— Du thé ? Proposa gentiment Juliana à son élève assise en face d'elle.
— Non merci.
La directrice reposa alors le bouchon de porcelaine sur le haut de la théière avant de s'assoir sur un siège voisin à celui de Fleure. Bien installée, elle faisait tourner sa cuillère dans la petite tasse, essayant de paraître le plus calme possible pour ne pas brusquer la jeune fille.
— Alors, dis-moi, où est Jack ? Je suis surprise qu'il ne soit pas avec toi, il s'agit tout de même de Nela, il est son mentor et même plus d'après ce que j'ai cru comprendre.
— Eh bien... Justement, là est bien tout le problème.
Une perle d'eau glissa sur le front de Fleure, elle avait soudainement très chaud. Comment allait-elle pouvoir justifier la disparition de leur plus grand atout dans cette maudite guerre ? Elle prit un instant pour bien choisir ses mots, elle ne voulait pas s'attirer les foudres de Juliana.
— J'attends Fleure. Que se passe-t-il ? Tu sais quelque chose que j'ignore ? Il faut que tu me parles, je veux savoir ce qu'il se passe, j'ai besoin de le savoir ! Pour vous aider... tout ce que je veux, c'est vous aider !
— Il est parti retrouver Nela. J'ai essayé de l'en empêcher, je vous le jure, mais je n'ai rien pu faire, je suis tellement désolée. Je pensais que je contrôlais la situation, mais en fait... ça n'a jamais été le cas. Il court après son amour perdu et je doute qu'il abandonne un jour, j'ai peur que l'on doive oublier son aide, il n'y a plus que... moi.
C'est à ce moment précis que Fleure réalisa à quel point elle était seule dans cette histoire. Tous ses amis l'avaient abandonnée, un par un. Il y avait peut-être encore Mattéo, mais il passait ses journées à pleurer, il s'était totalement renfermé sur lui-même. Il passait son temps dans une petite crique isolée, personne ne savait réellement ce qu'il y faisait sauf le professeur Walter. il allait souvent le voir, peut-être pour discuter ou pour travailler son pouvoir. Ce qui était sûr, c'est qu'il n'allait pas l'aider à tuer Nela, il préfèrerait mourir que faire du mal à celle-ci.
Juliana l'interrompit dans ses pensées en posant une pile de livres poussiéreux devant elle. Son visage s'était fermé, elle avait rapidement natté sa longue chevelure et débarrasser son bureau de la tonne de paperasse qui le recouvrait. C'était une nouvelle femme qui se tenait là, elle semblait déterminée et incroyablement confiante. Il était apparemment temps d'agir.
— Bien, tu seras seule alors. À l'intérieur de ces livres, tu trouveras la carte entière de l'île Atimude, avec tous ses recoins et ses plus grands secrets, son histoire, les choses à savoir. Ce sera ton plus grand pouvoir de connaître cet endroit sur le bout des doigts. Alors, étudie-les, réfléchis et demain je veux que tu me retrouves ici avec une liste de cinq endroits où Jack et Nela pourraient se cacher. C'est clair ? Ne me déçois pas cette fois, Fleure, ce n'est pas un jeu, nous n'aurons pas de seconde chance. Tu es celle qui nous sauvera, je le sais.
Sans aucune hésitation, Fleure remercia sa directrice, lui promettant qu'elle retrouverait ses amis. Elle prit les livres et partit se réfugier dans la bibliothèque, là où elle passerait probablement la nuit. Coûte que coûte, il fallait qu'elle les retrouvent.
***
L'alarme de l'école retentit. Fleure leva alors le nez de ses vieux bouquins pour regarder l'horloge ronde qui trônait au-dessus de la porte de la bibliothèque. Quinze heures. La réunion allait débuter. La jolie rousse rassembla alors l'ensemble de ses affaires et se précipita au parc, près de la piscine, là où le rassemblement devait avoir lieu. Tout le monde était déjà présent, silencieux, attendant que la directrice s'exprime. Fleure remarqua Mattéo un peu à l'écart de la foule, elle alla alors s'assoir près de lui.
Juliana, accompagnée d'un homme sec, habillé d'un chic costume noir et blanc, se tenait sur une estrade, captant l'attention de tous les élèves et professeurs de l'Ecole des Pouvoirs.
— Bien. Bonjour à tous ! Je vous présente monsieur Faradel, directeur de l'académie scolaire des écoles des pouvoirs. S'il est présent aujourd'hui, c'est pour m'aider à gérer au mieux l'école en ces temps de crises. Il va vous expliquer comment vont se dérouler les choses à partir de maintenant et nous allons faire le point sur le déroulement de votre scolarité. Eliott, si vous le voulez bien...
L'homme au bouc s'avança sur l'estrade. Il balaya son public du regard, essayant de cerner le genre de personnes qu'il avait en face lui.
— Bonjour jeunes gens ! Etant donné les circonstances actuelles, comme vous le savez, nous sommes tous bloqués ici. Personne ne peut entrer ou sortir de l'île. Nous allons donc passer énormément de temps ensemble, c'est pour cela que j'aimerais apprendre à vous connaître. Dès demain matin, des entretiens individuels débuteront, ils seront obligatoires pour tous, évidemment. Madame Hastings et moi-même avons décidé que tous les élèves passaient en classe supérieure. Les troisièmes années, quant à eux, étant censés arriver en fin de cursus, auront des cours de perfectionnement sur leur pouvoir respectif, avec, bien sûr, des cours de moralité. Vos parents ont tous été prévenus. Quand la situation sera de nouveau stable et que nous aurons gagné cette futile guerre, les nouveaux premiers années viendront rejoindre l'école et les anciens troisième année pourront repartir chez eux. Pour votre sécurité, il vous est strictement interdit de quitter le domaine de l'école. La forêt est autorisée uniquement jusqu'à ce que les sapins laissent place aux chênes massifs. La grande plage est autorisée uniquement la journée et le couvre-feu est à vingt-deux heures. J'espère que j'ai été assez clair, et j'espère pour vous que vous saurez vous comporter avec respect et prudence. Vous pouvez disposer, profitez bien de votre dernière journée de vacances !
Les élèves le remercièrent tous en cœur avant de repartir à leurs occupations sans donner plus d'importance à cet intervenant extérieur.
Fleure empoigna le bras de Mattéo, et l'obligea à la suivre jusqu'au vieux chêne du parc, là où personne ne les interromprait pour lui faire part de ses trouvailles. Malgré l'air complètement éteint du garçon, Fleure mit ses a priori de côté et décida de l'inclure dans son plan pour sauver le monde.
— Pourquoi est-ce que tu m'as emmené ici ? lui demanda-t-il sans comprendre.
— J'ai besoin de ton aide. Jack est parti et les autres sont tous des incapables, lui expliqua-t-elle, sortant un des livres de son sac.
Mattéo acquiesça alors, un petit sourire en coin, fier que pour une fois, ce soit lui l'homme de la situation. Fleure sortit également son crayon bloquant son pouvoir et dessina un croquis de l'île où elle entoura quatre endroits.
— Juliana m'a demandé de retrouver Nela. D'après mes premières recherches, elle pourrait se trouver dans une de ces quatre zones.
— Qu'est-ce qui te fait croire ça ? Il faut prendre en compte qu'elle est possédée par la Rose Noire.
— Je ne crois pas, elle lui résiste. Elle est toujours elle-même, donc je disais elle doit...
— Attends, attends, comment tu sais ça ? On ne l'a pas revue depuis plusieurs mois, on a aucune idée de qui elle est aujourd'hui !
— Matt ! Laisse-moi parler, OK ? Je sais ce que je dis, fais-moi confiance s'il te plait, et ne pose pas de questions. J'ai juste besoin que tu me dises si mes idées sont plausibles. Pour ça, il faut mettre de côté la Rose Noire, on pense seulement à Nela, d'accord ?
L'italien, voyant son amie perdre un peu patience, se contenta de hocher la tête et porta toute son attention sur le croquis.
— En premier, le plus évident, j'ai songé à la plaine magique dans la forêt, là où ils se retrouvaient tout le temps avec Jack. En second, il y a Tokama, les hommes en cape noire, ses servants vont bientôt se réunir pour commencer les recherches, Nela est curieuse, elle voudra sûrement aller voir. Sinon, il y a la crique Xatar, personne ne s'y rend jamais, elle serait cachée, en sécurité et surtout, c'est à l'autre bout de l'île.
— Oui, mais tu oublies que si personne n'y va, c'est parce que c'est trop dangereux.
— Rien n'est trop dangereux pour elle. Nela est la fille ou... le monstre, le plus puissant de la Terre à l'heure qu'il est, lui rappela Fleure, agacée par son manque de réflexion.
— C'est vrai, désolé, continue quelle est ta dernière hypothèse ?
— Eh bien... celle-là est peut-être folle, mais... je ne sais pas pourquoi, c'est celle dont je suis le plus sûre. Je suis persuadée que c'est là qu'elle est.
— Développe ! À quoi tu penses ?
Fleure ne répondit rien. Elle ramassa toutes ses affaires, déposa un rapide baiser sur la joue de Mattéo pour le remercier de son aide et partit en courant, le laissant seul sur le banc, dans une incompréhension la plus totale.
En effet, l'idée de Fleure était complètement folle, et quasiment impossible, néanmoins, la jeune fille avait tout de même un bon raisonnement. Il était encore trop tôt pour dévoiler son idée, il fallait qu'elle soit absolument certaine avant d'aller trouver Juliana pour lui faire part de ses trouvailles. Il serait alors temps de déployer les grands moyens. Le problème était qu'elle n'y arriverait jamais seule. Mais, puisque Jack l'avait abandonnée et qu'il était impossible de faire venir quelqu'un sur l'île, elle prépara tout de même un plan afin de quitter l'île et aller chercher de l'aide. Peut-être que les frontières étaient surveillées, mais, Fleure avait une bonne étoile qui veillait sur elle en ce moment, pourquoi ne pas s'en servir ? Si les adultes ne voulaient pas prendre les choses en mains, c'est elle qui le ferait, quoi qu'il advienne, cette nuit, elle quitterait l'île.
***
Pendant que Fleure mettait en place son plan d'évasion de l'île, Jack, lui, était toujours à la recherche de Nela. Il avait fouillé la forêt dans ses moindres recoins, mais la jeune fille n'avait visiblement laissé aucune trace d'elle. Fatigué, démoralisé, il décida alors d'aller se reposer à Tokama. Il entra dans un bar-restaurant pour reprendre un peu de force. Trois hommes fortement alcoolisés se trouvaient au fond du bar, assis autour d'une table ronde, regardant le match de rugby qui était diffusé sur la petite télé accrochée au mur de pierre. Dans un autre coin de la pièce, sous une lumière tamisée, cinq jeunes jouaient au billard, le sourire aux lèvres, ils profitaient sûrement de leur soirée libre de la semaine. Leurs uniformes bordeaux brodés des lettres « FA » entrecroisées, montraient leur appartenance à l'école Fayer aun ayz, formant les maîtres du feu et de l'eau. C'est un niveau supérieur à l'école des pouvoirs de Juliana. La salle était assez calme, un autre groupe de filles gloussait en dégustant des glaces, un couple dinait aux chandelles. De la country résonnait dans ce pub rocheux, si particulier... C'était plutôt agréable. Jusque-là, tout paraissait normal, il n'y avait aucun signe de vie de Nela, ce qui laissa un petit pincement au cœur au blondinet, mais il se fit une raison, elle devait s'être cachée loin des regards, là où personne ne pourrait la trouver pour ne pas nuire à son entourage. Jamais elle n'en se remettrait si elle tuait à nouveau quelqu'un comme c'était arrivé avec le chasseur.
À la fin de son repas, Jack alla au bar payer son addition quand un homme entièrement vêtu de noir fit son entrée. Âgé d'une quarantaine d'années, il ôta sa capuche et vint s'assoir sur un tabouret non loin du jeune homme. Intrigué, celui-ci tendit l'oreille, faisant semblant de chercher quelque chose dans son porte-monnaie. La serveuse, qui, visiblement, avait l'habitude de sa venue, lui servit une grande bière. L'homme lui attrapa le bras au moment où elle déposa le verre, et de sa voix roque et fatiguée, il la questionna.
— A-t-il été vu récemment ?
Forte de caractère, la jeune femme se dégagea de son emprise et le fixa d'un regard glacé.
— Non. Et crois-moi, cette ordure ne mettra pas un pied dans mon bar. S'il avait été ici, tu le saurais, sa tête sur une pique t'aurait accueilli devant la porte.
Agacé, l'homme but sa boisson d'une traite et lança une pièce d'or sur le bar avant de partir, grommelant dans sa barbe. Jack, comprenant que Nela était celle qu'il cherchait, lui emboita le pas et tenta de le suivre discrètement. L'homme, loin d'être crétin, remarqua vite qu'un petit aux cheveux jaunes le suivait de près. Il tourna alors dans une ruelle sombre et, brusquement, s'arrêta et fit demi-tour pour faire face à son poursuivant.
— Tu veux quoi morveux ? l'interrogea-t-il, une lame dans sa main.
Déglutissant, Jack essaya de rester droit et d'affronter son regard. Son corps entier tremblait, mais il ne voulait pas le montrer. Il se concentra, et prit d'une once de courage, s'avança d'un pas vers lui, prêt à mourir s'il le fallait.
— Je l'ai vu, celui que vous cherchez. Pas plus tard qu'hier.