La première session des essais se passe assez bien pour nos monoplaces et nos pilotes. Je quitte le garage avec Lando pour l'accompagner répondre aux questions des journalistes. Lewis est juste devant nous, il plaisante avec Lando mais ne m'adresse aucun regard, ni sourire, comme il a l'habitude faire. Je suis parfaitement transparente à ses yeux. Il n'a pas répondu à mes messages non plus. Il y a trop de caméras et de monde pour que je tente de lui parler maintenant. Lando termine de répondre aux dernières questions d'un média allemand et nous marchons pour rejoindre le reste de notre équipe dans le motorhome aux couleurs de notre écurie.
Au loin, j'entends la voix de Pierre qui m'appelle. Je ne me retourne pas, je n'ai aucune envie de parler avec lui. Je suis encore trop énervée contre lui pour avoir une discussion productive. Je tente d'appeler Lewis sur son téléphone mais je tombe directement sur sa messagerie. Lando tente de me changer les idées en me proposant de manger avec lui.
- Je n'ai pas très faim Lando, je vais aller me poser dans un bureau pour travailler un peu.
- Comme tu voudras Amélia, tu n'es pas toute seule, tu sais... me répond-il en me souriant.
Je remonte dans les bureaux pour tenter de me changer les esprits avec le travail. Mais ma stratégie ne fonctionne pas forcement, je passe pas mal de temps à fixer mon portable en espérant que l'écran s'allume pour m'annoncer un message de Lewis, en vain. Quelqu'un frappe à ma porte, j'avais bien demandé à ne pas être déranger... Je me lève pour ouvrir la porte. Pierre est devant moi, j'allais refermer la porte quand il la bloqua avec son pied. Je finis par le laisser entrer dans le bureau.
- Ils laissent vraiment entrer n'importe qui ici...
- C'est Lando qui m'a aidé, Amélia je... Sa voix retombe.
Le silence revient dans le bureau.
- Je crois qu'il faut qu'on parle, dit-il pour briser le silence.
- Ah oui ? Tu penses ? J'ai du mal à ne pas répondre avec sarcasme.
- Écoute, j'ai fait de la merde. Mais je pensais que ça te ferait plaisir.
- Bah tu t'es trompé.
- Laisse moi t'expliquer.
-Mhm, je t'écoute. Je me rassois dans mon fauteuil, je le regarde les bras croisés.
- Depuis que tu m'as parlé du réunionnais avec lequel tu avais eu un rapprochement, ton comportement avait changé, je sais pas, tu semblait plus légère, moins refermée sur toi même. Tu m'as dit que vos emplois du temps étaient compliqué à synchroniser et tout... Alors j'ai mené ma petite enquête, j'ai appelé ta mère.
- TU AS QUOI ? Mais ça va trop loin là ! Je pars dans un rire nerveux sans réussir à me retenir ce qui fait sourire Pierre.
- Oui, j'ai appelé ta mère pour tenter de savoir avec qui tu avais passé du temps pendant tes vacances là-bas... Et le prénom de Milo est sorti. Elle m'a donné son numéro de téléphone et j'ai pris contact avec lui. Il m'a confirmé que vous vous étiez rapprochés et que vous aviez passé pas mal de temps ensemble.
- Mais qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête Pierre ?
- Je sais pas, je voulais te faire plaisir. Te permettre de passer le weekend avec lui, tu semblais tellement triste à Milan quand on a abordé le sujet avec Kika. Du coup, je l'ai appelé, il se trouve qu'il était en Pologne en début de semaine, je lui ai proposé de venir passer le weekend, ce qu'il a accepté... Je te jure Amélia, que j'aurais jamais imaginé que tu réagirais comme ça. Sinon je me serai abstenu. Je suis vraiment désolée... Vraiment.
Je n'en reviens pas... D'un coté je suis touchée par l'envie de mon ami de me voir épanouie, mais d'un autre coté, il était allé trop loin. Je prends le temps de réfléchir avant de prendre la parole.
- A aucun moment, tu t'es dit qu'il serait peut être plus sage de me demander mon avis ?
- Je sais pas à quoi je pensais...
Je ne peux pas être en colère très longtemps contre Pierre. C'est aussi un peu de ma faute, si je ne lui avais pas menti par rapport à Lewis en utilisant l'existence d'un potentiel réunionnais dans ma vie, rien de tout cela ne serait arrivé. Il faut que je lui dise la vérité, je pèse le pour et le contre.
- Rien de tout ça ne serait arrivé si je t'avais pas menti... lui dis-je en baissant la tête.
- Je ne suis pas sûre de comprendre. Pierre se rapproche de moi
- Quand on a eu cette discussion dans la voiture à Londres, je ne parlais pas de Milo, mais de quelqu'un d'autre... Je ne voulais pas te dévoiler son identité parce que c'est compliqué et que je voulais préserver ce que j'étais en train de vivre avec cette personne.
- Tu... Tu veux m'en parler ? Me demande-t-il en me prenant la main
- Pas maintenant, laisse moi digérer ce que tu m'as dit et promis, je te raconterai tout quand je serai prête.
Pierre tire ma main vers lui ce qui m'oblige à me lever. Il me prend dans ses bras, son étreinte me fait du bien et apaise ma colère.
- Et du coup, il est où Milo maintenant ?
- Il nous attend en bas, je crois que vous avez deux trois petits trucs à régler vous aussi, me dit Pierre en resserrant son étreinte.
- Mhm, tu auras bien foutu la merde aujourd'hui quand même...
Je prends mon téléphone, toujours aucune nouvelle de Lewis, mon coeur se serre un peu. Je redescends avec Pierre. Milo est en train de discuter avec Lando. Je me racle la gorge pour interrompre leur discussion.
- Milo, on peut se voir deux minutes ?
- Pas de problème.
Milo se lève et me suit, je nous trouve un endroit un peu à l'écart des regards indiscrets. Ça me fait tout bizarre d'avoir Milo en face de moi, ici en Italie, alors que je ne l'ai jamais vu ailleurs qu'à la Réunion.
- Je vais avoir besoin de quelques explications... Je ne suis pas sure de comprendre ce qu'il s'est passé tout à l'heure...
- Pierre a déjà du te le dire, sinon tu serais restée enfermée dans ton bureau tout le week-end. Il m'a appelé, m'a proposé de venir te rendre visite ce week-end parce qu'apparemment je te manquais et que quand tu parlais de moi tu avais des étoiles dans les yeux, me dit-il en caressant mon bras.
Je fais un pas en arrière, je n'ai absolument pas envie d'avoir un contact physique avec lui.
- Il y a eu un énorme malentendu entre Pierre et moi, mais ça n'explique pas pourquoi tu t'es permis de m'embrasser. La colère recommence à bouillir en moi, je tente de la calmer en respirant profondément.
- Je sais pas, il y a toujours eu cette ambiguïté entre nous et
- Cette ambiguïté ? Je lui demande en le coupant dans sa phrase.
- Oui... On dort ensemble, tu te trimballes en petite tenue chez moi, on se fait des câlins, tu me laisses être proche de toi, fin ce genre de chose quoi... Beaucoup de mes potes m'ont demandé si on avait déjà couché ensemble, c'est bien la preuve qu'il y a que toi qui n'a pas conscience de ce qu'il se passe entre nous.
- De ce qu'il se passe entre nous ? Mais Milo, je t'ai toujours dit qu'il n'y aurait pas plus que de l'amitié entre nous et que c'est pour ça que je me permet d'être aussi proche de toi. À quel moment tu t'es dit qu'il y a avait moyen ?
- Honnêtement ? Quand Pierre m'a appelé, j'ai pas hésité une seconde. Je me suis dit que c'était l'occasion pour sauter le pas avec toi.
- Je suis désolée que tu aies cru qu'il pouvait se passer un truc entre nous. Et pour ta gouverne, la moindre des choses c'est de demander avant d'embrasser quelqu'un, tu te prends pour qui ? Parce que toutes les filles de l'île veulent coucher avec toi, tu as pensé que c'était le cas pour moi ?
Je me rapproche de lui et commence à lui parler près de son visage. Je suis tellement en colère qu'il faut que ça sorte.
- Si tu avais un minimum de respect pour moi et notre amitié tu ne te serais jamais permis de faire ça ! Dans quel monde tu vis Milo ?
- Calme toi, on s'est juste embrassé !
- TU m'as embrassé sans ME demander MON envie ! ALORS NON JE VAIS PAS ME CALMER !
Pierre qui m'a entendu hausser le ton arrive pour tenter de calmer la situation.
- Amélia, calme toi, tout le monde vous regarde... me dit-il en m'éloignant de Milo.
- Je suis désolé que tu réagisses comme ça... C'était pas ce que je voulais, je vais vous laisser, c'est mieux pour tout le monde. Milo baisse la tête et quitte le motorhome de McLaren rapidement.
- Putain, tout ce dont j'avais peur est en train d'arriver sans que je puisse le contrôler, j'aimerai être toute seule Pierre, s'il te plaît.
Le normand s'écarte de moi et repart en direction du paddock, je le regarde partir, il se retourne et articule « je suis désolé » avant de disparaître à l'extérieur. J'avais prévu tellement de scénario dans ma tête, mais celui ci était tellement improbable qu'il ne m'a même pas effleuré l'esprit. Ma vie privée était rentrée en collision avec ma vie professionnelle. Je retourne dans le hall pour me servir un thé, tous les regards sont sur moi, je m'excuse auprès de certaines personnes et j'avance vers la bouilloire pour mettre l'eau à chauffer.
- Tout va bien Williams ?
Je reconnais la voix de Zak, ce qui me crispe un peu, je pensais qu'il était à l'étage en réunion. Je me retourne et soutient son regard.
- Je suis désolée de ce qu'il vient de se passer, ce n'est pas quelque chose qui se reproduira à l'avenir.
- Tu veux aller te reposer à l'hôtel ? Me demande mon team manager
- Absolument pas, la deuxième session des essais va bientôt commencer et je ne veux pas la rater.
- Parfait, c'était ce que je voulais entendre. On se retrouve là-bas.
Zak me sourit d'un air paternel puis s'éloigne, il part avec Lando et Oscar en direction des garages. Je finis de me préparer mon thé et je récupère mes affaires pour aller les rejoindre. Je consulte mon téléphone, toujours aucune nouvelle de Lewis, je tente de l'appeler mais je tombe directement sur sa messagerie encore une fois.
Moi : 14h37 : Lewis, il faut qu'on parle.
Moi : S'il te plaît...
Je remarque de mes messages ne sont même pas distribués à mon destinataire. Je comprends rapidement qu'il a du bloquer mon numéro... Cette situation m'attriste mais je ne dois pas me laisser abattre, la journée de travail est loin d'être terminée. Je respire un bon coup et je pars en direction des garages de McLaren. L'effervescence qui règne ici m'aide à rester focus. Zak me regarde prendre place devant les écrans, je lui souris et lui fait un signe de tête pour qu'il comprenne que tout va bien. La séance d'essai n°2 commence mais est interrompue à cause d'un drapeau rouge du à une sortie de piste de Perez dans la "Parabolica", Lando et Oscar restent dans leur monoplace pour rester concentrés. La session redémarre. Nous faisons des essais assez satisfaisant puisque nous finissons deuxième et quatrième. Je parcours l'écran des temps jusqu'à que mes yeux s'arrêtent à la dix-septième ligne, Lewis a eu du mal avec les réglages de sa voiture et j'espère intérieurement que c'est l'unique raison de ce résultat.
Lando part se changer, je l'attends devant les garages. Je profites du petit rayon de soleil qui pointe le bout de son nez, sa chaleur me réconforte un peu. Lando me rejoint, nous profitons ensemble du petit moment de calme avant d'aller devant les caméras pour débriefer de la séance qui vient de se terminer. Je guide et soutiens Lando dans cette tâche, même s'il se débrouille très bien. Les journalistes sont friands des réponses sans filtre que peut leur offrir le jeune pilote britannique. Une fois que Lando a fini d'accomplir son devoir médiatique, nous marchons tous les deux dans le paddock, nous croisons quelques fans qui demandent à Lando de signer leur casquette ou leur drapeau. Je m'attendris quand un petit garçon s'approche avec des étoiles dans les yeux pour prendre une photo du pilote. Nous rejoignons le motorhome orange de McLaren. Je m'affale en même temps que Lando sur le canapé.
- Je suis épuisée ! J'avais hâte que la journée se termine...
- Tu m'étonnes, ça n'a pas du être facile pour toi aujourd'hui, tu veux que je te ramène à l'hôtel ? On peut commander au room service et passer la soirée devant Netflix si tu veux.
-Tu n'as pas une réunion avec tes ingénieurs pour parler de la séance d'essai et les plans pour demain toi ?
- Si mais je peux faire ça rapidement et après on rentre, me propose le britannique.
- Je t'attends ici dans ce cas.
Lando me sourit et attend le retour de son ingénieur pour aller s'isoler avec lui et Zak dans une salle à l'étage. Mon portable vibre, un message de Pierre.
Pierre : 18h29 : Kika vient de me confirmer qu'elle serait là demain soir, j'espère que cette fois ci, cette invitée là te fera plus plaisir que l'autre ! ( c'est trop tôt pour en rigoler ?)
Je souris devant mon écran, je n'arrive pas à en vouloir très longtemps à Pierre, sa maladresse partait d'un bon sentiment , il n'a juste pas su transformer l'essai.
Moi : Tant qu'elle ne m'embrasse pas, je serais très contente de la voir demain ! (Oui c'est encore un peu tôt mais ça m'a quand même fait rire)
Mon ventre commence à gargouiller au moment où Lando m'appelle du haut des escaliers pour le dire qu'il prend mes affaires avant de redescendre. Je me relève péniblement du canapé, celui-ci à tendance à nous aspirer dans ses coussins pour que nous restions assis sur lui plus longtemps que prévu. Je récupère mon sac que me tend Lando et nous quittons le paddock. Sa réunion a l'air de s'être bien déroulée, il m'explique les derniers réglages qu'ils vont effectuer demain matin afin de performer pendant les qualifications. Je n'ose pas lui dire que la moitié des termes qu'il emploie me sont totalement inconnus, mais je le laisse faire, il a l'air tellement passionné parce qu'il me dit.
Nous arrivons à l'hôtel, montons rapidement dans nos chambres respectives pour passer sous la douche. D'un commun accord, nous avons décidé de passer la soirée dans la mienne car elle est moins en bazar que celle de Lando. En même temps ce n'est pas très difficile puisque je n'y ai pas encore passé une seule nuit. Cette pensée me sert le cœur. Lando me tire de mes songes en frappant à la porte, je lui ouvre et le laisse entrer.
Comme à son habitude, Lando retire ses chaussures et s'installe sur mon lit. Je lui tends la carte du room service. Notre choix s'arrête sur un plat de tagliatelle à la bolognaise et des pâtes carbonara. Nous sommes en Italie tout de même, il faut faire honneur à la cuisine locale. Le temps que nos plats soient montés dans ma chambre, je réussis à convaincre Lando de bien vouloir regarder « Gran Torino », un grand classique du cinéma, mais les classiques sont une valeur sûre. Ce qui est agréable avec Lando c'est que nous n'avons pas toujours besoin de parler, ce qui est très appréciable actuellement. Pendant tout le film, je consulte régulièrement mon téléphone, aucune des notifications qui apparaissent sur mon écran est celle que je veux vraiment voir.
Le film se termine, Lando s'étire, baille et quitte le confort de mon lit pour aller rejoindre sa chambre. Avant de partir il me souhaite une bonne nuit. Je me couche, toute seule dans ce grand lit. J'ai du mal à trouver une position qui me permettra de m'endormir. Je refais le film de ma journée dans ma tête, une larme s'échappe pour venir rouler sur ma joue. J'espère que demain sera une journée où tout se passera bien.