Axelle
« Excusez-moi, Monsieur, on pourrait aller plus vite ? »
Le chauffeur de taxi se retourne vers moi et me lance un regard assez peu amène.
« J'fais c'que j'peux. C'bouché. »
Génial.
Putain, je l'ai senti au moment même où je suis entrée dans la voiture, j'ai senti que c'était un connard. Sauf que je n'avais pas vraiment le temps de faire la fine bouche. Je regarde mon téléphone et retient un juron en m'apercevant qu'il est déjà 21h. 21h et je suis encore loin de la villa où doivent se trouver Daryl et Julio ! J'essaie de nouveau d'appeler mon homme mais son téléphone reste éteint. Je lève le nez pour regarder la route, embouteillée comme jamais.
« C'est vert !
-J'sais mais ça avance pas. »
Le conducteur klaxonne violemment et passe sa tête dehors pour insulter l'automobiliste. Bon sang, c'est vraiment ma veine ! Pour une fois que je suis pressée, il faut qu'il y ait des foutus bouchons en plein sur mon trajet ! La voiture devant nous démarre, avance de trois mètres et s'arrête de nouveau.
Raaaah !
Comment exprimer à quel point j'aimerais avoir ma moto, là, tout de suite ? Franchement, j'irais plus vite en trottinette !
« Et on peut pas contourner les bouchons ?
-On peut mais ç'prendra plus d'temps. »
Achevez-moi.
Je suis sur le point de faire la plus grosse crise d'hystérie que ce pauvre chauffeur a jamais vue mais mon portable se met à vibrer dans ma main, me faisant sursauter. Le prénom affiché sur l'écran fait s'emballer mon cœur et je décroche d'une main tremblante.
« Daryl ? »
***
Daryl
« Daryl ? »
Sa voix putain. C'est sa voix. La vraie, pas celle qu'elle avait la dernière fois que je l'ai vue. Nom de dieu, je crois que je me lasserai jamais de l'entendre prononcer mon prénom. Ça me donne envie de sourire sans que je comprenne pourquoi. Je crois que c'est ça que mon corps et mon esprit recherchaient, c'est ce dont j'avais besoin. En sortant de la chambre, je suis allé dehors pour respirer un peu et j'ai allumé mon portable sans vraiment m'en rendre compte. En voyant les appels manqués d'Axelle, mes doigts se sont mis en action sans que j'aie besoin d'y réfléchir et je l'ai appelée. Juste pour ça. Juste pour sa voix. Je ferme les yeux en prenant une grande inspiration, comme si j'avais oublié comment respirer pendant tout ce temps.
« Daryl ? répète-t-elle.
-Salut, crevette. »
***
Axelle
« Salut, crevette. »
Oh purée, je crois que je vais pleurer tellement je suis contente de l'entendre. Je peux sentir d'ici qu'il est loin d'être en grande forme mais au moins il est là, juste à l'autre bout du fil, presque à portée de main.
« Tu vas bien ? Je demande d'une voix mal assurée, où est-ce que t'es ?
-Je suis désolé de t'avoir laissée comme ça... J'avais pas d'autre choix. »
Ah oui, il ne sait pas que j'ai quitté l'hôtel.
Pour être honnête, j'ai pensé un instant à ne pas le détromper et à mentir par omission. Mais la vérité, c'est que j'en ai marre de mentir.
« J'ai lu ta conversation avec Julio. Tu es à la villa ? Il est avec toi ? »
Je peux presque entendre sa surprise alors qu'il reste silencieux, se demandant sans doute à quel degré de pétrin il se situe. Puis il souffle.
« Oui.
-Je suis en route.
-Axelle...
-C'est pas une question, Daryl, j'arrive que tu le veuilles ou non. »
Je m'apprête à raccrocher mais sa voix faible murmure quelques mots qui me clouent sur place :
« Je suis tellement désolé, ma princesse. »
...c'est mauvais...
Je connais ce ton et c'est celui des mauvaises nouvelles. Jusqu'ici, ce qui suivait ce genre d'excuse c'était « je pars sans toi » ou « je t'ai trompée ». Je me demande vraiment ce qui peut être pire.
« Pour...pourquoi t'es désolé ?
-Pour tout. J'ai été nul.
-De quoi tu parles ? C'est parce qu'on s'est engueulés ?
-C'est toi qui avais raison, Axelle. Tout ça, c'est ma faute. »
Mais de quoi il parle ?
« Mais...Daryl, j'ai jamais dit ça. »
Je ne sais même pas de quoi il s'accuse. Mais ce qui est sûr c'est qu'il est hors de question que je laisse la culpabilité le ronger. Je connais trop bien ce sentiment pour ne pas savoir qu'il peut détruire les gens. Jamais je ne lui dirai une chose pareille.
« J'aurais jamais dû t'embarquer là-dedans, reprend-il sans vraiment m'écouter. Tu mérites quelqu'un qui t'aime et qui prend soin de toi. »
Comment ça « quelqu'un qui t'aime » ??
Je dois comprendre quoi, là ? Qu'il ne m'aime pas ? Qu'il ne m'aime plus ? A cette pensée, je sens mon cœur s'arrêter de battre un instant. Je ferme les yeux en essayant de calmer mon cerveau qui s'emballe un peu trop vite.
« Je me fous ce que je mérite ou pas, Daryl, je te veux toi et personne d'autre. »
Il laisse échapper un rire triste.
« C'est gentil de mentir pour moi, crevette. Mais c'est pas la peine. Je crois que t'as raison, faut que je sorte de ta vie.
-Mais de quoi tu parles, espèce d'abruti ?? »
Je vais le tuer. S'il me quitte encore je vais le tuer. Je vais littéralement lui faire la peau.
« Tu te souviens pas de ce que tu m'as dit ? »
Ce que je lui ai dit ? La dernière fois que je lui ai parlé, c'était pour le traiter de connard. Mais bon, c'est pas la première fois et il a jamais réagi comme ça ! Je prends une grande inspiration pour me calmer.
« Ecoute, t'emballe pas, d'accord ? C'est juste une dispute, on va en parler et on va régler ça. Attends-moi.
-C'était pas juste une dispute, Axelle. C'était la preuve que tu peux plus continuer. Et je veux plus te faire de mal.
-Bon dieu mais tu vas pas me faire tout un plat parce qu'on s'est engueulés !
-Je parle pas de ça. Je parle de ce matin. »
...ce matin ?
Comment ça, ce matin ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ce matin ? Je dormais ce matin !
« On s'est pas vus ce matin... »
Il a craqué ? Ou alors, c'est moi, je suis définitivement devenue sénile ? Il inspire profondément avant de répondre d'une voix tremblante.
« Tu te souviens pas...
-De quoi tu parles ?
-Je suis rentré ce matin. Tu pleurais...à cause de Julio. T'avais peur. »
Oui, je me souviens de la peur. Je me souviens de ses menaces et je me souviens qu'il m'a épargnée. Mais je ne me rappelle pas du tout avoir vu Daryl.
« Tu m'as dit que c'était ma faute. Que tu voulais plus me voir. Tu m'as dit de partir. »
Oh merde...
Je plaque une main sur ma bouche, horrifiée. Non mais qu'est-ce qui m'a pris bon sang ? Je devais être en pleine hystérie parce que jamais je n'aurais dit ça dans mon état normal ! Oh seigneur, j'ai dû lui faire tellement mal...
« Je...je le pensais pas, bébé. Je sais pas pourquoi j'ai dit ça...
-T'avais raison.
-Non ! Non, oublie ce que j'ai dit, s'il-te-plait,
-J'aimerais bien. »
Oui, évidemment. Ce n'est pas le genre de parole qu'on balance à la légère. Ce sont des mots qui font mal, des mots qui marquent au fer rouge.
« J'étais pas dans mon état normal... je te jure que je ne pense rien de tout ça.
-Pourquoi ? »
Je reste saisie un instant, sans comprendre la question. Devinant mon trouble, il reprend :
« Pourquoi tu penses pas ça, Axelle ? Pourquoi tu veux encore me voir ? Pourquoi tu me détestes pas ?
-Je... »
Prise de court, j'hésite. C'est aussi difficile d'expliquer les sentiments qu'on ressent que ceux qu'on ne ressent pas. Peut-être bien que je suis tarée pour l'aimer encore et pour le vouloir à tout prix dans ma vie. Mais c'est comme ça, je ne peux rien y changer. Et je crois que si je pouvais, je ne le ferais pas. Tremblante, je chuchote :
« Parce que je t'aime. »
***
Daryl
« Parce que je t'aime. »
Sa voix n'est plus qu'un souffle et pourtant ses mots sont si puissants qu'ils pourraient balayer une forêt. Comme le battement d'aile d'un papillon, son chuchotement se transforme en brise, puis en bourrasque de chaleur qui vient me fouetter le visage et se répandre dans tout mon corps. Jamais avant elle je n'avais imaginé que des mots aient un tel effet sur moi. Jamais je n'avais senti ces palpitations, ces frissons, cette boule dans mon ventre, cette impression que le monde entier retrouve enfin un peu de lumière. Comme un décor en gris qui se colore soudainement. Comme un miracle. Comment une fille qui a tout souffert peut-elle encore tant donner ? A cet instant, je n'ai plus aucun doute. En fait, je crois que je n'en ai plus depuis que j'ai entendu sa voix. Je suis salement amoureux d'elle et tout ce que Julio a dit n'est qu'un ramassis de conneries. Il a tenté de me manipuler encore une fois et j'ai foncé tête baissée. J'aime Axelle du plus profond de ma putain d'âme. Peut-être que quelqu'un d'autre la rendrait plus heureuse, lui simplifierait la vie. Mais personne ne l'aimera jamais plus que moi. Sans vraiment savoir pourquoi, je ne peux m'empêcher de sourire.
« T'es vraiment pas croyable comme fille. »
J'entends du bruit derrière moi, mais étrangement, ça ne me semble pas si important. Le plus important, c'est ce que je veux lui dire.
« Je t'aime aussi. »
***
Axelle
« Je t'aime aussi. »
Ce sont les derniers mots que j'entends. Tout de suite après, il y a le bruit d'un coup de feu. Le portable tombe par terre et la communication se coupe. Trois bips. Puis plus rien.
***
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Je commence la publication d'une nouvelle histoire: Les Faucheurs! Style fantastique/policier, n'hésitez pas à y jeter un oeil ^^
Prochaine partie de Fire & Gasoline samedi!
Je vous adore! <3