— Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas papa. Moi aussi j'aime Nela, elle est mon sang, ma famille, alors pourquoi est-ce que je n'ai pas le même privilège que Jack ?
Revenus sur la plage de l'École des Pouvoirs, Ed et Joey marchaient au bord de l'eau.
— Certaines choses ne s'expliquent pas fiston. Une seule personne peut être son ancre, et son choix s'est portée sur Jack, tu dois le respecter. Cela ne veut pas dire qu'elle ne t'aime plus, ça signifie simplement que son cœur s'est tourné vers lui lorsqu'elle s'est retrouvée en danger. Et c'est aussi ce qui fait qu'aujourd'hui elle réussit à garder le contrôle, que la Rose Noire ne parvient pas à prendre l'entière emprise de son corps. Tu n'as pas le droit de lui retirer ça, de lui retirer ces petits moments de bonheur. N'en veux pas non plus à Jack, lui aussi veut l'aider, laisse le faire, il saura la sauver, mais à sa façon. Te mettre sur le chemin de ce garçon revient au même que livrer l'âme de Nela à la Rose Noire, et on sait tous deux que ce n'est pas ce que tu veux fiston. Alors, s'il te plaît, réfléchis avant d'agir, les décisions que tu prendras ce soir construiront ton demain...
Ce fut sur ses sages paroles que le vieil homme laissa son fils seul, l'esprit tiraillé entre le cœur et la raison, il n'avait plus qu'à faire son choix.
***
Le lendemain matin, le soleil donnant un peu de joie aux habitants de l'île Atimude, Fleure prenait son petit déjeuner sur la terrasse des repas en compagnie de Mélia qui avait enfin pu quitter l'infirmerie et Peter. Les trois amis discutaient de la vision de Mélia, cherchant un sens à cette histoire. Le moindre détail était important, ils devaient comprendre le message caché. Mais Fleure lâcha rapidement l'affaire lorsqu'elle aperçut Jack passer la porte vitrée en compagnie de ses amis. Elle se précipita vers lui, lui agrippa le bras et l'emporta avec elle dans le grand hall, à l'abri des regards. Il était temps qu'ils aient une petite discussion.
— On peut savoir ce qui t'a pris hier soir ? Tu ne comptes quand même pas nous abandonner ? J'ai une très mauvaise intuition te concernant, Jack, et je n'aime pas du tout ça. J'ai le pressentiment que tu changes de camp, alors je t'en supplie, rassure-moi en me disant que ce n'est qu'une idée folle.
— Et qui est-ce qui pense ça, hein ? Toi, ou la sorcière qui t'habite ?
Blessée, Fleure le regarda avec déception. Toute sa colère s'évanouit. Il n'avait pas tort. Elle aussi devenait différente.
— Je te reconnais plus Jack... Nous vivons une situation difficile, j'ai besoin d'être sûre que tu sois avec moi... on en a tous besoin à vrai dire.
Jack se rapprocha d'elle, et d'un air menaçant, il retira sa main de son épaule.
— Je suis avec une seule personne dans cette bataille, Fleure. C'est Nela. Et ça sera elle jusqu'au bout, peu importe ce que ça me coûte.
Il ne resta pas une minute de plus près d'elle. D'un coup d'épaule, il la repoussa de son chemin et partit rejoindre ses amis sur la terrasse des repas.
Fleure, bouche bée sentit sa marque au poignet la bruler, son cœur commença à s'emballer. Ne comprenant pas ce qui lui arrivait, elle courut s'enfermer dans sa chambre, là où personne ne pourrait la voir. La rose blanche dessiner sur son bras scintillait. Elle s'assit sur son lit, observant son reflet dans l'imposant miroir au-dessus de sa commode. Ses iris blancs brillaient eux aussi, ils brillaient si fort que Fleure fut obligée de fermer ses paupières. Une puissante lumière jaillit du miroir, laissant apparaître Diana Ray dans la glace.
— Bonjour Fleure.
Interpellée, Fleure abaissa ses bras de devant son visage, et timidement, elle ouvrit les yeux, admirant la femme qui se trouvait à l'intérieur de son miroir. Elle se contenta de s'incliner, elle ne savait pas vraiment comment réagir devant l'esprit, qui souriait fièrement en l'observant. Cela la mettait mal à l'aise, elle savait que si Diana Ray apparaissait devant elle aujourd'hui, ce n'était pas pour rien. Quelque chose se préparait.
— Pourquoi souriez-vous comme ça ? La situation n'a rien de drôle.
— Je ne souris pas parce que quelque chose est drôle Fleure. Je souris car je suis fière de toi, tu es enfin prête.
— Prête ? Prête pour quoi ? Je ne fais que me tromper et prendre les mauvaises décisions, comment pouvez-vous me dire ça ?
— Au contraire. Tu es obstinée et tu as les idées claires. Tu es la seule de tes amis à comprendre le danger que représente Nela. Je sais qu'aujourd'hui je peux te céder tous mes pouvoirs, tu sauras les utiliser à bon escient. C'est à toi de jouer maintenant Fleure, tu connais ta mission, et je sais que tu la mèneras à bien. Mais n'oublie pas, la patience sera ta meilleure amie dans ce combat. Ne te précipite pas, tu y arriveras, j'ai confiance en toi.
— Je ne comprends rien à ce que vous me dîtes. Que veut dire tout ça ?
— C'est la dernière fois que tu me verras. Tu es brave, forte et intelligente, tu sauras me venger. Tu sauras prendre les bonnes décisions pour réussir à tuer ton amie. Tu es digne de la Rose Blanche, Fleure. C'est pour ça que je te confie tous mes pouvoirs, tu en auras besoin pour vaincre AlKatir.
Diana, les mains tendues vers Fleure, créa une boule de lumière qui traversa le miroir. Prudemment, et instinctivement attirer vers cette lumière magique, la rouquine tendit sa main jusqu'à ce que son index effleure la bulle blanche. À son contact, toute la lumière disparue, semblant parcourir son corps, venant s'imprégner de chaque particule de son organisme jusqu'à ce qu'elle atteigne son cœur. Affaiblie, Fleure tomba sur son lit. Elle sentait son sang glacé se déplacer dans ses veines, elle entendait son cœur tambouriner dans sa poitrine. Un frisson l'envahit, elle n'avait jamais ressenti ça au paravent. C'était comme si son corps entier la remerciait, mais un court instant, elle crut mourir. Tout lui semblait différent, elle regarda ses mains, bougea ses doigts. Tout était normal. Un peu déstabilisée, elle se leva face à son miroir, et observa la femme qui avait perdu tout son éclat devant elle.
— Je te confie également ma force, elle t'aidera à ne jamais abandonner, grâce à elle tu ne perdras pas espoir, tu sauras te battre jusqu'au bout.
Elle tendit alors à nouveau la main, qui comme par magie, traversa la vitre. Fleure hésita un moment. Tout ça semblait irréel, elle avait toujours cru en la magie, mais comment une telle chose était-elle possible ?
Fleure pris alors une grande inspiration, et pleine d'hésitations, elle tendit à nouveau sa main vers la Rose Blanche. Cette fois-ci, au contact de la reine Diana, une vague de chaleur l'envahit, sa vision devint floue. Elle s'écroula au sol, s'efforçant de refouler l'envie de vomir qui lui vint subitement. Elle devait se montrer forte, elle devait être à la hauteur. Dans un cri de rage, Fleure rassembla le peu de forces qui lui restaient pour se remettre debout. Diana était sortie du miroir. N'étant plus qu'un fantôme, elle lévitait devant elle, disparaissant un peu plus chaque seconde. Elle versa une larme dans une petite fiole qu'elle lui remit.
— Et maintenant, bois ça, et tu ne douteras plus. Tu sauras que tu es sur la bonne voie, personne ne pourra plus remettre ton jugement en question. Tu as choisi le bon camp Fleure. Une fois que tu auras bu cette fiole, je disparaîtrai. Tu regarderas dans ton miroir, je dois encore t'offrir une dernière chose, mais pour ça, je ne dois plus être là. C'est à toi de jouer maintenant, bonne chance Fleure.
Sans réfléchir, la rouquine but d'une traite la petite fiole avant de la laisser se briser au sol. Le goût était immonde. Sa gorge la brûlait. Elle hurla de douleur, son corps prenait feu de l'intérieur. Coucher au sol, recroqueviller sur elle-même, elle se tenait l'estomac, priant pour que la douleur cesse. Ne sentant plus aucun de ses membres, elle rampa avec difficulté jusqu'à son miroir. Elle sursauta, ses yeux brillaient encore, ses iris blancs scintillaient plus qu'une étoile. Ça n'avait aucun sens. Son reflet ne renvoyait pas la même chose que d'habitude. La jeune Fleure avait disparu. Elle prit sur elle et s'appuya sur sa chaise de bureau pour se redresser, il fallait qu'elle soit forte. Diana Ray attendait quelque chose d'elle, il fallait qu'elle soit à la hauteur. Difficilement, Fleure s'avança alors vers la psyché au coin de sa chambre, et fixa ses yeux, aussi terrifiants soient-ils. Elle colla son front à la glace et hurla de douleur. C'était à ce moment-là que la vitre devint comme une flaque d'eau. Elle y passa alors sa main, puis son visage, avant d'entièrement disparaître dans le miroir. Tout redevint alors calme dans sa chambre. Quant à Fleure, elle se retrouva au milieu d'une plaine. Mais, évidemment, pas n'importe quelle plaine.
Un peu désorientée, elle se releva. La souffrance qui l'habitait quelques secondes auparavant avait totalement disparue. Elle marcha un peu, cherchant à se repérer, mais rien n'y faisait, elle ne savait pas où elle était. Ne comprenant pas, elle continua à errer, pieds nus au milieu de la forêt, jusqu'à entendre des voix. Elle s'arrêta nette, se cachant derrière un arbre. Nela était là, assise auprès d'un ruisseau, les cheveux mouillés, elle riait.
Étonnée de l'avoir trouvé, Fleure ne fit rien, elle l'observait. Depuis le temps qu'elle essayait de la voir, elle voulait profiter de cet instant. Et si elle mettait fin à cette histoire maintenant ? Après tout, c'était comme ça que ce serait le plus facile, lorsqu'elle serait elle-même. Car malgré la puissante source de pouvoir que venait de recevoir Fleure, elle n'était pas naïve, combattre le roi AlKatir ne serait pas une mince affaire. Il suffisait simplement de trouver comment bien utiliser ces nouveaux pouvoirs. L'héritière de Diana Ray observa alors son amie de loin, réfléchissant à un plan d'action.
— Tu sais Jack, tu ne pourras pas me cacher indéfiniment, un jour ou l'autre on finira par me trouver, ou même par te suivre.
Le mentor de Nela fit alors son apparition dans le champ de vision de Fleure. Elle se crispa. On ne pouvait pas dire qu'ils étaient en bons termes ces temps-ci, une bonne leçon ne lui ferait pas de mal. Mais, elle n'était pas ici pour cela, il fallait prendre son mal en patience, un jour ou l'autre, elle pourra régler ses comptes avec Jack.
— Nous sommes au milieu de nulle part Nela, tu ne risques rien. Jamais je ne te mettrais en danger, tu le sais bien. Et figure-toi que je ne prends jamais le même chemin pour venir, je fais même des détours. Tant que je veille sur toi, il ne pourra jamais rien t'arriver.
Le beau blond embrassa tendrement sa petite protégée avant de s'envoler, la laissant seule.
Un peu déboussolée, Fleure prit un bout de bois qui traînait par terre, et soupira un bon coup. C'était sa chance. Elle s'avança près de Nela d'un pas léger, il ne fallait pas qu'elle se fasse remarquer. La jeune fille, dos à elle, lançait des cailloux dans l'eau, essayant désespérément de faire des ricochets. Un peu étonnée qu'elle ne l'ait pas remarquée, Fleure brandit son arme sur elle et la frappa de toutes ses forces lâchant un cri de guerre. Mais.... Rien. Rien ne se passa. Nela continuait à jouer avec ses galets, elle ne s'était même pas retournée. Dans l'incompréhension, Fleure tenta une nouvelle fois d'attaquer son amie, mais il ne se passa toujours rien, son bout de bois traversait le corps de Nela. Fleure lui cria alors dessus, lui ordonnant de lui faire face, de se battre. Elle rentrait dans une colère noire, quand soudain, tout s'évapora autour d'elle. Elle ouvrit les yeux et se retrouva à nouveau dans sa chambre, allongée sur son lit. Elle sursauta alors, ne comprenant rien à ce qui se passait.
— Waouh ! Alors ça, c'était impressionnant.
— Mélia ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
— Juliana est venue chercher Peter à la cafétéria et elle m'a demandé de te trouver. Elle à l'air vachement en colère. Tu ferais mieux de te dépêcher, elle t'attend dans son bureau.
Plus rien n'avait de sens, Fleure était totalement déconnectée de la réalité. Elle saisit alors la petite voyante par le poignet et elle l'entraîna avec elle jusqu'au bureau de leur directrice. Elle tambourina avec son poing contre la porte jusqu'à ce qu'elle ne s'ouvre. Peter finit alors par apparaître, leur adressant une petite moue semblant signifier « bonne chance » avant de partir en direction des salles de classe, un emploi du temps et quelques bouquins sous le coude.
Fleure rentra alors avec Mélia et toutes deux s'installèrent dans les fauteuils face au bureau. Et en effet, Juliana semblait réellement en colère. Que pouvait-il encore bien se passer ?
— Je pensais pouvoir te faire confiance Fleure. Tu peux me dire quand tu comptais m'en parler ? Et ne fais pas l'innocente ! Je sais que tu étais au courant.
Décidément, cette journée ne cessait d'étonner Fleure. Une fois de plus, elle ne comprenait absolument rien à ce qu'il se passait. Elle échangea un regard interrogatif à sa voisine cherchant à comprendre, mais celle-ci haussa les épaules, ne semblant pas être plus au courant qu'elle.
La directrice comprit alors qu'elle ne tirerait rien de ses deux élèves sans preuve. Elle toqua à la seconde porte du bureau, laissant se joindre à elle une quatrième personne.
— Joey ? s'étonnèrent les deux filles en cœur.
Ils n'avaient établi qu'une règle : rester discrets. Fleure n'avait plus qu'à espérer que Juliana soit dans son camp. Si Joey était là, ce n'était pas pour rien. Ça allait être sa parole contre la sienne. Que le plus convaincant gagne