Après une heure de galopade au travers de la forêt de l'île Atimude, Jack stoppa sa monture et se tourna face à ses amis.
— Le chemin s'arrête ici pour nous.
— Quoi ? Pourquoi ? Nous sommes encore loin de l'école, lui fit remarquer Diego, intrigué.
— Qu'as-tu dans la tête Jack ? lui demanda Jason, soupçonnant qu'il s'agit de Nela.
— Je dois la protéger. Si je l'emmène à l'école, je sais qu'elle aura des problèmes. Même si j'adore Fleure et Juliana, vous ne me ferez pas changer d'avis, elles n'œuvrent pas pour son bien, je le sais.
— Parce qu'avec toi elle sera en sécurité peut-être ? Tu feras quoi le jour où elle perdra le contrôle ? Quand la Rose Noire réapparaîtra, hein ? Elle va te tuer Jack ! s'énerva Alice, folle d'inquiétude.
— Eh ! Pour qui me prends-tu ? Je ne suis pas un animal, je ne ferais jamais de mal à Jack.
— C'est ce que tu dis ça. N'oublie pas que tu es possédé par un démon bien plus fort que toi, surenchérit la jolie blonde.
— Elle a raison, Nela. On sait que toi tu ne ferais rien, mais ce truc qui vit en toi... il n'hésiterait pas une seule seconde, intervint Diego, repensant aux récents événements.
La pauvre Nela, apeurée de ce qu'elle pourrait faire en entendant la frayeur dans la voix de ses amis, préféra fuir. Alors que Jack la défendait corps et âme contre les trois autres, Nela descendit discrètement de cheval et partit s'enfoncer dans la forêt. Mais ils s'en aperçurent vite. Jack jura, et ordonna à ses camarades de rentrer. Il fallait qu'il la retrouve. Il l'avait déjà perdu une fois, il ne voulait pas que ça se produise à nouveau, pas si vite. Pas sans avoir eu le temps de profiter d'elle.
Jason, Alice, Diego et Joe toujours endormie, partirent alors à l'école sans discuter, leur mission était terminée, Alice était sauvée. Mais alors, pourquoi avaient-ils en eux ce petit goût d'amertume, pourquoi avaient-ils l'impression d'avoir échoué ? Quelque chose n'allait pas, ils en étaient tous persuadés, mais aucun d'eux n'osait en parler. Alice était en vie, c'était la seule chose importante dont ils devaient se préoccuper pour le moment.
***
Quelques heures plus tard, ils arrivèrent à l'École des Pouvoirs. Un troisième année les ayant aperçus, prévint rapidement Juliana, et l'infirmière. Épuisés, les jeunes étaient heureux d'être enfin rentrés, la vie de super héros, ce n'était pas fait pour eux. Le concierge ramena les chevaux aux écuries tandis que l'infirmière aidée d'Agon, un troisième année un peu trop curieux, conduisit Alice et Joe à l'infirmerie. Les deux filles étaient faibles, elles avaient besoin de repos et surtout, de bons soins. Quant à Jason et Diego, leur désillusion fut grande lorsque la directrice les convoqua dans son bureau. Le repos, ce n'était pas pour maintenant. Juliana avait besoin de savoir ce qui s'était passé dans le manoir des horreurs avant que les souvenirs s'effacent ou deviennent flous.
Arrivant alors dans le bureau, les deux garçons furent accueillis par une accolade de la part de Fleure. Ils lui rendirent son étreinte, un peu surpris, avant de se placer au centre de la petite pièce, sans trop savoir s'ils étaient prêts pour l'interrogatoire.
— Oh, Dieu merci, vous n'avez rien ! Je suis tellement heureuse que vous soyez rentré sain et sauf ! s'enthousiasma Fleure, en faisant un peu trop.
Elle laissa alors les deux garçons s'installer dans les confortables fauteuils en cuir face au bureau de Juliana et vint prendre place à côté de sa directrice. Un sourire fier accroché aux lèvres et la tête haute.
— Bien, je suis aussi soulagée qu'il ne vous soit rien arrivé les garçons. J'ai besoin de savoir comment s'est déroulée la mission. Dîtes moi tout, ne négliger aucun détail, leur demanda la directrice, tapant du pied d'impatience.
Jason et Diego se lancèrent d'abord un regard. Tous deux se posaient la même question. Fallait-il mentionner Nela dans cette histoire ? Vu la façon où Jack avait parlé de Fleure et Juliana, il était peut-être mieux d'éviter sujet. Tout comme l'intervention de Jack. Il était censé conseillé, pas venir sauvé Nela. Et comment expliquer ce qui était arrivé à Joe. Il y avait trop de secrets, trop de choses inavouables. Et même avec tout le respect qu'ils avaient pour leur directrice, Nela restait leur amie. Ils ne pouvaient pas la trahir, ils ne voulaient pas la trahir. Diego soupira alors, et finit par se lancer.
— Euh... Eh bien, il y avait quatre hommes et... il déglutit. Je... on a sauvé Alice de justesse.
Juliana fixa son élève, attendant une suite, des détails, quelque chose d'intéressant, mais rien. Diego hochait la tête de haut en bas les lèvres pincées. Elle ne tirerait rien de plus de lui.
— Bien. Et toi Jason. Tu pourrais être plus précis ? M'expliquer plus en détail comment le sauvetage s'est passé ?
Jason lança un rapide coup d'œil à Fleure. Celle-ci comprit rapidement que quelque chose s'était passé, et qu'ils ne pouvaient pas en parler. Elle décida alors de les aider à protéger leur secret.
— Ils doivent être fatigués Juliana. Regardez-les ! On ferait mieux de reprendre la conversation demain matin. Une bonne nuit de sommeil remet généralement bien les idées en place.
Les deux garçons acquiescèrent vivement au vu de cette super idée. Malheureusement, leur directrice ne sembla pas du tout de cet avis. Elle tapa du poing sur son bureau, lançant un regard noir à Fleure.
— Il est hors de question que ces deux jeunes sortent de ce bureau sans m'avoir parlé, c'est bien clair ? Alors, Jason, je t'en prie, dis-moi tout.
Il n'avait plus le choix. Il regarda ses chaussures et prit une grande inspiration, il était prêt à dire toute la vérité.
— Je suis rentré le premier. Quatre hommes se trouvaient dans la cuisine, ils parlaient d'Alice.
— Que disaient-ils ? lui demanda Juliana, prenant des notes.
Jason serra les poings.
— Ils disaient qu'elle ne parlerait pas, il la qualifiait de bornée. Un cinquième homme est descendu et c'est là que j'ai trouvé Alice attachée sur une chaise au grenier. Je l'ai prévenu que nous venions la sauver, et je suis allé prévenir les autres.
— Et comment avez-vous fait ? Comment avez-vous sauvé Alice des mains de ces cinq hommes ? insista Juliana.
Arrivant à bout, Jason se massa les tempes, il allait craquer. Diego lui mit un coup de coude, le suppliant du regard, il devait se taire.
— Jack...
Quelqu'un frappa à la porte, interrompant les révélations. Les élèves laissèrent s'échapper un soupir de soulagement.
Le concierge déboula dans la petite salle et s'adressa directement à Juliana.
— Vous devriez venir voir madame, une voiture est arrivée.
— Quoi ? Mais nous n'attendons personne. Rassemblez les élèves à l'intérieur. Vous deux, nous n'en avons pas fini, nous continuerons cette conversation plus tard. Quant à toi Fleure, suis-moi.
La boule au ventre, appréhendant quelle mauvaise surprise les attendait à nouveau, Juliana et Fleure se dirigèrent d'un pas rapide à l'entrée de l'École des Pouvoirs. Perchées au-dessus des escaliers en marbre, elles ne quittèrent pas des yeux la limousine noire garée dans la cour un peu plus bas.
Éblouies par le soleil, c'était avec peine qu'elles découvraient la silhouette qui descendait du véhicule. Un jeune homme, d'environ dix-sept ans apparut alors, sa valise sous le bras. De son sourire rayonnant, il s'avança vers les deux jeunes femmes qui ne le reconnaissaient pas. Mais, il fallut peu de temps à Fleure pour identifier leur invité. Son visage s'illumina. Elle courut en sa direction, trop heureuse de le revoir. Son ami la serra dans ses bras, la faisant tournoyer en l'air, il pensait ne plus jamais revenir ici. Juliana aussi d'ailleurs. Son air colérique pendu à la figure, elle se dirigea en furie vers eux.
— Peter ! On peut savoir ce que tu fais ici ? Il me semble que tu as été viré de l'établissement. Et puis, comment t'es-tu débrouillé pour revenir sur l'île ? Toutes les frontières ont été fermées, c'est impossible. Tu es inconscient ou juste suicidaire ? Tu ne sais donc pas ce qu'il se passe ici en ce moment ?
Le jeune, toujours aussi plaisantin et détendu qu'auparavant, laissa un petit rire s'échapper. Il déposa un baiser sur la joue de Fleure avant de faire face à sa directrice.
— Je pense que ce que vous vouliez dire Juliana, c'est : « Oh, Peter ! On est vraiment heureux de te retrouver, toute aide est la bienvenue ». Quant aux frontières, ne vous inquiétez pas, je ne vous apporterais pas de problèmes.
— Allez Juliana ! Ne faites pas cette tête, vous savez que cette une bonne chose qu'il soit de retour. Acceptez-le, je vous en prie. Il se concentra sur ses études en premier lieu, il aidera les élèves à rester concentrés et il redonnera un peu de joie dans l'école. On en a tous besoin, vous ne croyez pas ? Sans oublier qu'il est mon ami... comme un ami de Nela..., il saura nous aider.
— Très bien. Vous avez gagné. Mais Peter, ne prend pas de décision idiote, tout ça n'a rien d'un jeu. Nous aurons d'ailleurs une discussion à propos de ton retour ici, je n'apprécie pas que l'on me désobéisse.
Sans attendre plus, Peter déposa sa valise dans sa chambre et reprit ses bonnes vieilles habitudes. Il s'installa confortablement dans l'un des vieux sièges de la bibliothèque et il écouta Fleure lui résumer tout ce qu'il avait raté ces derniers mois. S'il était revenu, c'était pour remettre de l'ordre dans l'école, il était triste de voir à quel point tout avait changé, son monde s'était bouleversé.
— Fleure ! Joe s'est réveillée, viens, vite !
Jason coupa leur tête-à-tête, déboulant dans la grande salle. Pour une fois, c'était une bonne nouvelle. Fleure prit la main de Peter et lui demanda de la suivre.
Ils coururent tous les trois jusqu'à l'infirmerie. Le docteur Ramon accepta facilement de les laisser aller voir leur camarade. Certes, elle s'était réveillée, elle était encore en vie après ça, mais... très faible, peut-être même trop. Fleure lui prit la main. Ils étaient tous les trois autour d'elle, un sourire réconfortant aux lèvres.
— Bonjour, articula-t-elle difficilement.
— On est heureux que tu sois encore parmi nous ! rétorqua Jason.
Joe sourit, tout en scrutant ses amis un par un, s'arrêtant sur Peter.
— Joey... ?
Ils s'échangèrent un regard attristé.
— Non Joe, c'est Peter. Joey est... il n'est pas là, désolé...
La seconde année referma alors les yeux, déçue.
Assistant de loin à la scène, une infirmière les fit sortir, Joe était encore trop fatiguée pour recevoir du monde finalement. Mais, avant de partir, Fleure se rapprocha d'un autre lit.
— Hey, salut ! l'accueilli joyeusement Mélia.
— Quand vas-tu sortir d'ici ?
— Je ne sais pas, j'ai vraiment mal à la tête. Mon pouvoir en est peut-être la cause, ils veulent faire des examens plus poussés, surtout après ce qui est arrivé à Johanna...
— Ils sauront te soigner, t'en fais pas. Ouvre ta fenêtre ce soir. Je viendrais avec Joey, et espérons-le, Jack. Il faut qu'on parle.
Jason l'attendait dans le hall d'entrée. Peter était parti retrouver Diego. Un malaise régnait entre les deux tourtereaux, ils ne savaient plus quoi se dire, ils n'arrivaient même plus à se parler à vrai dire. Quelque chose s'était brisé entre eux. Mais aujourd'hui, Fleure préféra mettre leur querelle de couple de côté, il fallait qu'elle profite qu'ils soient tous les deux pour comprendre ce qu'il s'était passé au manoir et surtout, il fallait qu'elle sache où était encore passé Jack.
***
La lune se montra enfin. Nela était assise sur un rocher, les pieds trainants dans l'eau turquoise qui commençait à briller sous la lumière du jour tombante. Les lucioles émanant des fleurs vinrent virevoltés autour d'elle, prêtes à danser suivant ses mouvements. Pas d'humeur, Nela les chassa d'un geste nonchalant de la main. Elles retombèrent toutes au sol, perdant tout leur éclat. Ce qui auparavant lui semblait magique ici n'était plus qu'un mauvais souvenir. Une larme s'échappa de son œil, venant glisser le long de sa joue avant de s'écraser sur sa main jouant avec une de ses longues mèches brunes.
L'ayant enfin retrouvé, Jack l'observait. Elle lui brisait le cœur. Il ne supportait pas de la voir comme ça, sans espoir, seule. Il était temps de lui prouver qu'elle n'était pas un monstre, mais quelqu'un de spécial.
Le beau blond se déchaussa alors et vint s'installer à côté d'elle, laissant lui aussi trainer ses pieds dans l'eau. Il la prit dans ses bras, déposant un tendre baiser sur son front.
— Quand j'avais seize ans, lors des vacances de Noël, j'étais en Irlande chez un ami de Juliana, un sans-pouvoir. Je passais mon temps au terrain de jeu, je volais, faisant rêver les plus jeunes. Ils adoraient que je vienne, je leur donnais de l'espoir, je leur donnais envie de croire en leur rêve un peu plus fort chaque jour. J'adorais ça... Mais un après-midi, une petite fille me lança une cannette dessus me faisant perdre l'équilibre et tomber au sol. Elle vint alors jusqu'à moi, les joues rouges et les yeux embués par le chagrin, et elle me dit : « tu es un monstre, c'est quelqu'un comme toi qui a tué mon papa, vous ne devriez pas exister. Les gens bizarres comme toi, ils vivent à l'autre bout du monde tout seul, pas avec nous, tu n'as pas ta place ici. » Ses mots m'ont blessé. Je suis resté allongé sur la neige, n'arrivant pas à quitter le ciel du regard. Un par un, les enfants m'ont lancé une boule de neige dessus avant de partir. Ils ne sont plus jamais revenus, ils s'écartaient quand ils me croisaient, ils avaient peur, ils me fuyaient. On ne me voyait plus comme le « garçon de Noël » qui fait sourire les enfants, non, je n'étais plus qu'un meurtrier, pourtant j'étais innocent. Mais je savais voler, j'étais donc exactement comme le tueur de cette petite fille.
Intriguée, Nela se redressa, lui donnant toute son attention.
— Pourquoi est-ce que tu me racontes ça ?
— Parce que c'est exactement ce qui t'arrive aujourd'hui, Nela. Tu es une fille spectaculaire avec un merveilleux pouvoir. Tu ne cherches qu'à faire le bien autour de toi, mais les gens que tu aimes te lâchent un par un et essaient de te tuer parce qu'ils ont peur ! Ils ont peur de celui qui partage ton corps et qui fait du mal autour de lui, pourtant ce n'est pas toi, tu le sais, et ça, ça te détruit parce que tu peux absolument rien faire à part en subir les conséquences.