Ce fut un très furtif éclat de soleil qui fit ouvrir les yeux à Lily. Lorsqu'elle battit des paupières, elle sentit un rayon chaud balayer sa chambre et elle resta quelques minutes immobile, sans bouger. Dorcas était déjà sortie du lit à en croire la place vide à côté d'elle. Si ses souvenirs étaient exactes, la jeune fille lui avait mis son pyjama puis l'avait bordée jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Lily tenta –vainement- de se concentrer sur cette image pour ne pas songer de nouveau à l'éclair vert qui avait frappé de Mary de plein fouet en lui ôtant la vie. Mais il était trop tard : déjà, des tas d'images plus horribles et effrayantes succédaient les unes aux autres.
Pourtant Lily ne pleura pas : elle avait usé bien trop de larmes et elle était bien trop fatiguée pour ça. La jeune fille se redressa péniblement et remarqua que sa valise se trouvait juste à côté d'elle, signe qu'on lui avait rapporté ses affaires du Chaudron Baveur. Dans sa cage posée sur une armoire, sa chouette dormait profondément. La chambre était belle, et la douce lumière qui baignait la pièce la rendait encore plus jolie. Il y régnait une atmosphère sereine et douce que Lily n'aurait jamais voulu quitter.
Elle s'étira les bras longuement et remarqua qu'elle portait un tee-shirt qu'il ne lui appartenait pas. Curieuse, elle le sentit et se rendit compte que l'odeur lui était étrangement familière. Pas désagréable du tout, mais ce n'était pas la sienne, et elle se demanda un court moment à qui il pouvait appartement. Ses souvenirs de la veille lui semblaient si flous... Lily se leva lentement et sortit dans le couloir. En bas, elle arrivait à percevoir quelques éclats de voix.
La jeune fille descendit à petits pas lents l'escalier tout en contemplant avec grand intérêt la demeure vaste et somptueuse. Le plafond était gigantesque et la décoration était aussi élégante que très accueillante. En continuant de marcher, elle entendit des voix qui se firent de plus en plus nettes. D'un geste incertain, elle ouvrit la porte et tomba dans la cuisine, où plusieurs personnes étaient attablées autour d'une grande table en chêne.
- Bonjour... Lily, c'est bien ça ? demanda Mrs Potter en se levant vers elle.
Cette dernière hocha doucement la tête d'un air gêné. James la fixa sans sourciller: elle était si jolie avec ses cheveux roux légèrement décoiffés et son tee-shirt lui tombant mi-cuisse. Alors qu'elle s'asseyait d'un air incertain au côté de Remus, celui-ci l'embrassa sur la tempe et lui prêta son cardigan en voyant qu'elle se mettait à frissonner.
- Que veux-tu manger ? questionna Mrs Potter avec un sourire empli de compassion. Pour une fois que le père de James laisse des pancakes avant de partir au Ministère, autant en profiter.
- Je n'ai pas très faim, murmura Lily à voix basse.
- Mindy, lança la mère de James à une petite elfe de maison qui était en train de laver la vaisselle, pourrais-tu préparer un jus d'orange s'il te plaît ?
Lily contempla la table du regard et s'aperçu que Dorcas était non loin d'elle, assise sur chaise, jambes repliées en train de lire un Magazine de Quidditch. C'était toujours ce que la jeune fille faisait pour oublier les tracas du quotidien : penser au sport, et à rien d'autres. La jeune fille se mordit les lèvres : parfois, elle aurait aimé prendre autant de recul qu'elle face aux problèmes.
Mindy déposa un verre gigantesque devant Lily qui la gratifia d'un sourire reconnaissant.
- Où sont les autres ? demanda la jeune fille d'une voix inquiète.
- Ne t'inquiètes pas, la rassura Mrs Potter. Frank et Alice dorment encore et Sirius est en train d'écrire une lettre à ses parents si j'ai bien compris. Vous devriez aller les réveiller justement, lança la mère de James à son fils et Remus.
Comprenant qu'elle leur demandait de prendre congé, ils hochèrent la tête et se levèrent un à un. Dorcas en fit de même, bien que Mrs Potter ne lui ait rien demandé. Alors que la porte de la cuisine se refermait derrière eux, elle attrapa la main de Lily :
- Il faut que tu manges un peu, tu es toute pâle.
- Je n'ai pas faim, répliqua Lily d'un ton neutre. Qu'a dit la Gazette du Sorcier ce matin ?
- Ne t'en n'occupes pas, fit Mrs Potter d'une voix ferme, tu dois prendre du recul.
- Je ne peux pas, souffla la jeune sorcière, cela ne fait même pas 24 heures...
- Laisse-les choses se faire petit à petit. Mais tu dois manger. Tu sais, tu n'as pas besoin de te retenir de pleurer.
- Je ne me retiens pas, lâcha Lily, mais je n'y arrive plus. J'y pense et... ça, se coince, là, dans ma gorge. Ca ne veut plus sortir. Même si je pense à Ma... enfin, à elle quoi.
Non elle n'y arrivait pas. Elle ne pouvait pas prononcer le nom de sa meilleure amie. C'était comme si tout d'un coup, tout lui revenait à l'esprit. Comme si en la nommant elle rendait la chose réelle. Et ça, elle ne le voulait pas.
- C'est très gentil à vous de nous avoir accueilli, marmonna Lily à mi-voix.
- Ce n'est rien, s'exclama Mrs Potter, à quoi servirait une aussi grande maison si on ne peut même pas la remplir ? Allez, va te recoucher Lily, tu me sembles bien pâle.
L'intéressée hocha la tête et se leva de table alors que Mindy se mettait à la débarrasser. Mais Lily n'avait absolument pas envie de dormir. La peur de se souvenir de l'évènement de la nuit était si forte qu'elle sentit ses mains trembler. Alors qu'elle finissait de gravir les escaliers, elle contempla le long couloir se demandant où pouvait être les autres. Elle ouvrit la porte de la chambre juste à côté de la sienne et tomba sur Sirius et James.
Black était en train de lire un parchemin avec grand intérêt, une plume dans les mains, tandis que James, lui, jouait avec une balle qu'il lançait au plafond avant de la rattraper avec dextérité, allongé sur son lit. Lorsqu'ils levèrent la tête pour voir qui venait d'entrer, James se redressa si rapidement qu'il oublia de récupérer la balle qui rebondit lourdement sur sa tête avant de s'écraser sur la moquette de la chambre.
- Je vais aller poster ça, grogna Sirius en se levant. Tu vas bien, Evans ? demanda-t-il en passant juste devant elle.
Elle se contenta d'hocher la tête tandis que le garçon disparaissait dans le couloir.
- Entre, fit James en refermant la porte derrière elle.
Lily contempla la chambre du garçon. Elle était beaucoup plus spacieuse que la sienne, avec des posters partout représentant quatre chanteurs en train de sauter dans tous les sens tout en jouant de leur instrument de musique comme des fous furieux. Elle se rendit compte que c'était exactement les quatre même sorciers que sur le tee-shirt qu'elle portait et comprit qu'elle était vêtue d'un des tee-shirts de James et que l'odeur si agréable qui s'en dégageait n'était que son parfum.
- Tu veux peut-être écrire à tes parents, non ? demanda précipitamment le garçon en se mettant à farfouiller sur son bureau à la recherche d'une plume et d'un morceau de parchemin.
- Non, murmura Lily en hochant la tête, il vaut mieux qu'ils ne sachent rien, ça les inquiéterait beaucoup trop.
Il secoua la tête, signe qu'il comprenait et se rassit sur son lit, bras ballants.
- Je voulais juste te dire... murmura l'adolescente d'une voix rauque, que c'était très gentil à toi de... que tes parents étaient vraiment des personnes adorables.
- Je sais, fit James en réprimant un sourire. Enfin, merci.
- Et aussi, poursuivit-elle, que... merci de m'avoir... de m'avoir sauvé la vie.
Le garçon resta un moment la bouche grande ouverte, surpris de la gratitude dont elle lui faisait cadeau. A ses yeux, il n'avait jamais été question qu'elle lui en remercie, mais il sentit son cœur battre tellement vite qu'il eut besoin de quelques minutes pour réaliser ce qu'elle venait de dire.
- Ce n'était rien, répliqua simplement James.
- Je vais y aller, fit Lily en se redirigeant vers la porte. Tu veux peut-être récupérer ton tee-shirt non ?
- Non, non, tu peux le garder, s'empressa-t-il de répondre. J'en ai plein comme ça.
Et elle sortit de la chambre, tandis que James poussa un grand soupir et s'étala sur son lit.
C'était un pur mensonge, le tee-shirt qu'il venait de lui donner était un vêtement d'une édition limité qui était devenu très rare et qui lui avait coûté très cher. Mais à cet instant précis, il n'en n'avait strictement rien à faire.
* * *
Dans les jours qui suivirent, les nouvelles se succédèrent une à une.
Lily restait enfermée la plupart du temps, lorgnant d'un air maussade le soleil qui continuait de briller. Parfois elle n'avait même qu'une envie : ouvrir la fenêtre en grand et lui hurler d'arrêter d'être aussi éclatant, que sa meilleure amie venait de mourir et qu'il n'y avait aucune raison qu'il fasse beau temps. Mais c'était impossible, les mots restaient coincés dans sa gorge.
Oui elle discutait avec les autres qui tentaient de se montrer le plus compatissant possible. Oui elle réussissait parfois à esquisser un vague sourire. Oui elle pleurait tous les matins sous la douche, parce que c'était bien plus facile de ne pas écouter ses propres sanglots. Oui parfois elle se réveillait en sursaut et réveillait alors Dorcas à côté d'elle qui s'empressait de l'inciter à se rendormir. Oui, tout le monde était triste et parfois Alice se levait de table pour cacher ses larmes. Mais non, personne ne pouvait comprendre la souffrance que ressentait Lily. Elle avait perdu une partie d'elle-même, elle avait perdu sa petite Mary, sa sœur...
Mrs Macdonald était venue lui rendre visite et c'était sûrement la dernière personne que Lily aurait eu envie de voir. Elle ressemblait beaucoup trop à sa meilleure amie. Leurs regards, leurs sourires, leurs gestes... tout étaient si identiques que c'en était troublant et profondément triste. Parce que oui, pour la première fois de sa vie, la jeune Evans pouvait se définir comme ouvertement malheureuse. La mère de Mary lui avait parlé, avait tenté de lui remonter le moral, de lui expliquer que c'était une étape très difficile à surmonter mais qu'il fallait tenter de le faire. Puis elle lui avait parlé de l'enterrement qui serait début août. Et Lily s'était remise à pleurer.
Et James qui venait la voir parfois le matin quand elle rechignait à se lever... Il était toujours aussi gentil que quelques semaines auparavant durant la fin d'année à Poudlard quand à ce moment-là elle l'avait déjà remercié d'avoir aidé Severus. Oh non, il n'avait pas foncièrement changé : parfois il lui arrivait de redire ses blagues vaseuses et lourdes et Lily avait simplement envie de lui dire d'aller se faire voir. Mais, il y avait quelque chose d'autre, un détail nouveau... Etait-ce le meurtre auquel ils avaient tous assisté ? Certainement. Mais elle avait déjà senti cette différence à la fin de l'année... Il paraissait moins désagréable, plus respectueux...
* * *
Le 1er août arriva comme une fleur un beau matin encore plus chaud que les précédents. Lorsque Lily se leva et descendit les escaliers de la gigantesque maison des Potter, elle buta sur une valise et manqua de s'étaler sur le sol mais une main ferme la rattrapa. Remus lui sourit et l'embrassa sur le front avant de la redresser d'un seul coup.
- Je viens de te sauver la vie ! Tu me dois une fière chandelle, dit-il d'un ton faussement sérieux.
- Quelqu'un part en voyage ? questionna la Gryffondor avec un froncement de sourcil.
- Nous, lança quelqu'un à tue-tête dans la pièce voisine.
Mr Potter en sortit, une lourde malle sous le bras.
- C'est fou comme une femme peut emporter d'affaires ! dit-il d'une voix essoufflée.
- Où partez-vous ? questionna Lily, étonnée.
- Nous allons visiter la Bulgarie, expliqua Mr Potter en appuyant sur son ventre comme s'il avait un point de côté. Et Mrs Potter ferait bien de se dépêcher si elle ne veut pas rater l'Orient Express ! lança-t-il en direction des escaliers à l'intention de sa femme.
- Voilà, voilà, j'arrive ! fit cette dernière avec empressement en descendant les marches quatre à quatre. Où est James ?
- Je suis là, dit le garçon en sortant de la cuisine tout en mordant dans une crêpe. Salut, lança-t-il à l'intention de Lily.
- Bien, s'écria Mrs Potter, tu as la clé et tu n'oublies pas de fermer la porte si vous sortez vous balader en ville.
- Oui, Maman, marmonna-t-il d'un ton exaspéré.
- Si tu as un problème, tu as l'adresse de notre hôtel et nous serons normalement de retour le 29 août, d'accord ?
- Tu me l'as déjà répété mille fois, bougonna James tout en tentant d'éviter un énième baiser qu'elle lui administrait.
- Et veille sur Lily, glissa Mr Potter à l'intention de son fils en l'étreignant. Dis bien à Mrs Macdonald que nous sommes vraiment navrés de ne pas pouvoir assister à l'enterrement de Mary mais que nous prendrons de ses nouvelles dès notre arrivée là-bas.
- D'accord, dit son fils en hochant la tête.
Mrs Potter agita sa baguette et leurs multiples valises se soulevèrent dans les ailes avant de voler vers le jardin.
- Bon, et bien nous allons attendre le Magicobus pour aller jusqu'à King's Cross. Bonnes vacances à tous, et soyez prudents.
Remus et Lily leur firent un geste de la main en guise d'au revoir tandis que la porte d'entrée se refermait derrière eux.
- Mindy a préparé le petit déjeuner, vous venez ? questionna James.
Ils hochèrent la tête et se dirigèrent vers la cuisine. Mais au lieu de s'asseoir comme d'habitude autour de la grande table, ils le suivirent à l'extérieur. Lily resta un moment muette d'admiration : une vaste table avait été dressé sur la terrasse qui était recouverte par de multiples branches, créant une ombre fraîche tandis que juste devant eux, la pelouse s'étendait sous un soleil magnifique.
C'était si beau, si paisible... Elle entendait les abeilles bourdonner juste au-dessus d'elle, et au loin un petit ruisseau tranquille, si serein. Elle aurait pu rester là toute sa vie. Godric's Hollow était une ville si rassurante.
- Sirius dort encore ? s'étonna Remus.
- Ouais, c'est bizarre, approuva James d'un hochement de tête. Lui qui déteste faire la grasse matinée par-dessus tout.
En réalité, Sirius n'était pas réellement endormi. Lorsque Lily était sortit de la chambre, il sortait lui-même de la salle de bain et frottait tranquillement les dents tout en marchant vers la chambre où lui dormait lorsqu'il avait remarqué que la jeune sorcière avait mal refermé la porte de la sienne. Au départ, il avait juste jeté un bref regard de quelques secondes, puis il s'était aperçu que Dorcas dormait encore dans le lit.
C'était tentant, bien trop tentant pour le garçon qui s'imaginait souvent dormir à ses côtés. Alors, doucement, il avait entrouvert la porte et s'était glissé dans la chambre en catimini. Elle était là, profondément assoupie. Il faisait si chaud qu'elle avait rabattu la couverture. Ses jambes fines et pâles étaient complètement nues et elle portait un simple short en coton gris ainsi qu'un vieux tee-shirt avec l'emblème des Gryffondor.
Sirius sourit en voyant toute sa masse de cheveux bruns qui étaient étendus autour d'elle, comme un grand soleil noir. Et son visage, si fin, si blanc, semblait tellement doux. Evidemment, elle gardait cette impression sauvage qui se dégageait d'elle : ses sourcils étaient légèrement froncés et par deux fois elle se retourna vivement tout en dormant. Mais elle était tout simplement magnifique, exactement comme il l'avait imaginé. Elle paraissait fragile et en même-temps, elle réussissait à laisser flotter un parfum de mystère entêtant.
Alors qu'il se penchait un peu plus vers elle, il manqua de s'étaler sur le lit et appuya brusquement sa main sur le matelas. Dorcas ouvrit les yeux avec rapidité et sursauta en voyant Sirius se trouvant à quelques mètres d'elle à peine. Elle se redressa, attrapa la couverture et s'enroula dedans avant de regarder le garçon avec méfiance :
- Qu'est-ce que tu fais là ? questionna-t-elle de son habituelle petite voix.
- Che choui vénou chaché quachose, répondit-il précipitamment en se contrôlant pour ne pas sembler rougir.
- Pardon ? fit Dorcas en secouant la tête.
Elle lui tendit une tasse vide située sur la table de chevet et il cracha tout le dentifrice que contenait sa bouche avant de répéter :
- Je suis venu chercher quelque chose.
- Ah oui ? Et quoi donc ? demanda-t-elle en repliant les jambes sur elle-même.
« Dépêche-toi de trouver, pensa-t-il en sentant la panique le prendre subitement, ou elle va te prendre pour un sale petit pervers voyeur. Et elle n'aurait pas tord. »
- Je dormais là avant que vous arriviez, expliqua-t-il, et je crois que j'ai laissé une paire de chaussettes.
- Ah. Et bien cherche, dit-elle en haussant les sourcils alors qu'il restait bras ballants.
- Ah, heu... oui, oui.
Sirius esquissa quelques pas de droite à gauche, fit semblant de vérifier sous le lit et sous la bibliothèque puis se releva d'un air penaud :
- Et bien elle n'est pas là...
- Alors je te ferai signe si je la trouve, continua Dorcas légèrement sur la défensive.
« Elle a totalement raison d'être comme ça, songea Sirius en se maudissant lui-même, cette fille est d'une timidité maladive, et toi tu es un type qu'elle connait à peine qui entre dans sa chambre, lorsqu'elle dort... tu oses violer sa plus petite intimité espèce de con. »
- Je... j'y vais, bredouilla Sirius. Bonne nuit, enfin, je veux dire, dors bien.
Il s'empressa de refermer la porte et retourna vers la salle de bain tout en se frappant le front le plus fort possible, comme le parfait abruti qu'il était le méritait.