « Mmmh ».
– Ce n'est peut-être pas le bon chemin, dit Will, perplexe. Il doit forcément y en avoir un autre.
Adam acquiesça :
– Nous avons probablement raté une intersection plus tôt. Il faudrait faire demi-tour pour vérifier.
Elliot installa le blessé assis contre un rocher :
– Je reviens, lui dit-il avant de s'éloigner pour ausculter les environs.
Ce dernier s'était réveillé. Il s'accola contre la pierre et ferma les yeux.
Chacun examina les alentours et chercha un passage ou un indice afin de pouvoir continuer leur route. Toutes les épreuves avaient eu une porte de sortie. Celle-ci devait forcément être quelque part. Adam s'éloigna du groupe pour revenir en arrière, en quête d'une piste qu'ils auraient manquée, tandis que les autres restèrent à proximité du rideau embrasé. Gabriel s'était assis pour masser sa cheville. Il ne disait rien, mais Selena avait remarqué qu'il tressaillait parfois en marchant. Merlin s'approcha et frôla avec ses doigts le pied du blessé. Le druide se releva ensuite, la main sur le visage pour en essuyer la sueur.
– J'aurais pu m'en passer, dit Gabriel.
– Ça ne me coûte pas grand-chose de diminuer la douleur. Ce n'est pas guéri, mais tu ressentiras juste un léger tiraillement. Prends garde à ne pas aggraver ta foulure. Reste assis en attendant. Et profites-en pour souffler et donner un peu de repos à tes yeux.
L'héritier acquiesça. Merlin qui s'était tourné vers l'inconnu cria alors :
– Non ! Que faites-vous ? Arrêtez !
Tous se retournèrent vers le druide, en alerte. Merlin se précipitait vers le mur de feu. Mais ses jambes ne purent supporter un tel effort et il trébucha, seulement après quelques mètres parcourus. Selena eut du mal à comprendre ce qui le mettait dans un état pareil. Il lui fallut quelques instants pour ajuster sa vue, éblouie par les flammes, et le remarquer. La fée blessée s'était levée et s'était avancée en clopinant vers le mur de feu. Gabriel jura et s'élança. Elliot gronda :
– Qu'est-ce que vous fabriquez ? Reculez !
Il se précipita vers l'individu. Malheureusement, leur tentative se révéla inutile. Gabriel qui était le plus proche dut s'arrêter, incapable de supporter la chaleur que le brasier dégageait. Elliot se risqua plus qu'il n'aurait dû, mais il fut contraint de reculer, le visage marqué par quelques cloques. Accablé, il ne pouvait que regarder la personne qu'il avait aidée, marcher vers une mort certaine. L'individu avançait, sans paraître gêné par la température. Clouée sur place par ce spectacle, Selena le vit, quelques foulées plus tard, être englouti par les flammes.
Il n'avait pas émis un son.