Chapitre 1 - L'éveil : Partie I

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Elle se réveilla en sueur, la respiration haletante, et le cœur battant furieusement dans sa poitrine. Elle mit quelques instants à reconnaître le plafond de sa chambre.

« Un rêve », pensa-t-elle.

Elle expira longuement. Les cauchemars ne lui étaient pas inconnus, mais celui-là avait été particulièrement intense. L'odeur ferreuse du sang était encore présente dans l'air et dans sa bouche.

La somnolence la quitta, remplacée peu à peu par de l'exaspération. Ce n'était pas le moment d'avoir des terreurs nocturnes. Surtout en cette période d'examens où le sommeil lui était crucial. Rien n'était perdu, elle venait à peine de se réveiller, il était encore possible de se rendormir sans trop de difficultés.

« Quelque chose cloche... »

Elle ne saisissait pas ce qui la troublait, mais l'angoisse comprimait peu à peu sa poitrine. Une goutte de sueur vint chatouiller sa joue. Ce ne fut qu'en voulant lever la main pour l'essuyer qu'elle comprit.

Elle ne pouvait pas bouger. Son corps entier était paralysé. Ses bras, ses jambes, sa tête, rien ne répondait. Un début de panique la gagna. Elle tenta d'appeler à l'aide Emma qui partageait sa chambre, mais aucun mot ne voulait sortir.

« Ne panique pas. Ne panique pas. Ne panique pas ! »

C'était une fille de quatorze ans en bonne santé, dynamique et sportive. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle devienne paralysée du jour au lendemain sans signes avant-coureurs ! Ce devait être un autre rêve. C'était ça ! Son subconscient lui faisait savoir que de longues vacances s'imposaient !

Des murmures se firent soudain entendre à proximité de son oreille. Et ce n'était pas ceux d'Emma. Ils provenaient de plusieurs voix différentes. Elles chuchotaient des mots cristallins et cadencés dont elle ne comprenait pas le sens. La panique qu'elle avait réussi à maîtriser la gagna complètement.

Quelqu'un était dans la pièce !

Elle était incapable de tourner la tête pour repérer l'intrus. Ou les intrus ! Quelqu'un était ici, à quelques centimètres d'elle, et elle ne pouvait ni se défendre ni crier à l'aide !

Sa respiration devint laborieuse. Elle commençait à étouffer. Elle essaya de bouger de toutes ses forces, de hurler, mais rien n'y faisait. Elle restait aussi immobile qu'une statue. Elle était sur le point de mourir d'asphyxie. Ou pire. De finir assassinée par un psychopathe !

Ou les deux !

Tout à coup, la lumière surgit. Quelqu'un la secoua vigoureusement et un déclic s'effectua. Le contrôle lui était revenu. Une voix familière se fit entendre :

– Selena ? Est-ce que ça va ? Tu m'entends ? Réveille-toi !

Emma, paniquée, était toujours en train de la ballotter.

– Oui, ça va. Ça va ! dit Selena en se dégageant.

Elle s'écarta de son amie et essaya de reprendre son souffle. Il n'y avait personne dans la pièce, juste Emma et elle. En réprimant le rire hystérique qui menaçait de franchir ses lèvres, Selena se concentra sur sa colocataire et sur son visage défiguré par un réveil anticipé. Ses cheveux habituellement lisses, noirs et bien coiffés étaient ébouriffés, et sa figure délicate était crispée par l'angoisse.

– Mais que s'est-il passé ? murmura Emma. Tu m'as fait une de ces peurs.

– Je ne sais pas, répondit Selena, fébrile. Je me suis réveillée sans pouvoir bouger le moindre muscle.

– Un cauchemar ?

– Je ne suis pas sûre, dit-elle, incertaine de la réponse à donner. C'était vraiment bizarre.

– Es-tu sûre que ça va ? demanda son amie en fronçant les sourcils.

Selena esquissa un léger sourire :

– Oui... Je crois.

Les épaules d'Emma retombèrent et son visage fatigué se détendit :

– Tu respirais à peine, ou du moins en faisant des bruits de cochons. Tu sais les cochons gras et puants. J'ai cru que tu t'étouffais !

Selena ignora la gentille comparaison avec un jambon à pattes. Ses pensées restaient préoccupées par autre chose :

– As-tu vu quelqu'un dans la chambre ?

Emma écarquilla les yeux et ne put s'empêcher de tourner la tête vers l'entrée :

– Non. Bien sûr que non.

Elle reposa son regard sur son amie :

– Je ferme toujours la porte à clé. Comment veux-tu que quelqu'un rentre ? Il n'y avait personne...

Elle finit en souriant :

– À part un cochon grognant.

Selena lui lança son coussin en pleine figure :

– C'est toi le cochon.

Prise par le soulagement, les deux se mirent à glousser.

– Tu devrais aller voir l'infirmière, s'enquit Emma. Tu es pâle.

Selena secoua la tête :

– C'est la première fois que ça m'arrive, ce n'est sûrement rien.

– Peut-être, mais mieux vaut en être sûr.

Un sourire se dessina sur le visage d'Emma et un éclat de malice colora ses yeux bleus :

– C'est les brocolis d'hier soir, c'est ça ? Je t'avais dit de les manger, tu ne m'as pas écoutée. Et voilà que maintenant tu as faim. Et quand tu as faim, tu dors mal ! Et qui dit mauvaise nuit, dits cauchemars et donc transformation en petit cochon qui réveille tout le dortoir. Montre un peu de respect pour ta copine qui, elle aussi, est en période d'examens et qui a révisé jusqu'à une heure indécente cette nuit.

Elle finit sa tirade en touchant le nez de Selena du bout de son index. Cette dernière sourit, amusée. Il était vrai qu'elle avait une profonde aversion pour les brocolis et elle avait miraculeusement réussi à les refiler à son voisin de table. Et même si Emma avait raison concernant son appétit naissant, Selena ne l'avait jamais réveillée à cause de ses cauchemars. Elle renchérit, en écartant le doigt de son museau :

– Je pensais que tu connaissais ta matière sur le bout des doigts.

Elle avait commencé à réviser six mois avant le début des examens après tout... Emma bâilla longuement en affirmant :

– C'est maintenant le cas. Bon, je retourne me coucher. Je vais essayer de sauver les quelques heures qu'il me reste avant que le réveil ne se décide à me gâcher l'existence.

Elle se recoucha sur ces mots et se rendormit en quelques secondes. Selena avait toujours jalousé la capacité de son amie à trouver le sommeil si rapidement, elle qui était si souvent sujette aux insomnies. Mais l'expérience traumatisante qu'elle venait de subir lui avait coupé toute envie de dormir, et ce, malgré les cinq heures du matin qu'affichait le réveil.

Selena sortit de son lit pour attraper un livre de classe. La petite pièce aux murs blancs ne contenait pas grand-chose, juste le nécessaire pour deux collégiennes : une paire de lits, de bureaux, de chaises et d'armoires. Il était possible de travailler ici, même si la majorité des résidents préféraient des endroits plus studieux. Par respect pour le sommeil d'Emma, Selena quitta discrètement la chambre et prit la direction de la salle commune.  

Le Sidh - Les héritiersWo Geschichten leben. Entdecke jetzt