Huit mois plus tard
« Axelle, sors de là !
-Non.
-Arrête de faire la gamine, sors !
-Non, tu vas te foutre de moi !
-Bon dieu mais t'es chiante !
-Je m'en fous, je sors pas ! »
Faut pas abuser !
Enfermée dans la salle de bain de l'hôtel où Daryl et moi séjournons, je me regarde une fois de plus dans le miroir en ayant l'impression d'y voir quelqu'un d'autre. Et pour cause je porte une robe. Et pas une aussi simple que la noire que mon père avait eu la gentillesse de m'offrir, non, cette fois j'ai le droit à une robe violette sur mesure faite par Hayleh, attachée au niveau du cou avec un dos nu qui descend beaucoup trop bas selon mes standards ! Le bas, flottant, a pour avantage de masquer mes cuisses et s'arrête au dessus du genou. Evidemment, impossible de mettre un soutien-gorge là-dessous ce qui ne fait que renforcer mon impression de me balader totalement à poil. Je passe une main dans mes cheveux détachés et effleure du doigt les boucles d'oreilles assorties à la robe prêtées pour l'occasion. Quelle occasion ? Le mariage ! Le mariage de Logan et Hayleh, pour lequel Daryl et moi sommes revenus spécialement de Colombie où nous habitons depuis huit mois. La disparition définitive de Julio nous a permis d'enfin partir et de profiter de l'hospitalité de Tina, la tante de Daryl. J'ai trouvé un travail dans un supermarché et on a pu louer un petit appartement à Carthagènes. J'y ai d'ailleurs laissé Lazslo, sous la garde de Tina. Les voyages en avion, c'est pas son délire du tout ! Notre vie a repris un cours normal. J'ai arrêté de prendre des anti-dépresseurs et ma blessure a parfaitement cicarisé. Dorian nous a rendu visite il y a trois mois et j'ai profité de notre passage à New-York pour revoir Lo' et Viktor. La seule ombre au tableau, c'est mon père. Je l'ai appelé pour le prévenir que je revenais pour une semaine mais Sharon n'a manifestement pas digéré mon départ précipité et a catégoriquement refusé que je leur rende visite dans le Michigan. Comme d'habitude, mon père s'est plié à son avis... et je ne sais pas quand je les reverrais, lui et mes frères. Un coup sur la porte me fait sursauter :
« Axelle, sors, je te rappelle qu'on doit passer chercher les grands parents de Hayleh, on va être à la bourre ! »
Rah, fait chier...
Je prends une grande inspiration avant de finalement quitter la pièce, le regard fixé sur le sol. J'attrape des spartiates achetées en prévision de la journée et les enfile, sans un mot. Je sens que Daryl me regarde et je suis presque sûre qu'il se retient très fort de se foutre de moi. Lorsque je me redresse, je ne peux empêcher mon cœur de rater un battement en le voyant en pantalon de costume et chemise dont il a retroussé les manches. Je baisse la tête pour cacher mon sourire.
« Si tu fais le moindre commentaire, t'es un homme mort, préviens-je. »
Il hausse les épaules et enfonce ses mains dans ses poches mais continue de me regarder. Je dois me forcer pour l'ignorer tout en attrapant mon sac.
« On y va ? Je croyais qu'on était pressés ! »
***
La cérémonie a été l'occasion de revoir nos amis : Logan et Hayleh, évidemment, mais aussi Estéban, venu avec sa femme Flore. Bien sûr, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à Diego. J'aurais tellement aimé le revoir, juste un fois... mais je n'ai pas eu le temps de regretter, le mariage à l'église a été suivi d'une célébration traditionnelle amérindienne dans les collines. C'était un moment très important pour Logan et sa famille et je dois admettre que c'était vraiment impressionnant ! Lorsque les deux cérémonies sont achevées, la soirée est déjà bien entamée et je crois que tous les invités n'attendent plus que le top départ pour aller se baffrer au repas. Personnellement, après avoir passé autant de temps en compagnie d'autant de gens que je ne connais pas, je ressens plutôt un besoin de m'isoler et le paysage idyllique du site m'y incite d'autant plus. Je fais un léger signe de la main à Hayleh pour lui signifier que je m'éloigne un peu et fais quelques pas sur le sol inégal pour me mettre à l'écart. A mes pieds, s'étend New-York. Bruyante, active, comme le reflet inversé de ces collines où règnent le calme et la paix. Je prends une grande bouffée d'oxygène en me souvenant de ces jours passés à courir dans la nature comme si ma vie en dépendait. Après ma blessure, je n'ai pas eu le droit de faire du sport pendant un moment et j'ai du mal à retrouver mon niveau physique. On dirait que l'univers met un point d'honneur à me rappeler que rien n'est plus comme avant. Même si ma vie est redevenue normale, on ne peut pas revenir en arrière. Désormais, il y a un avant Julio et un après. A moi de m'arranger avec ça.
« Crevette ? »
Je me retourne en entendant la voix de Daryl. Il me rejoint en quelques enjambées.
« Tu peux pas te passer de moi deux minutes ? le taquiné-je.
-Si mais j'ai vraiment besoin de faire une pause, parce que si j'entends encore la demoiselle d'honneur me traiter de coureur de jupon, je vais faire un massacre.
-Elle a pas l'air de t'apprécier...
-Pas trop. Des vieilles histoires. »
Hum, je crois que je peux deviner sans trop de difficultés ce qu'il s'est passé entre eux... Mais je ne veux pas y penser. Tout ça c'était...avant. Je me tourne de nouveau vers la ville en soupirant. Daryl se poste juste à côté de moi, le regard fixé sur le sol.
« C'était une chouette cérémonie...marmonne-t-il.
-C'était affreusement long.
-Ouais, aussi. Mais c'était sympa. »
J'avoue que la journée a été beaucoup plus joyeuse que ce à quoi je m'attendais. Avec mon dégoût viscéral pour les mariages, je ne pensais vraiment pas apprécier celui de mes amis. Mais finalement...un mariage c'est plutôt cool quand c'est pas celui de mon père et de ma belle-mère.
« Au fait...j'ai pas eu l'occasion de te le dire mais t'es vraiment belle dans cette robe. »
Oh !
C'est dingue, non ? On est ensemble depuis plus d'un an et je ne m'y fais toujours pas ! A chaque fois qu'il me fait un compliment, même tout petit, j'ai l'impression d'être une midinette de 15 ans devant le garçon de ses rêves. La preuve, je me sens rougir et je ne peux m'empêcher de glousser.
Idiote.
« Heu...merci. T'es beau aussi. »
C'était naze.
Oui bah j'ai pas l'habitude ! Les compliments c'est une fois tous les 36 du mois ou quand il a fait une connerie alors j'ai toujours autant de mal à les recevoir ! Il lâche un sourire en coin, ravi de son effet, alors que je détourne le regard.
« Tu rougis toujours autant.
-Non.
-Si.
-Non. J'ai chaud, c'est tout. »
Pour le coup, c'est totalement vrai. En même temps, en plein mois de juin, on ne pouvait pas s'attendre à autre chose ! Il s'approche discrètement d'un pas et je m'éloigne d'autant, histoire de ne pas m'embraser immédiatemment.
« Axelle...
-Hum ?
-Est-ce qu'un jour tu te marieras avec moi ? »
Pardon ?
J'ouvre de grands yeux ébahis, stupéfaite par la question qui sort littéralement de nulle part, puis je laisse échapper un rire moqueur.
« Si t'es le dernier homme sur Terre, peut-être. »
Je m'attendais à ce qu'il sourie, comme d'habitude et me balance une vanne bien placée. Mais il soupire alors que son visage reste grave.
« Pourquoi t'es jamais sérieuse quand on parle de ça ? »
Ça me semble évident !
« Parce que t'es pas sérieux non pl... »
Il se tourne soudain vers moi et la lumière se fait dans mon petit cerveau stupide. J'en perds mes mots, pétrifiée par la gaffe que je viens de faire et pas tout à fait sûre de comprendre.
« Oh...tu...t'étais...sérieux. »
Oh putain !
Il se passe quoi là ? Je dois faire quoi ? Tout allait bien et d'un coup il me parle de mariage et ça me fait totalement flipper ! Juste pour être sûre, je redemande d'une voix hésitante :
« T'es...t'es sérieux ? »
Il lève les yeux au ciel, dépité par ma débilité chronique et finit par hocher la tête.
« Ouais. »
Il est sérieux. Il est sérieux, oh seigneur.
Mais c'est trop tôt pour parler de ça ! Je veux dire, on est jeunes et on a tout le temps et...j'ai toujours été totalement réfractaire à l'idée de me marier, il le sait très bien ! Sentant l'angoisse monter, je demande :
« Attends...t'es pas en train de...tu...tu vas pas me demander en mariage, là, hein ? »
Pitié, non !
Je ne sais pas trop comment je réagirais à ce genre de demande et honnêtement, la première chose qui me vient à l'esprit lorsque j'y pense c'est « cours, cours très vite ! ». Et ça serait assez malvenu. Daryl hausse un sourcil moqueur.
« Non. Je veux juste savoir si un jour je pourrai le faire sans me prendre un râteau. »
Mais pourquoi ? Pourquoi vouloir savoir ça, pourquoi me le demander maintenant ? Comme si je pouvais répondre à un truc pareil sur le vif ! Je secoue légèrement la tête, totalement paumée.
« Euh... »
Oui, c'est tout ce que j'arrive à dire. Daryl semble prendre mon ersatz de réponse pour un « non » et se détourne, le visage fermé. J'essaie maladroitement de le retenir en lui attrapant le bras.
« Mais...pourquoi tu veux qu'on se marie ? On en a pas besoin. »
Il se tourne vers moi et plante son regard dans le mien. C'est probablement la centième fois que je le dis mais ses yeux sont décidément les plus beaux que j'aie jamais vus.
« J'sais pas...marmonne-t-il. Je viens de voir un de mes amis les plus proches se marier. Alors...j'y pense. »
Bien, on n'assistera plus à aucun mariage !
Si je suis honnête avec moi-même...je dois avouer que moi-aussi, cette cérémonie m'a fait quelque chose. Il y avait tellement de joie sur le visage des mariés ! Et c'est tellement cool de réunir tous les gens qu'on aime pour célébrer le fait de passer sa vie avec quelqu'un ! Mais le problème...le problème c'est que je ne pourrais jamais réunir tous les gens que j'aime. Et c'est ce qui me fait le plus mal. Je baisse les yeux.
« Daryl...tu sais pourquoi je veux pas me marier ? »
Il se contente de hausser les épaules. Je prends une grande inspiration avant de me confier :
« C'est parce que je veux pas vivre mon mariage...sans ma mère. »
Je sais qu'il comprendra. La famille est aussi un sujet sensible pour lui. Et je suis sûr qu'il a pensé à sa mère s'il a pensé à notre mariage. Il prend ma main et la serre fort.
« Princesse...pense à ce que ta mère dirait si elle entendait ça. »
Maman...
Je peux presque entendre sa voix. Je me souviens qu'elle me racontait son mariage comme le jour le plus exceptionnellement catastrophique de sa vie. La moitié des invités coincés à l'aéroport à cause des conditions climatiques, un pasteur malade, une pièce montée ratée, une panne de chauffage dans la salle prévue pour le repas et une cousine emmenée d'urgence à l'hôpital à cause d'une allergie aux fruits de mers inconnue jusqu'alors. Mais elle me disait que ça restait le plus beau moment de sa vie. Le moment où elle a dit « oui » à l'homme qu'elle aimait plus que tout. Et elle me parlait de mon mariage, un jour, elle s'imaginait déjà s'occupant de tout pour être sûre que rien ne viendrait gâcher ma journée comme tout avait gâché la sienne. A l'époque, aucune de nous ne pouvait savoir que finalement, quelque chose réduirait ce beau projet à néant. Mais Daryl a raison. Si maman apprenait que sa mort m'empêche de vouloir me marier, elle serait folle de rage. Si elle m'entendait, elle dirait probablement « Axelle, j'ai promis d'organiser ton mariage, je ne vais pas laisser ma mort le gâcher ! ». Je ne peux m'empêcher de sourire en l'imaginant. Mon homme s'approche de moi et caresse doucement mon visage.
« Je veux juste que tu sois ma femme, murmure-t-il. »
Sa femme...ces deux mots me donnent l'impression de flotter au dessus du sol alors qu'un frisson longe mon dos. Pourquoi ai-je soudainement envie de lui demander moi-même de m'épouser ? Pourquoi ai-je envie de porter son alliance et son nom ? Je baisse les yeux, sentant une vague douce et chaleureuse s'emparer de mon corps.
« A une condition.
-Laquelle ?
-Je veux qu'on se marie ici. A New-York. »
Oh purée, je l'ai dit. J'ai littéralement dit les mots « je veux qu'on se marie ». Mince, je pensais pas que ça déclencherait une fiesta d'enfer dans mon ventre ! Daryl hausse un sourcil.
« Tu veux quitter la Colombie ?
-Oui. Je veux rentrer chez moi.
-Crevette, pourquoi tu me l'as pas dit avant ? »
Je hausse les épaules.
« J'étais pas sûre... »
Pour être franche, c'est une idée qui me trotte dans la tête depuis un moment. J'aime beaucoup Carthagène des Indes mais je ne peux nier que ma vie est ici, aux Etats-Unis. Je veux retrouver mes amis, trouver un autre travail et habiter dans un appartement plus confortable. La parenthèse m'a fait du bien, c'est vrai. Mais il est temps pour nous d'envisager l'avenir, et je veux l'envisager ici. Daryl hoche la tête.
« Comme tu veux. »
Il m'attrape par la taille pour me rapprocher de lui, ses yeux sondant les miens.
« Mais si on revient ici...je t'épouse. »
Quelque chose explose dans mon ventre. Quelque chose de chaud, de doux...quelque chose que je voudrais sentir toute ma vie. Je ne peux m'empêcher de sourire.
« D'accord.
-D'accord ?
-D'accord. »
Satisfait de ma réponse, il se décide enfin à m'embrasser. Je glisse mes bras autour de ses épaules pour mieux apprécier notre étreinte. Après avoir savouré ses lèvres jusqu'à n'en plus pouvoir, je lui adresse un sourire moqueur.
« Et le jour de notre mariage...je saurais enfin ton troisième prénom. »
Il écarquille les yeux, surpris, et ouvre la bouche pour protester mais ne trouve rien à dire. Je l'embrasse doucement sur les lèvres avant de me dégager de ses bras pour me détourner. Je l'entends alors m'appeler :
« Crevette, attends ! J'ai changé d'avis ! Je veux pas t'épouser ! »
J'éclate d'un rire triomphal avant de me retourner pour lui répondre :
« Trop tard ! »
***
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Merci à lamaladelala et heidigane1711 pour leurs votes :D
Ceci est la dernière partie de ce que j'appellerai la "saison 1" de Fire & Gasoline
Je veux tous vous remercier du fond du coeur pour avoir lue cette histoire, pour vos commentaires, vos messages, vos encouragements, je ne pouvais pas espérer meilleurs lecteurs que vous <3
Je vais poster un avant goût de la "saison 2" sur ce tome, mais le premier chapitre ne sortira pas avant samedi prochain!
Je vous nem tous <3