Umbrae Proles 1 : L'héritier...

By KailynMei

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Bien qu'ayant perdu sa famille très jeune avant d'être adopté par une meute de loup-garous, Cassian n'a jamai... More

1 - Fuite éperdue
2 - En proie au doute
3 - Une âme égarée
4 - Le duel
5 - Lugan
6 - Désillusion
7 - La trahison
8 - La clémence du mal
9 - La tentation
10 - La confession
11 - Le châtiment
12 - Le pardon
13 - Le piège
14 - Le visiteur nocturne
15 - Le différend
16 - La bénédiction
17 - La confrontation
18 - Le cadeau
19 - La délivrance
20 - Le courroux
22 - L'alliance
23 - Le départ
24 - Le sauvetage
25 - L'aveu
26 - Le secret
27 - Le tourment
28 - Le refus
29 - Le pacte (1)
29 - Le pacte (2)
30 - Le deuil (1)
30 - Le deuil (2)
30 - Le deuil (3)
31 - L'abandon

21 - L'union

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By KailynMei




Cassian s'éveilla en sursaut, le cœur battant à la chamade. La neige avait raidi ses membres, tant et si bien qu'il peina à s'asseoir. Pendant quelques secondes, il crut avoir cauchemardé, mais l'entaille qui lui brûlait le bras témoignait de la réalité de ses derniers souvenirs. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque. Il se pencha en avant pour vomir. Son estomac ne contenant rien, la bile lui irrita la gorge. Jamais il ne parviendrait à oublier la démence meurtrière des chevaliers, ni même le visage ensanglanté de Demetrio tandis que les spectres le dépeçaient vivant. Tout cela dépassait son entendement.

Angoissé, il chercha Lugan et Mirelha du regard et éprouva un intense soulagement en constatant qu'ils reposaient non loin de lui sur le manteau blanc. La louve ne tarda d'ailleurs pas à frémir, puis à maugréer. Elle se redressa prudemment tout en fouillant les environs d'un œil méfiant. Elle ne ressentit ni apaisement ni une quelconque forme de reconnaissance en constatant que le sorcier les avait abandonnés loin de la ville. Cet être ne lui inspirait que du dégoût et du mépris ainsi que, bien entendu, une légitime terreur. La nuit, d'ailleurs, s'était étendue sur le pays durant leur inconscience. Elle frémissait à l'idée d'avoir oublié ce que le sorcier avait fait entre le moment où Demetrio avait connu sa fin et celui où elle avait ouvert les yeux sur la forêt enneigée.

— Quel genre de personne peut commander à une armée de spectres ? finit-elle par murmurer sans vraiment attendre de réponses.

— Un fou ou un monstre...

Lugan s'était levé. Il inspectait les alentours comme s'il craignait de voir surgir des buissons Demetrio ou ses hommes revenus d'entre les morts. Après ce qu'il avait contemplé, plus rien n'aurait pu l'étonner. Si sa foi en Dieu – du moins tel qu'il le concevait jusqu'alors – avait été ébranlée par les récents événements, il continuait de croire que le Diable existait et que celui-ci ne pouvait être que la créature qui le terrifiait malgré son amnésie. Il ferma les yeux pendant quelques secondes. Les images cherchaient à s'imposer, mais elles se dérobaient à lui dès l'instant où elles devenaient trop précises.

— Pourquoi n'a-t-il pas entièrement effacé notre mémoire ? fit Mirelha.

— Tu te souviens de son visage ? demanda Lugan.

— Non, avoua-t-elle après un moment d'hésitation.

— Il n'efface que ce qui l'arrange, intervint Cassian. Je crois qu'il veut que nous nous rappelions notre dette... et que nous sachions aussi ce dont il est capable lorsqu'on le défie.

Mirelha lui jeta un regard de reproche qui en disait long sur son désir d'oublier l'orgie sanglante. Elle se frotta les bras avec un tremblement, puis éleva les yeux vers la cime des arbres. Les étoiles brillaient timidement. Elle huma l'air, incapable de reconnaître la moindre senteur.

— Quelle pute ! gronda-t-elle. Où nous a-t-il abandonnés ?

Lugan haussa un sourcil, ce qui lui valut une œillade glaçante de la part de sa sœur.

— Quoi ?

— Rien.

Elle plissa les paupières et entrouvrit légèrement les lèvres, comme si elle s'apprêtait à répliquer, mais Cassian l'agrippa par le bras pour l'entraîner à distance. Lugan les suivit du regard sans rien dire, nullement dupe de la conversation le concernant qu'ils auraient, puis reporta son attention sur les arbres nus qui les dominaient. Le froid commençait à le mordre jusqu'aux os malgré son épais manteau doublé de fourrure. Le hululement d'un oiseau nocturne le poussa à ramasser l'épée que Mirelha avait abandonnée. L'épuisement conjugué aux récents événements le rendait plus nerveux que de raison. Il éprouvait aussi une intense tristesse à l'idée que sa sœur le traitât à jamais comme un étranger.

Mirelha, poings sur les hanches, jeta un énième coup d'œil au chasseur avant de reporter son attention sur Cassian, qui la fixait en fronçant les sourcils.

— Oh, par pitié ! fit-elle en lâchant un soupir d'exaspération. Ce n'est pas parce que tu l'apprécies que je dois en faire de même.

— Lugan est ton frère.

— Tu es mon frère.

— Il est ton vrai frère. Et il m'a sauvé la vie. Plusieurs fois.

Mirelha laissa échapper un bref ricanement.

— Encore heureux ! Il a d'abord essayé de te tuer, puis il a conduit Demetrio jusqu'à toi. Je reconnais qu'il a été d'une aide précieuse et qu'il pourrait s'avérer utile, mais cela s'arrête là. Ce n'est pas parce que tu as un différend avec Lycaon que tu dois te jeter dans ses bras par dépit ou pour le rendre jaloux.

Cassian se rembrunit.

— Ce n'est pas cela, protesta-t-il.

— Alors qu'est-ce ? Parce que je ne vois aucune autre explication logique ! C'est un mortel, un fanatique il y a encore peu, et si tu n'avais pas sauvé sa pitoyable vie, il n'aurait jamais ouvert les yeux sur quoi que ce soit ! Lycaon t'aime, lui.

— Mais il ne me considère pas comme son égal, rétorqua Cassian.

— C'est notre chef ! Même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui, c'est à lui de décider, et à nous de le soutenir.

— Alors, dans ce cas, je ne suis définitivement pas fait pour être l'un d'entre vous.

Mirelha hoqueta de surprise, et Cassian, sur la défensive, croisa les bras.

— Tu ne vas pas recommencer, murmura-t-elle.

— Je suis désolé, Mirelha, mais je ne peux pas aimer quelqu'un qui me verra toujours comme un inférieur. Et, la vérité, c'est que Lycaon ne changera pas pour moi.

— Il a pris des risques pour que nous puissions te sauver.

Cassian secoua la tête d'un air désolé, puis jeta un rapide regard en direction de Lugan. Son cœur se pinça.

— Tu te trompes si tu penses qu'il a trahi pour moi. Il l'a fait parce qu'il voulait te protéger. Il a préféré te retrouver plutôt que de se venger, et ce choix a failli lui coûter la vie.

— Tu peux peut-être lui pardonner ces crimes passés, mais je n'oublierai jamais ce qu'il a fait à d'autres comme nous.

— Pourtant, tu as bien pardonné à Lycaon ce qu'il a fait à ta famille.

Mirelha, blessée par la remarque, frémit. Son poing atteignit Cassian au menton avec assez de force pour le faire tomber sur son séant. Lugan, alerté, les rejoignit à grande enjambée. Lorsqu'il arriva à leur hauteur, le louvat s'était déjà relevé et se frottait la mâchoire avec la douloureuse sensation qu'elle aurait pu lui casser quelque chose.

— Je pars à la recherche de Lycaon, déclara Mirelha avec détermination. Et vous... Honnêtement, je m'en moque !

Lugan étudia tour à tour les deux loups-garous d'un air soucieux. Il ouvrit la bouche pour parler, mais sa sœur s'éloignait déjà à travers les fourrés et les buissons. Il voulut la suivre avant que sa silhouette ne disparût dans l'obscurité, mais Cassian lui saisit le poignet pour l'en retenir.

— Elle a besoin de temps, se contenta-t-il d'expliquer.

Lugan s'immobilisa même si son expression en disait long sur son accablement. Cassian aurait aimé trouver les mots pour le consoler et le rassurer, mais il savait que Mirelha pouvait être aussi entêtée que lui. Un jour, elle accepterait peut-être le chasseur comme un membre de sa famille, mais si quelqu'un cherchait à l'y contraindre, les chances d'obtenir sa sympathie s'amenuiseraient.

— Elle connaît mes crimes, murmura enfin Lugan. Je ne peux pas lui en vouloir de se méfier.

Cassian n'était pas dupe, mais il décida de ne pas insister. De toute façon, ils avaient des problèmes bien plus urgents, comme trouver un abri pour la nuit avant que le chasseur de ne se transformât en statue de glace. Ils auraient pu chercher de quoi faire un feu, mais il craignait d'attirer l'attention d'individus hostiles. De plus, ils devraient commencer par dégager la neige sur une zone suffisamment large avant de collecter du bois sec et de quoi faire partir le feu. Tout cela dans le noir et alors que Lugan y voyait moins bien que lui.

Il huma. Bien que ses sens fussent moins performants sous sa forme humaine, il détecta l'odeur musquée de certains maîtres de la forêt et celle, plus pénétrante encore, des bêtes de somme. En se concentrant un peu plus, il identifia le parfum diffus, mais réconfortant du bois brûlé et de la viande grillée. Cela signifiait que la civilisation se trouvait non loin d'eux et, même s'il hésitait à rejoindre le monde des mortels, il devait au moins conduire Lugan jusque-là.

— Suis-moi, commanda-t-il.

Le chasseur ne posa pas de questions et emboîta le pas au loup-garou. Ils évoluèrent ainsi pendant quelques minutes avant de déboucher sur une route gelée. Le passage des gens et des chariots avait fait disparaître de la neige de plus en plus rare et fine en cette saison. Ils marchèrent encore avec pour seule compagnie le craquement du sol sous leurs pas. Les odeurs, plus fortes, signalèrent à Cassian qu'ils étaient arrivés à destination bien avant d'apercevoir la triste ferme : une maison au toit bas qui ne devait contenir qu'une unique pièce avec, attenante, une bergerie.

Cassian ne détecta aucun signe de vie, ce qui l'intrigua, car il percevait toujours la senteur d'un feu récent. Tandis que Lugan approchait prudemment de l'entrée de la demeure, dont la porte était grand ouverte, il jeta un coup d'œil à l'intérieur de la bergerie : si elle avait bien abrité des moutons quelques jours plus tôt, ceux-ci avaient disparu. Lorsqu'il se retourna, Lugan ressortait de la maisonnette en secouant la tête.

— Je n'ai trouvé personne.

— Le foyer ?

— Froid depuis plusieurs jours, à mon avis.

Cassian fronça les sourcils et renifla à nouveau. La senteur ne provenait pas de la maison, mais d'un verger minuscule. Le loup-garou se dirigea vers les arbres fruitiers décharnés en cette saison. Lugan le suivit à quelques pas de distance, le cœur serré, car il connaissait assez les superstitions pour deviner ce qui s'était produit. Lorsqu'il eut rejoint Cassian, il posa une main sur son épaule. Le louvat se couvrait le nez et la bouche. Son estomac se rebellait à nouveau. Ses yeux lui piquèrent.

Les cadavres avaient brûlé durant des heures, mais il aurait été impossible de ne pas reconnaître leur nature humaine. Certains, plus petits que d'autres, appartenaient à des enfants.

— La peste est arrivée en ville, déclara Lugan.

— La peste ? répéta Cassian.

— Elle ravageait Marseille quand nous l'avons quittée en novembre. Demetrio prétendait que nous étions protégés de la maladie par la grâce de Dieu. Je crois plutôt que nous l'étions par le bon vouloir du sorcier, nota le chasseur avec sarcasme.

Cassian préféra s'éloigner. Il éprouvait de la honte, car l'odeur de la chair cuite l'avait mis en appétit alors qu'ils étaient encore dans la forêt.

— Cet hiver, Demetrio a appelé d'autres chevaliers de Rome. Qui sait s'ils ne l'ont pas amenée avec eux ? ajouta Lugan.

Le guerrier laissa échapper un soupir. Cassian releva la tête dans sa direction tout en lui jetant un regard inquisiteur. Il sentait qu'il ne lui disait pas tout. Son aura lui communiquait ses tourments intérieurs même s'il n'aurait pu définir ce qu'ils étaient. Pas sans lire son esprit, du moins, et il s'y refusait.

— Ils ne sont pas morts de la peste, n'est-ce pas ?

— Quand ce genre d'épidémie se déclare, les gens veulent toujours des coupables. Si ce ne sont pas les Juifs qui sont accusés, alors ils soupçonnent leurs voisins. Surtout s'ils les envient.

— Tu as déjà vu cela auparavant.

Lugan baissa les yeux avec embarras.

— Les chevaliers de Saint George cherchaient des suppôts de Satan partout, y compris là où il n'y en avait manifestement pas. J'ai essayé autant que possible de ne pas participer à... cela. J'ai toujours su faire la différence entre un innocent et...

Il s'interrompit, conscient de ce qu'il allait dire.

— Je croyais, du moins. Je voulais tellement me venger que je ne me suis jamais demandé si certains... si ces créatures... enfin, ces personnes... étaient innocentes.

Cassian posa les mains de chaque côté de son visage et l'obligea à le regarder.

— Tu n'as pas besoin de te justifier. J'ai vu quel genre de démon était ce Demetrio.

Lugan s'écarta doucement, puis étudia les corps noircis.

— Le sol est trop gelé pour les enterrer, lui fit remarquer Cassian.

Comme le chasseur ne réagissait pas, il l'attrapa par le bras et le reconduisit jusqu'à la maisonnette. La tragédie éveillait des remords en Lugan, et Cassian craignait de le voir sombrer dans l'affliction.

Ils entrèrent dans la masure dépourvue de tout ameublement si ce n'était un coffre grossier servant aussi de banc et une large paillasse directement posée sur la terre battue où la famille devait se coucher dès la nuit tombée. La seule source de lumière était une minuscule fenêtre recouverte d'un panneau de bois en cette saison glacée, ainsi que le foyer au-dessus duquel était suspendue une marmite vide. En comparaison, l'hôtellerie de l'abbaye, avec ses lits et ses quelques chambres privées, représentait le paroxysme du luxe.

Le froid était aussi pénétrant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mais lorsque Cassian parvint à rallumer le foyer avec de l'amadou et des brindilles, la chaleur ne tarda pas à se répandre ; la pièce n'était guère grande, mais l'aurait-elle été plus que cela aurait été le comble de l'inutilité.

La maisonnée avait été pillée, aussi ne dénichèrent-ils qu'une miche de pain bis déjà rassise. Ils mangèrent en silence ; les derniers événements les avaient éreintés, et nul doute que ni l'un ni l'autre ne savait comment engager la conversation après ce qu'ils avaient vécu. Tant qu'ils étaient dans l'action, ils n'avaient pas eu besoin de réfléchir. Désormais seul à seul, Lugan se sentait à nouveau gagné par la gêne, et celle-ci se communiquait à Cassian qui avait perdu toute sa verve. Leur mutisme se poursuivit même après leur maigre repas.

Lugan, assis sur le coffre, gardait les yeux rivés sur les flammes. Il voulait s'empêcher de penser, ce à quoi il n'excellait guère. Il ne pouvait ignorer le fait que Demetrio avait capturé Cassian grâce à lui et que le loup-garou avait subi d'atroces tortures, même s'il n'en parlait pas, même s'il ne lui reprochait rien. Son impassibilité le surprenait : il n'arrivait pas à déterminer s'il s'agissait d'un masque ou si les tourments n'avaient réellement eu aucune emprise sur lui. Il aurait aimé s'installer à côté de lui, sur la paillasse, et le serrer dans ses bras pour le consoler, mais il craignait d'être rejeté, ce qu'il n'aurait pu lui reprocher. Leurs baisers semblaient appartenir à une autre vie. Pourtant, il ressentait toujours l'envie de le connaître plus intimement. Il ignorait si ses yeux vairons l'avaient envoûté ou si un être supérieur avait décidé de lier leurs deux destins, mais l'avoir si près de lui sans oser le toucher.

— Tu es vraiment stupide, déclara tout à coup Cassian.

Arraché à ses pensées, Lugan sursauta. Il fixa le louvat en retenant son souffle quand celui-ci se leva. Le feu brillait dans ses prunelles sombres, ce qui donnait un éclat particulier à ses iris. Puis, Cassian se planta devant lui et l'orangé disparut de ses pupilles. Il prit son visage en coupe, comme il l'avait déjà fait dans le verger, et se pencha sur lui tout en effleurant sa cicatrice de ses doigts.

— Je vais bien, murmura-t-il.

— Tu as été torturé par ma faute.

Les lèvres de Cassian s'étirèrent sur un sourire presque triste.

— Tu ne pouvais pas savoir que Demetrio te suivrait ni qu'il utiliserait la magie pour tromper mes sens. Je suis heureux que tu sois vivant, et heureux que tu sois venu me chercher. Pour le reste... La vie est trop courte. Je préfère oublier. Pas toi ?

— J'oublie bien trop de choses ces derniers temps...

— Alors, n'oublie pas cela.

Il joignit ses lèvres aux siennes avec douceur, les frôlant plus qu'il ne les embrassait. Les mains de Lugan se posèrent sur son dos ; elle tremblait légèrement. Il l'attira pourtant contre lui, et Cassian s'installa sur ses cuisses. Le louvat lui caressa la nuque et les épaules tout en mordillant sa lèvre inférieure. Leur baiser se fit plus profond, passionné, presque sauvage. Ils pouvaient enfin libérer le désir non satisfait qui sommeillait en eux depuis des semaines.

Cassian délaissa ses lèvres l'espace de quelques secondes pour ôter sa cotte. Lorsque les mains de Lugan se reposèrent sur son dos, il éprouva un frisson de plaisir. Il n'avait gardé aucune cicatrice des tortures de Demetrio, mais les effleurements du guerrier effaçaient le souvenir de la douleur cruelle quand les lanières avaient déchiré sa chair. Il avait envie de sentir ses caresses sur son corps entier au moins autant qu'il désirait le faire gémir d'extase. Il dénoua l'attache du manteau de Lugan pour l'en débarrasser, puis s'attaqua à son pourpoint. Le chasseur, trop accaparé par leurs baisers et par ses rêveries, se laissa faire. Puis, quand les mains de Cassian se glissèrent sous sa chemise pour toucher son ventre musclé, il se crispa et détacha ses lèvres des siennes. Même si ce contact ne lui avait pas déplu physiquement, il éveillait tout à coup des craintes qui ne lui avaient jusqu'alors jamais effleuré l'esprit.

— Qu'y a-t-il ? questionna Cassian avec un froncement inquiet des sourcils.

Lugan examina le visage du louvat. Même s'il s'était affirmé au cours de l'hiver et même s'il n'avait plus rien à voir avec celui qu'il avait honteusement traqué avec ses hommes, il conservait ses traits délicats de jouvenceau, et ses cheveux mi-longs, ondulés aux pointes, lui donnaient un air d'ange. Ses iris eux-mêmes semblaient appartenir à un autre monde, plus céleste que celui dans lequel il évoluait, lui. S'il exceptait l'estafilade sur son bras qui cicatrisait déjà, sa peau pâle ne portait presque aucune marque ; à peine une ligne blanchâtre là où il avait planté sa dague et une étoile là où le trait de son arbalète l'avait transpercé. Deux blessures qu'il lui avait infligées quand il le considérait encore comme un démon. Il écarta les mains, soudain effrayé à l'idée de le souiller en le touchant.

— Je ne te mérite pas, avoua-t-il enfin.

— Pardon ?

— Comment peux-tu ignorer le mal que je t'ai fait ?

L'expression de Cassian s'assombrit. Il saisit les mains de Lugan et les posa sur son propre ventre.

— Je ne l'ignore pas, mais je sais que tu as changé pour Mirelha, déclara-t-il.

Ses lèvres affichèrent un sourire presque timide.

— Et pour moi aussi, je l'espère, confia-t-il dans un chuchotement.

Lugan en rougit presque et, incapable de trouver une réponse intelligence, préféra opter pour un mutisme prudent. Cassian lui attrapa le menton pour l'obliger à relever la tête et plongea son regard dans le sien. Son autre main caressa son érection à travers le tissu de ses braies, ce qui ne l'aida guère à éclaircir ses pensées. Écartelé entre son désir et sa culpabilité, il ne savait plus comment réagir. Il voulait s'adonner à tout ce que son endoctrinement lui avait défendu jusqu'alors et s'abandonner à la plus ardente des passions, mais ses craintes l'en retenaient.

— Je ne te demande pas de me jurer amour et fidélité, reprit Cassian. Je suis moi-même incapable de te dire si je t'aime ou pas. C'est trop tôt. Mais tu me plais. Et je sais que je te plais. Est-ce dans l'habitude des mortels de rendre les choses aussi compliquées ?

— Pas... vraiment, avoua-t-il. Mais je n'ai pas essayé de tuer les femmes avec qui j'ai couché. Et... disons que je ne préférais pas m'attarder. Ni leur laisser la possibilité de voir mon corps. Je ne suis pas beau comme toi.

Cassian ne retint que difficilement un rire, qu'il décida d'étouffer en embrassant à nouveau Lugan. Sa langue joua contre ses lèvres, et il frotta son érection contre la sienne.

— Tu ne devrais pas avoir honte de tes cicatrices, murmura-t-il tout en le débarrassant de son pourpoint et de sa chemise. Elles racontent ton histoire, et je les aime pour cela.

Pour lui prouver, il embrassa la boursouflure de son épaule gauche, la première qu'il avait reçue, tout en touchant les bandages de ses avant-bras qui protégeaient ses plus récentes blessures. Lugan frissonna lorsque Cassian lécha et mordilla son épiderme resté sensible là où les crocs avaient déchiré sa chair. La sensation était étrange, mais pas déplaisante, et il appréciait encore plus de sentir le corps du loup-garou pressé contre le sien, le contact intime de leur peau. Il se rappela combien il en avait rêvé, combien il se l'était interdit aussi quand son esprit n'était pas prêt à accepter son attirance.

Ses doutes se diluèrent dans l'ivresse qui l'envahissait à nouveau. Il posa ses mains sur les omoplates de Cassian et suivit le tracé de sa colonne vertébrale jusqu'à ses reins. Après un dernier instant d'hésitation, il s'aventura à caresser ses fesses et le haut de ses cuisses après avoir fait glisser ses braies.

Cassian frissonna, mais ne s'abandonna pas avec passivité comme le faisaient souvent ses partenaires féminines. Le louvat se décolla légèrement, assez pour pouvoir passer une main entre eux. Lorsque Lugan sentit ses doigts sur son pénis érigé, il ne put contenir un gémissement mêlant surprise et plaisir.

Cassian reprit ses baisers tout imprimant un mouvement de va-et-vient sur le membre de son partenaire. Ses gestes se firent tantôt vigoureux, tantôt subtils. Il se contentait parfois de l'effleurer du bout de ses doigts, juste pour le plaisir de le tourmenter et de le sentir frissonner d'expectative. Il se moquait de sa propre jouissance même si les attouchements de Lugan sur ses cuisses et son bas-ventre l'enflammaient. Il souhaitait voir le guerrier succomber à l'extase, ainsi que lui prouver, non sans un soupçon de jalousie, qu'il excellait bien plus en cet art que toutes celles qu'il avait pu baiser auparavant.

Tout en lui marquant la gorge à l'aide de ses lèvres, il songea qu'il se méprenait en prétendant ne pas être capable d'affirmer s'il l'aimait ou pas. Mais il ne l'avouerait pas. Pas encore. Pas sans savoir de quelle façon Lugan le considérait. Il ne désirait pas d'une autre relation où il ne serait qu'un faire-valoir et non un égal. Et puis, il craignait de n'être qu'une passade. Que, comme certains hommes, Lugan préférât finalement une union avec une femme, qui lui accorderait une descendance, plutôt qu'avec l'un de ses semblables. Cassian pouvait le comprendre ; même s'il n'éprouvait aucun désir pour les femmes ni aucun besoin de paternité, il respectait ceux et celles qui pensaient autrement. Toutefois, il refusait de connaître une telle déception après avoir confié ses sentiments.

Il laissa échapper un cri lorsque Lugan, rendu plus entreprenant par l'exaltation, toucha son gland humide de la paume de la main. Il en réclama plus, et le guerrier le cajola délicieusement, presque cruellement, avant de remonter sur ses hanches et de dessiner des cercles sur ses reins. Haletant, Cassian croisa les bras derrière la nuque de son amant, titilla ses lèvres avec sa langue et colla à nouveau son corps en sueur contre le sien. Il ondula lascivement, et le frottement enivrant de leurs érections leur donnèrent l'impression de ne former plus qu'un.

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