The Virginity Game - L'île Pe...

By Kuukauden

580 35 5

The Virginity Game, aux premiers abords, rien d'original et ce nom a de quoi donner envie de prendre ses jamb... More

Online
Monde Un - L'île perdue
Niveau 1
Niveau 2
Niveau 3
Niveau 4
Niveau 5
Niveau 6
Niveau 7
Niveau 8
Niveau 9
Niveau 10
Niveau 11
Niveau 12
Niveau 14
Niveau 15

Niveau 13

30 1 0
By Kuukauden


Figée devant la porte de February, mes pensées se bousculent et ma culpabilité s'accentue. La culpabilité, ou ce sentiment de faute qui ronge et dévore de l'intérieur. Réelle ou imaginaire, elle s'accroche à moi et je ne peux m'en défaire. Je n'arrête pas de repenser aux conséquences de mes mots. Ressasser ne sert à rien. Pourtant, impossible de m'en empêcher.

— Tu vas entrer ou rester plantée là encore longtemps ? me surprend March, une bouteille à la main.

Dénichée je ne sais où. Car nous sommes revenues ensemble sans passer par la cuisine, ni le garde-manger et February a réglé le compte de toutes les bouteilles d'alcool présentes hier soir. February. Mes dents crissent alors que March ouvre le whisky ambré, boit une gorgée et me le tend.

— J'espère que tu aimes la cannelle.

Je déteste la cannelle, mais me garde bien de lui dire et avale une gorgée. Le liquide sucré et oppressant me brûle la gorge. Néanmoins, le feu saisissant me fait un bien insoupçonné et je descends le whisky d'une traite jusqu'à ce que March me l'arrache des mains.

— Doucement, January, c'est ma dernière bouteille. Si tu tombes dans un coma, je te jure, je t'abandonne à ton sort et je ne te reparle plus jamais.

Une étincelle d'espoir m'accable aussitôt et ma Capitaine ne manque pas de la déceler.

— C'est ce que tu veux ? T'isolée ? Te couper du monde et mourir sans avoir jamais vécu ? Tu es tellement terrifiée à l'idée de vivre... Tu es incapable de t'affirmer, de t'assumer. Tu ne manques pas simplement d'un peu de confiance, tu en es dépourvu. Et tu n'as aucun courage. J'avoue que c'est une première pour moi. Bref, si tu veux qu'on mette un terme à nos, disons, échanges, aucun problème. Je te laisse moisir dans ta cellule et on verra bien comment tu t'en sortiras seule. Ce ne sera sûrement pas glorieux, vu ton état d'esprit et la façon dont tu prends ce jeu.

Un boulon pête. Ou l'alcool me monte à la tête. Sans doute les deux, car je ne supporte plus le dédain quotidien, les insultes camouflées, et les rabaissements incessants. Je ne suis pas un rebut de la société. Je ne suis pas...

— Pourquoi vous me rabâcher tous sans cesse que je suis seule ! J'en ai marre à la fin. Vous ne me connaissez pas. Vous n'avez aucune idée de qui je suis. Alors foutez-moi la paix ! J'ai une famille qui m'aime, une sœur toujours là pour moi, des amis...

— Et où sont-ils en ce moment ? Tu crois qu'ils vont venir te sauver des griffes du terrible et infâme Virginity Game que le monde entier admire et vénère ?

Elle part dans un fou rire monumental qui taillade mon abdomen. Et la douleur est telle que je me retrouve à un orteil de basculer totalement du côté de l'inconscience.

— Tu es hilarante, enchaîne-t-elle, sans me laisser de répit. Tu veux qu'on te laisse tranquille ? Tu veux rester bien sagement à attendre ta dernière heure ? Grand bien t'en fasse si c'est ce que tu désires. Je trouve personnellement que c'est une insulte à tous ceux qui n'ont pas ta chance. La chance de respirer, d'être en bonne santé, d'avoir une si précieuse famille.

Entendre de sa bouche l'une des raisons pour lesquelles je me haïs tant massacre les tripes qui dégringolent de mon ventre lacéré. Et incapable de les remettre en place, je contemple la marre de sang et de boyaux écrasés par March.

— Je ne sais même pas pourquoi je m'entête à discuter avec toi. Finalement, c'est peut-être bien moi la plus stupide. Je comptais te parler de Feb. T'expliquer les raisons qui l'ont conduite à se comporter ainsi. Mais tu n'es pas capable de les comprendre, tant tu es focalisée sur ta petite personne, soupire-t-elle, en baissant la poignée de la chambre de February.

Estomaquée, je l'observe franchir le seuil. Elle s'arrête subitement, se retourne et s'infiltre au plus profond de mes pupilles.

— Comme je suis la plus grande des idiotes, je te laisse quand même une dernière chance de me montrer qui tu es vraiment. Rejoins-moi pour en apprendre plus ou retournes d'où tu viens sans la moindre réponse.

Mon égo me hurle de regagner ma chambre. Mais les iris émeraude de March me statufient. Elle m'offre une chance. Une seule. La dernière. Suis-je prête à la saisir ? Car, forcée de constater, qu'après des jours passés, réfugiée dans la bibliothèque, ma situation n'a pas évolué. Après avoir évité au maximum d'interagir avec les pions et les joueurs, ils m'ont tout de même rattrapée. Après être restée passive depuis le début de The Virginity Game. Non, depuis le début de ma vie. Je me trouve toujours au même point ; je me contente de regarder le monde tourner sans entrer dans la danse. Bien trop effrayée à l'idée de tomber quand il suffit de se relever.

Alors, vais-je encore laisser filer ma chance comme lors de la première manche de poker ? J'avance et retrouve March dans la chambre de February. Peu importe ma main, je ne le regretterai pas. Car c'est la bonne solution. Je n'en ai pas d'autre. J'ai besoin d'informations, pas de rester dans l'ignorance. Ou je ne serai jamais libre. Et je n'ai pas abandonné l'idée de m'échapper de cette île pervertie.

— Mes félicitations, bienvenue donc dans la chambre de February qui comme tu le vois ressemble à la tienne à un détail près bien sûr.

En effet, la seule différence se trouve sur le mur en face du lit. Aucun tableau n'est accroché, en revanche des sculptures de papier semblent escalader la peinture à effet glacier. March m'indique d'approcher de la commode surplombée par la vingtaine d'origamis, s'élevant jusqu'aux moulures enneigées, et je la rejoins, ma curiosité légèrement éveillée. Au milieu des feuilles, des ciseaux et des marqueurs, elle me tend une carte argentée. Mon pouce glisse sur l'hellébore doré dessiné en relief. Au dos, s'inscrit « Pardonne-moi. ». Je suis perdue.

— Tiens, February a également fabriqué ça pour toi.

March me donne un petit pingouin fait de papier argenté et doré. Mais je ne comprends pas bien la raison de ce cadeau. C'est une étrange manière de présenter ses excuses. Peut-être aime-t-elle tout simplement les pingouins. Tout n'a pas forcément un sens caché et la confection est superbe.

— Merci, murmuré-je. Elle est douée.

— Oui, c'est une de ses passions. Elle peut absolument tout fabriquer en papier. Elle manipule aussi très bien le bois, c'est une excellente sculptrice. Bien que les origamis restent son domaine de prédilection. Et si elle a choisi de te fabriquer un manchot, ce n'est pas un hasard.

Un manchot. Je ne sais pas si c'est très flatteur. Est-ce censé représenter ma maladresse, ma gaucherie, mes incapacités ?

— Ce manchot accompagne son mot. Elle a toujours aimé transmettre des messages à travers ses œuvres. Mais ils ne sont pas évidents à interpréter, surtout pour le commun des mortels. Donc, pour que tu le comprennes, je vais commencer par le commencement.

La flèche vole et n'atteint pas sa cible. Après tout, j'appartiens bien à la classe moyenne. Et à la moyenne basse. Que ce soit sur le plan physique, intellectuel ou social. Aussi, je me concentre plutôt sur ses mots, bien plus importants que ma petite personne, comme elle l'a si délicatement précisé.

— Aux premiers abords, February semble manquer de caractère. Elle paraît sans personnalité. Elle donne l'impression de ne pas savoir ce qu'elle veut, d'être influençable et incapable de se battre par elle-même. La réalité est tout autre. Quand on apprend à la connaître, on se rend vite compte de la fougue et de la passion qui l'animent. Elle est sauvage, très intense et souvent excessive dans ses actions.

Autant d'adjectifs que je n'aurais jamais utilisés pour la décrire. Je me plais à penser être observatrice, j'ai encore beaucoup de progrès à faire. Car February ne se contente pas simplement de suivre March partout en l'imitant. Elle vit aussi par elle-même. Elle a des rêves, des désirs, des envies. Et si elle accompagne March c'est parce qu'elle le veut. Pas parce qu'elle n'a pas d'autres choix.

— Sa punition est bien plus cruelle que tu ne peux l'imaginer et la cause racine est son amour pour Spring. Comme tu t'en rappelles sûrement, la règle numéro deux interdit d'éprouver des sentiments amoureux envers les joueurs ou les pions. Or, February aime Spring à la folie depuis des lustres et perd toute rationalité quand il s'agit de lui. Son impulsivité prend le dessus et elle ne réfléchit plus. Autant te dire que quand elle s'est retrouvée seule avec lui, elle n'a pas hésité un instant à avouer ses sentiments. Elle attendait ce moment depuis trop longtemps et a tout déballé sans prêter attention à mes mises en garde. Ni aux caméras qui enregistrent tout. Et aucune image ne leur échappe.

Ma nuque se tend immédiatement lorsque mon regard se pose sur l'une des fameuses caméras. Avons-nous le droit de discuter librement de la punition et du caractère de February ou révélons-nous une part de son identité ? March ne briserait jamais la règle numéro une, pourtant...

— January, tu es incroyable. Regarde-toi devenir livide alors que tu ne sais même pas de quoi tu as peur ! Tu n'apprendras donc jamais ? Franchement, Feb aurait dû choisir un paresseux vu ta lenteur d'esprit.

La flèche ne m'atteint toujours pas. En revanche, elle me rappelle un fait indéniable. Un fait que j'avais omis. Je ne suis qu'une Ignorante et ne possède aucune valeur à ses yeux. Je ne sais même pas pourquoi elle prend la peine de me parler puisque je suis si agaçante. Toutefois, ce n'est qu'un jeu pour elle. Une énorme farce qui l'amuse. Je pensais que l'élimination de February l'avait touchée. Je me suis fortement trompée. Après tout, elle a choisi de participer de son propre gré et en pleine connaissance de cause. Lui répondre s'avère donc inutile. Seulement, me voilà incapable d'ignorer sa remarque. Car, comment ose-t-elle suggérer que je ne sais pas de quoi j'ai peur ?

— C'est faux ! répliqué-je, avec fureur, un pied à présent du côté tant redouté de l'inconscience.

— Dans ce cas, prouve-le-moi.

— Je n'ai rien à te prouver, craché-je. Ni à toi, ni à personne.

— Tu oublies ta position, me rappelle-t-elle sur un ton tranchant.

Mes poings se serrent proche de l'implosion. Je n'ai pas oublié le devoir des Ignorantes. Obéir et se taire. Ne jamais exploser. Ne jamais froisser. Sous peine de sanctions.

— Je n'attendrai pas indéfiniment, donc vas-y. Explique-moi ce qui te fait si peur que tu paniques à la moindre conversation.

Son index frappe le buffet juste à côté de la bouteille de whisky. Chaque mouvement décompte les secondes dont je dispose pour l'éclairer. Mais je ne sais pas quoi répondre. Aussi je retire mon pied et me réfugie dans ma conscience, bien muette depuis notre retour dans la suite.

— Je... je ne peux pas te le dire, balbutié-je.

— Te l'a-t-on interdit ?

Mes yeux se baissent et rencontrent mes baskets blanches tachées de suie qui s'enfoncent dans la moquette teintée d'un gris harmonieux, du gris de l'humanité. Pour une fois que j'aurais aimé recevoir les conseils de la voix de ma conscience, elle refuse de se manifester.

— Non, mais...

— Mais rien. Parle, me somme-t-elle durement.

Les larmes montent. Mes jambes chancellent et je m'accroche à l'un des tiroirs de la commode. Si je ne me plie pas à sa volonté... Respire, calme-toi et lance-toi, m'encourage la voix de ma conscience d'un murmure à peine audible.

— Ils... ils ont menacé ma famille, m'étranglé-je.

— Je vois, murmure March, en me tendant la bouteille.

Je me résigne à boire un coup pendant qu'elle s'assoit sur le lit à baldaquin et me regarde longuement, les jambes croisées, comme si elle cherchait quelque chose. Cependant, il n'y a rien à trouver à part les sanglots que je retiens.

— Je peux comprendre que tu sois apeurée, mais pourquoi obéis-tu à tout sans te poser de questions ? Tu as peur de briser des règles quand tu n'en connais même pas toutes les modalités. Ta passivité est franchement alarmante.

Ses mots me sonnent. J'étouffe. Je n'aurais pas dû accepter son invitation. Saisir ma chance ? N'importe quoi. Je veux quitter cette pièce, m'enfuir le plus loin possible et ne plus jamais me retourner. Seulement, je suis une Ignorante prisonnière de cette île et je ne peux pas faire ce dont j'ai envie. Même si je m'enferme dans ma chambre, je ne peux pas m'échapper. Je suis dans une impasse et ma passivité est franchement alarmante.

— Eh bien, tu as perdu ta voix ?

Depuis le début du jeu, j'obéis à tous ces ordres sans la moindre opposition et elle me demande pourquoi. Je lui avoue que ma famille est menacée et elle ne comprend toujours pas. La main serrée autour du whisky, je fulmine intérieurement. Si j'étais un volcan, j'entrerais en éruption et déverserais ma lave jusqu'à carboniser l'île entière. J'émettrais des fumées toujours plus brûlantes pour asphyxier tous les participants de ce jeu répugnant. Toutefois, je ne suis pas un volcan. Je ne suis qu'une simple fille qui possède une langue et ne peut plus la retenir. Inconscience me voilà.

— Sans me poser de questions ? répété-je. Tu n'as pas idée du nombre de questions qui m'engloutissent au quotidien. Je me pose autant de questions que la galaxie compte d'étoiles ! Mais si je demande une seule chose de travers, si je brise une unique règle, ce n'est pas seulement ma vie que je mets en danger, c'est celle de mes proches aussi. À la moindre erreur, ils risquent de souffrir, de perdre...

Le souffle court, ces mots m'étripent, j'aimerais les ravaler. Pourquoi ai-je sauté dans l'inconscience sans réfléchir ? Ma stupidité me surprendra chaque jour un peu plus. Nous sommes filmées ! Certes, ils ne montreront jamais d'images exposant leurs secrets les mieux gardés. Et la règle numéro huit interdit la diffusion d'informations sur le jeu à l'extérieur. Mais je tais mon enlèvement pour une raison. Je ne suis pas certaine des risques encourus à le mentionner.

Aucune règle ne l'interdit. Seulement, la numéro neuf assure l'impossibilité de refuser toute punition. Et une entorse à cette règle s'accompagne sans aucun doute de la prise de mesures radicales. Je dois donc les éviter par-dessus tout pour que ma famille n'encours pas le moindre danger supplémentaire par ma faute. Et comme rien ne garantit l'exhaustivité de la règle numéro dix, que faire s'ils s'octroient le pouvoir de donner des punitions même si aucune règle n'est brisée ?

Si, par exemple, un pion révèle les menaces proférées contre sa famille à un autre pion et qu'une étincelle s'enflamme par sa faute. March ne semble pas du genre à allumer un brasier. Toutefois, si jamais une autre personne tombe sur ses images, si... Avec des si, on refait le monde, intervient la voix de ma conscience que je remercie pour cette aide précieuse.

Malheureusement, les si tambourinent encore ma poitrine et toujours clouée à la porte, mon cœur bat. Vite, fort. Tel un fouet électrique devenu fou, à l'idée de voir surgir les hommes cagoulés qui me conduiront à ma punition pour avoir osé révéler les conditions qui m'ont amenée dans le jeu. Toutefois, sans aucune âme qui vit à l'horizon, ma famille n'est pas en danger. Pas encore.

— Donc, en résumé, tu es tellement effrayée par ce qu'ils pourraient faire à tes proches que tu acceptes tout sans sourciller ?

— Sans sourciller ? March, tu passes ton temps à m'humilier et à me dénigrer. Obéir à tes ordres n'a rien de facile. Mais à la moindre résistance opposée, je pourrais ne jamais revoir ma petite sœur.

March avale une gorgée de whisky et son expression s'adoucit. Ses mots, en revanche, me retournent l'estomac.

— Tu es en train de me dire que tu avais peur que l'un des joueurs te punisse si tu me désobéissais et que cela mette en danger ta famille ? C'est tellement tordu.

— Tu peux me trouver ridicule, risible. Je m'en moque. Je suis peut-être tordue, mais ce jeu l'est encore plus. J'aime ma famille de tout mon cœur. Ils ne sont pas parfaits, mais ils ont toujours été là pour moi, bien que je ne leur rende pas toujours très bien. Enfin, je ne veux pas qu'il leur arrive quelque chose par ma faute. Même s'ils ne souhaitent plus jamais me revoir, ce que je comprendrais vu la honte qu'ils ressentiront en découvrant ma participation.

— Wow, j'ai passé des jours avec Feb, à te provoquer et à te pousser dans tes retranchements dans l'unique but d'apprendre à te connaître. Je pensais qu'en te cernant mieux, je saisirais la raison de ta présence ici, étant donné que tu ne sors de nul part. Tu n'es pour ainsi dire personne. Et pourtant tu as été choisie pour rejoindre The Virginity Game. Mais pourquoi toi ? Pourquoi toi, quand il y a des dizaines de filles qui ont tout pour être une parfaite Ignorante ?

Pourquoi moi ? C'est une question que je me pose encore et qui me broie, me malaxe, me triture de l'intérieur à chaque instant.

— J'ai donc commencé à te tester. Tu obéissais de façon aveugle. Bon, tu m'as bien répondu le premier jour, mais après je n'ai eu droit qu'à quelques marmonnements insignifiants, jamais rien de bien défiant. Pourtant ton dégoût pour le jeu était si sincère. Mais tu t'es tout de même soumise, quand n'importe quelle Ignorante digne de ce nom m'aurait déjà renvoyé six pieds sous terre.

Ce que j'ai fait de nombreuses fois, mais dans ma tête. Je ne le lui ai juste pas balancé à la figure.

— J'aurais pu mettre un terme au test, vu les résultats décevants. Mais je ne suis pas du genre à m'arrêter en chemin ! Il se trouve que je sais mieux que quiconque que les apparences sont trompeuses. Et comme j'envisage toujours tous les scénarios possibles et imaginables, j'avais, bien évidemment, connaissance de ton enlèvement. Ça arrive à toutes les Ignorantes chaque saison. Mais je n'aurais...

— Attends, tu es au courant des kidnappings depuis le début ? laissé-je échapper.

— Qu'est-ce que tu crois ? Que j'appartiens au commun des mortels ? Allons, January, je suis une Capitaine, pas une Ignorante, glousse-t-elle.

Chaque note résonne et m'empêche d'aligner une pensée devant l'autre.

— En parlant d'Ignorantes, les gens les voient souvent comme des filles quelconques. Basiques et moyennes. Qui ne servent à rien. Je pense plutôt que ce sont des filles énervées contre la société qui les rejette et qui ont une forte tendance à l'auto-exclusion. Elles se referment parce qu'elles se croient supérieures et au-dessus de ceux incapables de les accepter et de les intégrer alors qu'elles sont faibles et lâches. Dans le deux cas, c'est le genre de fille qu'on déteste. Celles qui n'appartiennent à aucun groupe. Des moutons égarés. Voilà ce que sont les Ignorantes normalement.

— Et en quoi mon cas serait-il différent de celui d'April, de July ou de toutes ces Ignorantes ?

March m'invite à m'asseoir sur le lit et je la rejoins. Notre conversation risque de durer encore un moment et je doute qu'elle soit agréable. Vu que je suis une de ses filles. Toute ma jeunesse, on m'a répété que j'étais la seule responsable de mon isolement et l'admettre m'arrache le cœur. En revanche, cet échange, bien que douloureux, sera sûrement instructif.

— J'y viens. Comme tu le sais déjà, les Ignorantes ne connaissent rien à The Virginty Game, même si le jeu les répugne profondément. Elles sont toujours très déstabilisées au début. Elles pleurnichent aussi beaucoup, pendant des jours, parfois des semaines. Bref, elles refusent l'attention des joueurs et finissent par s'en prendre aux autres pions. Jusqu'à ce qu'elles décident de se révolter et de se rebeller. October a été l'une des plus rapides à le faire et tu verras que July et April changeront leur fusil d'épaule bien assez vite. Elles se sont déjà alliées, non ?

Je repense à mon petit-déjeuner avec August et à la tension qui régnait autour des pancakes. July et April ont formé une équipe pour survivre dans le jeu et m'ont même invité à les rejoindre...

— Je croyais que c'était des solitaires ?

— Oui, et pour la première fois, elles ont une raison de se regrouper. Pour survivre au si terrible jeu qui les a arraché à leur vie d'hermite. D'ailleurs, une Ignorante qui se respecte les aurait rejoint.

— Je ne les connais pas plus que toi...

— N'est-ce pas plutôt parce que tu n'es pas sûre que ce soit le bon choix ?

La perspicacité terrifiante de March fige mes cordes vocales. Rien ne semble lui échapper. Non, c'est plutôt qu'elle ne laisse rien lui échapper.

— Pour en revenir aux Ignorantes, tu verras qu'à un moment, elles exploseront. Ce sera violent, inattendu et spectaculaire. Et les joueurs seront présents pour recoller les morceaux. Elles tomberont dans leurs bras et perdront leur virginité. Quoi de plus frustrant et exaspérant pour tous les téléspectateurs que de voir des filles refuser de profiter de la chance qu'elles ont d'avoir été choisie, puis de succomber comme des sottes.

— Elles sont donc là pour être détestées.

Voilà également pourquoi j'ai été choisie. Pas pour être enviée comme les Voyeuses, ou adulée comme les Capitaines, mais bien pour être haïe. Car je n'arrive ni à la cheville des Voyeuses, ni au tendon d'achille des Capitaines. C'est ainsi et il ne peut en être autrement. Pourtant, selon March, je n'arrive pas non plus à la hauteur des Ignorantes, alors où veut-elle en venir ?

— Précisemment, c'est le rôle premier des Ignorantes. Tu vois, si les téléspectateurs étaient ceux à votre place, eux profiteraient du jeu comme les autres pions qu'ils envient et adulent. Ceux à qui ils veulent ressembler. Ceux qui les inspirent et les font rêver. Ceux qui remplissent tous les critères. Parce qu'il est essentiel de rentrer dans une case et de ne pas en sortir, peu importe où elle se trouve. Voilà la seule solution pour être heureux selon notre société.

Simple, et impossible pour moi. Je n'ai jamais réussi à accepter de vivre dans une case, surtout la mienne. J'ai toujours désirer plus. Sans pour autant m'en emparer. Car c'est mal. C'est mauvais. C'est dangereux. Alors, je préfère me cloîtrer dans mes rêves les plus fous. Dans mes espérances les plus irréalistes. Dans mes aspirations les plus inavouables. Au lieu de tout faire pour les vivre. Contrairement à ma petite sœur.

— Imagine un peu ce qu'il passerait si tout le monde sortait de sa case.

— Notre société s'effondrerait et ce serait l'anarchie totale, murmuré-je.

March tape dans ses mains et m'arrache un sursaut.

— Tout juste ! C'est pourquoi la société nous enchaîne et nous brime. Nous pousse à rester à notre place, dans notre classe, dans notre cercle. Nous répète de ne pas convoiter plus que ce que l'on est capable de posséder. De ne pas jalouser la richesse et l'opulence de notre prochain. De ne pas rejeter le pouvoir de ceux qui nous dirigent. De tout simplement se contenter de ce que l'on a et de vivre avec en le faisant fructifier à la hauteur de ses capacités. Sans jamais se dépasser pour de vrai.

— Pourtant certaines personnes y parviennent, non ?

Les iris émeraude de March s'illuminent soudainement et des frissons me hérissent les poils.

— Il est possible de gravir les échelons les uns après les autres, génération après génération, parfois on peut en sauter plusieurs d'un coup, mais on ne peut pas atteindre le sommet de l'échelle en un bond. Surtout quand on ne le mérite pas. Et les Ignorantes ne méritent pas leur place. Parce que contrairement à quelqu'un qui gagne au loto en jouant la bonne combinaison et qui gravira quelques échelons, les Ignorantes n'ont même pas acheté un ticket pour participer.

Un électrochoc me percute alors. Foudroyant. Terrassant.

— Tu veux dire que le public est au courant des enlèvements ? Mais dans ce cas, pourquoi des millions de personnes regardent The Virignity Game ? m'affolé-je, sans pouvoir contrôler les battements infernaux de mon cœur électrocuté.

— Jay, tu es bien trop naïve ! s'exclame March, en récupérant la bouteille de whisky. C'est presque adorable. Allez, encore une gorgée. Mais une seule. Tu en auras peut-être besoin plus tard.

Je m'empresse de m'exécuter et, toujours aussi perturbée malgré l'alcool coulant dans mes veines, attends ses explications.

— Le public sait que parmi les pions, quatre filles ignorent tout du jeu. Mais il ne sait pas qu'elles ont été kidnappées. Parce que tu n'as pas réellement été kidnappé.

— Pardon ? ne puis-je me retenir.

— Tu as bien signé la promesse de jeu, n'est-ce pas ? Tu t'es donc engagé de ton plein, ou presque, gré. Ce n'est qu'un détail pour le reste du monde. Personne ne s'y intéresse vraiment. Tout simplement parce qu'ils ont besoin de ce jeu. Pour s'échapper, s'évader, voyager, rêver ! Tout le monde ne déborde pas d'imagination. Tout le monde n'est pas capable de libérer sa créativité. Il n'est pas si facile de rêver. Sinon à quoi servirait les jeux, les livres, les films, l'art... ? Ce sont des moyens de convoiter, de jalouser, d'admirer, de haïr, de ressentir tout un tumulte d'émotions dévastatrices et interdites, le tout sans danger. Condition sine qua non pour accepter sa vie normale et ennuyeuse. Qui leur convient à merveille, finalement.

— Je... je ne comprends pas.

Assise en tailleur, March croise les mains et mes côtes se fêlent sous l'intensité de son regard.

— La plupart des gens ont besoin d'assurance et de sécurité et aiment leur routine sans danger. Tout plaquer pour changer de vie. Beaucoup en rêvent, peu en possèdent les moyens et encore moins le font vraiment. Quand il est question de vivre, la plupart des gens se montrent prudents et restent dans leur zone de confort. Dans le milieu qu'ils connaissent et l'environnement qu'ils maîtrisent. Sans prendre de risques inutiles. Ils ne vont pas remuer ciel et terre pour des filles qu'ils abhorrent et ne connaissent même pas. Alors qu'il n'existe rien de comparable à The Virginity Game.

Ses mots résonnent en moi et l'écho me bouleverse. Je n'ai jamais pris de risques. Tout court. Je traverse toujours quand le feu est vert. Je ne cours pas dans les couloirs. Je me tiens à la rampe d'escaliers. En revanche, si ma famille se trouvait en danger, je me jetterai sous les roues de la voiture sans hésiter. Et qu'en serait-il si c'était un étranger à la place ? m'interroge la voix de ma conscience qui n'a visiblement plus de dent contre les si.

— Bien sûr, il y a toujours des exceptions. Mais tout le monde a son rôle à jouer. Même les exceptions. C'est également valable pour The Virginity Game. Le jeu possède ses propres règles, ses propres codes, comme toute micro-société. Les Ignorantes sont les détestées, les Voyeuses, les enviées, les Capitaines, les adulées et les joueurs, les vénérés. Le jeu est là pour distraire les masses. Endoctriner les esprits malléables et manipulables. Les empêcher de trop réfléchir et les dissuader de se soulever. Parce que rien ne sert de se révolter si c'est au final pour finir dans le lit du joueur.

— A quoi bon se battre contre The Virginity Game pour des pions incapables de défendre leur position et qui retournent leur chemise dès que celle d'un joueur tombe.

— Exactement ! Je n'aurais pas dit mieux ! En revanche, pas de larmes, je t'en supplie.

Je sèche mes yeux et ravale les sanglots qui se bloquent au milieu de ma gorge. Après plusieurs déglutitions charmantes, la pilule passe et je trépasse un peu plus en écoutant March.

— C'est pareil dans notre société, il y bien, régulièrement, des manifestations, des ralliements autour de causes plus ou moins nobles selon les opinions. Mais offrir une voix au peuple ne signifie pas qu'elle a de l'impact. C'est une source d'espoir pour leur donner une impression de liberté bien chimérique. Au final, le gouvernement gagne toujours. Et si ce n'est pas lui, c'en est un autre.

Ses mots me frappent et passe à tabac mon cœur. Tous les gouvernements plus ou moins oppressifs possèdent le pouvoir de soumettre le peuple. Il existe toujours un moyen de contourner les lois et d'assujettir ses sujets. Et ils ont beau se regrouper, protester, leurs pancartes et leurs hurlements ne font pas le poids face à des fumigènes, des matraques et des armes à feu. Les vraies révolutions ne sacrifient pas quelques vies, mais des centaines de milliers. Et en plus d'être rares, elles ne sont souvent pas menées pour les bonnes raisons. Ou du moins pas par les bonnes personnes.

— Pour en revenir à The Virginity Game, les Ignorantes sont détestées parce que vous n'êtes pas qualifiée pour participer, contrairement aux autres pions. Vous avez beau être vierges, ce n'est pas suffisant. Vous n'avez pas votre place et les téléspectateurs non plus. Même s'ils envient les Voyeuses, la majorité est incapable de les remplacer et ils ne peuvent évacuer leur frustration que sur les Ignorantes. Pour devenir un pion, il ne faut pas juste être vierge. Il faut être une femme forte, indépendante, intelligente. Mais surtout, puissante et honnête avec soi-même et ses désirs. Il faut charmer, séduire, jouer et ne jamais rejeter le jeu si accueillant et exaltant. Or, les Ignorantes détestent The Virginity Game et finissent toujours par succomber. C'est donc normal qu'elles soient détestées.

La logique dont elle fait preuve me chamboule. Et son impassibilité me stupéfait.

— Tu trouves cela normal, toi ?

— Tu préfèrerais qu'une autre fille te remplace ?

— Je préfèrerais que le jeu n'existe pas.

— Et moi je préfèrerais que la guerre n'existe pas.

Mes yeux se baissent. Décidément, je ne sais que me plaindre et geindre.

— Ne penses pas que je dénigre tes malheurs. Je veux simplement que tu ouvres les yeux. The Virginity Game existe et tu ne pourras rien faire pour le détruire à toi toute seule. Tu n'accompliras jamais rien si tu te renfermes sur toi et ne donne pas une chance aux autres.

— Comme tu m'as donné une chance ?

March m'offre un sourire insaisissable et l'ouragan me siffle. Le tourbillon tumultueux me rappelle que je devrais moi-aussi m'allier un jour si je veux survivre à ce jeu. Et je ne me sens à ma place, ni aux côtés des Ignorantes, ni aux côtés des autres pions...

— Tu vois, je pensais que comme les autres Ignorantes, tu étais là pour offrir un défouloir et surtout rappeler aux masses qu'elles sont très bien dans leur case et que rien ne sert de se soulever. Donc je n'aurais pas parié que ton comportement était en lien avec les menaces pesant sur ta famille. Je penchais plutôt pour de la timidité maladive, un peu trop d'introversion et un léger malaise social. Pourtant, maintenant, je commence à voir que tu n'es pas simplement là pour être détestée. Tu es peut-être bien l'une des premières exceptions de The Virginity Game ! Et c'est pour cela qu'il faut toujours prendre en compte tous les scénarios. Il ne se passe jamais ce que l'on pense qu'il va arriver. Quand je me dis que tu n'as jamais craqué jusqu'à aujourd'hui. Je suis impressionnée et crois-moi, ce n'est pas évident.

Mes yeux s'écarquillent. Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Est-elle devenue folle ? Je ne m'impressionne pas, je me trouve plutôt grotesque.

— Je suis sérieuse. Je suis vraiment impressionnée par ta combativité. Je pensais que tu attendais d'exploser pour qu'un joueur te sauve, pas que tu tentais de protéger ta famille. Car, ne va pas croire que tout le monde soit prêt à se sacrifier pour quelqu'un qu'il aime. C'est facile de le dire. Le faire, en revanche, c'est un autre combat et une fois face à l'action, le comportement n'égale généralement pas les mots. Une parole est bien plus facile qu'un acte.

March me teste depuis des jours, mais sa conclusion est erronée. Elle se trompe complètement à mon sujet. Depuis mon arrivée sur cette île, je tente de me battre, d'échapper au jeu et qu'ai-je gagné ? Rien. La situation n'a pas changé. Elle ne fait qu'empirer. Et je ne suis même pas sûre d'être capable de rejoindre une alliance, quelle qu'elle soit.

— Pourtant, March, je suis faible. Rien ne sert de le nier et j'en suis parfaitement consciente. Les joueurs font ce qu'ils veulent de moi et c'est la même chose pour toi. Si je m'étais vraiment sacrifiée pour ma famille, je ne serais plus vierge à l'heure où on se parle. Je ne suis qu'une perdante.

— Tu es un manchot.

Un manchot ? Je regarde le bout de papier censé me représenter. L'oiseau qui possède des ailes, mais ne sait pas voler. C'est effectivement mon cas. Je suis un manchot, dans tous les sens du terme. Bancale et incompétente.

— Le manchot est un oiseau incapable de voler. Pourtant, auparavant, il le pouvait. Ses ailes se sont affinées avec le temps et se sont adaptées au milieu aquatique. Le manchot est un oiseau capable de nager. Il est le symbole même de l'évolution et de l'adaptation. Et tu as déjà changé depuis ton arrivée. Regarde, nous sommes en pleine discussion !

Un sourire force mes lèvres. Certes, nous n'avons jamais parlé autant, mais March ne pourrait se fourvoyer plus.

— Tu es sûre que le pingouin ne serait pas plus adapté pour représenter l'évolution ? Il sait voler et nager. Le manchot n'est rien d'autre qu'un manchot. Un produit défectueux.

— Jay, ce n'est pas parce qu'on a des ailes que l'on doit voler. Les manchots, contrairement aux pingouins, ne s'en servent pas. Mais ce n'est pas un signe de lacune ou d'insuffisance. Il existe de nombreuses routes et la ligne droite n'est pas forcément la meilleure. Et maintenant que j'ai la certitude que tu n'es pas là par hasard, j'ai très envie de voir comment ce jeu te transformera ? Est-ce que pour survivre et protéger tes proches, tu finiras par sacrifier ta virginité sans autre solution ou choisiras-tu un tout autre chemin ? Parviendras-tu réellement à échapper à The Virginity Game et à contourner ses règles ?

Son enthousiasme me sidère. La situation l'amuse. C'est à croire qu'elle ne possède pas de cœur. Quand je la regarde, j'ai l'impression qu'on a congelé le soleil. Elle est chaleureuse et glaciale en même temps, rassurante et effrayante, calme et dangereuse, exactement comme la nuit.

— Quelle est la route que tu emprunteras ? Trouveras-tu celle qui ne correspond qu'à toi et qui te convient ? J'ai déjà des dizaines de scénarios en tête et j'ai hâte de voir lequel se réalisera !

Je ne sais pas si je trouverai la route dont elle parle. Néanmoins, je ne la chercherai pas pour elle. Mais pour moi. J'explorerai mon étoile et ses mots n'influenceront pas mes choix. J'ai décidé depuis le début que j'obtiendrai les informations nécessaires à mon évasion. Et si jamais cette recherche se solde par un échec, je considérerai d'autres options. Pour le moment, j'ai besoin de comprendre le comportement de February pour apaiser ma culpabilité et avancer, sans qu'un autre boulet ne retienne ma cheville. J'en traîne déjà suffisamment.

— Pourquoi February...

— Oui, c'est vrai. Nous nous sommes un peu égarées, mais c'est quand on se perd qu'on trouve les plus beaux trésors ! Feb s'est donc fait prendre par les caméras alors qu'elle faisait sa déclaration, un bouquet de roses en main. Du Feb tout craché ça, elle est tellement théâtrale. Mais du coup, Spring l'a punie, en loyal joueur qu'il est. Et sa punition était la suivante : elle devait te provoquer. Pourquoi toi spécifiquement ? J'ai des tas d'idées, dont une en particulier expliquerait beaucoup, mais il est encore trop tôt pour que je m'avance.

Je ne sais pas comment le cerveau de March peut fonctionner aussi vite. Car mes neurones éparpillés peinent à prendre du recul et à saisir l'ensemble de la situation.

— Selon les modalités de la punition, Feb devait attendre la dernière étape de l'initiation pour te balancer les pires horreurs jusqu'à ce que tu réagisses. Elle t'a donc dit tout ce qu'elle haïrait entendre, tout en préparant le terrain, et tu n'as pas du tout réagi comme attendu. Tu as répondu par les seuls mots capables de lui faire perdre complètement pied.

Je tressaille et la culpabilité lance une nouvelle attaque. Pernicieuse, elle maintient sa prise. Puisque mes mots sont bien responsables de son accès de folie.

— Il y a une chose que Feb' ne supporte pas, c'est qu'on lui dise qu'elle n'est pas belle. Elle a eu une enfance... compliquée et entre la pression de la punition et l'alcool, sa réaction a été amplifiée. Elle s'est jetée sur toi et là encore tu as surpris tout le monde, tu n'as rien fait. Je m'attendais plus à un crêpage de chignon, seulement, une fois de plus ce n'est absolument pas le scénario que je pensais qui s'est réalisé et il n'y a rien de plus jubilatoire.

Le manque d'humanité de March m'éviscère. Impossible de savoir si elle est sincère ou juste cynique.

— Tu vois, Spring désirait qu'elle te provoque pour que vous vous battiez et soyez punie toutes les deux. De base, Feb ne comptait pas entrer dans son jeu, elle comptait plutôt se laisser attaquer et glisser ce mot sous ta porte dans l'attente de ta punition. Elle n'en a jamais eu l'occasion puisqu'elle a terminé dans le lit de Spring comme nous l'avons toutes vu.

Son ton se durcit et son regard s'assombrit. Elle semble prête à commettre un meurtre. Un instant, elle paraît ne pas prendre ce jeu au sérieux et celui d'après être la personne la plus sérieuse sur cette Terre. C'est troublant. March se relève et me donne une petite tape sur l'épaule.

— Tu as faim ? On peut manger ensemble si tu veux.

Sa question sortie de nulle part me prend au dépourvu. Ai-je mal entendu ? Elle se soucie de mon état et me propose de manger avec elle au lieu d'être une simple serveuse. La mouche qui l'a piqué devait se trouver affamée pour l'affecter à ce point ou alors une très mauvaise surprise m'attend. Et je déteste les surprises. Toutefois, mon estomac se charge de répondre à ma place.

Gênée pendant quelques secondes, je ne sais pas comment réagir. Et quand March éclate de rire, tous mes muscles se tétanisent.

— Allez, détends-toi, je ne vais pas te manger. Je ne suis pas un joueur.

Non, c'est une Capitaine et la déchiffrer s'avère un réel défi, que je ne suis pas prête de relever vu mon niveau médiocre.

— Parfois, je me demande si tu n'es pas pire qu'un joueur, pensé-je à voix haute. Enfin, non, pardon.

Les mains devant la bouche, je n'arrive pas à croire les mots qui viennent d'en sortir. Pourquoi ne l'ai-je pas cousue ? Parce que c'est douloureux, se moque la voix de ma conscience de nouveau en service.

— Ne t'excuses pas, je crois que je préfère quand tu réponds finalement. C'est beaucoup plus amusant.

Nous quittons la suite et mes yeux s'écarquillent quand je déchiffre un panneau « attention au verglas ».

— Génial ! s'exclame March, en dérapant sur la glace avec une élégance inimitable. Tu viens, je croyais que tu avais faim ?

Mon sourire se crispe autant que mon pied droit qui s'avance sur la surface dangereusement lisse. Je prends mon courage à deux mains, m'élance et glisse en arrière. Dans un patinement désespéré, je tente de me redresser, mais chute sur le dos et une vague de douleur rayonne dans tout mon corps.

— Tu t'es fait mal ? me demande March, en me tendant la main.

— Je n'avais jamais fait de patin à glace.

Son sourire me réconforte quelque peu alors qu'elle m'aide à me relever.

— Merci beaucoup.

— Je n'allais pas te laisser en plan alors que nous avions prévu de manger ensemble.

Elle me soutient jusqu'au bout du couloir et son comportement me sidère tant que j'en oublierai presque ma douleur. Presque. Nous débouchons sur les nuages comestibles si envahissants qu'il faut maintenant les pousser pour avancer.

— Ce passage est une véritable angoisse. Surtout ne t'avise jamais d'en goûter un. Tu ne t'en releverais pas.

— Qui voudrait s'y tenter ?

— Oh, crois-moi, beaucoup s'y tente, sinon ils ne seraient pas si gros.

J'ai dû mal à saisir pourquoi quelqu'un voudrait manger un bout de barbe à papa qui ne colle pas. C'est tout l'intérêt de la barbe à papa. Mais maintenant que j'y pense, j'ai bien failli en goûter un. J'ai donc contribué à leur croissance. Mince.

— Ils ne vont quand même pas finir par nous bloquer le passage ?

— Ils continueront de gagner en masse tant qu'ils perdront des morceaux, donc d'ici quelques jours nous ne pourrons plus circuler.

— Et comment on fera ?

— Tu le sauras le moment venu, ne t'inquiète pas.

Plus facile à dire qu'à faire. Car j'ai intérêt à me trouver du bon côté quand le couloir sera entièrement obstrué.

— Attention où tu mets les pieds ! me retient March, d'une main. Les veines dévitalisées, ne les oublie pas.

— On explose si on marche dessus ?

— C'est à peu près ça, mais en pire. Tu vois l'épaisse rainure blanchâtre sur le marbre, juste ici ?

Je m'approche de la zone indiquée par March et hoche la tête en la décelant.

— Il y en a quatre. Une par joueur. Je te laisse donc imaginer la suite. Et fais également attention, car une cinquième se balade de temps à autre.

— C'est une blague ?

— Nous sommes dans The Viriginity Game. La villa où se déroule le jeu ne peut pas être ennuyeuse.

Encore sonnée par cette information, nous descendons les escaliers de verre et suivons la passerelle pointée par l'arc du démon cerf. Traversant la futaie de bambous, chatouillant le haut de la verrière, je repense à notre conversation des plus étranges et à une information capitale. March et February se connaissaient déjà avant que le jeu ne démarre. Sinon March n'aurait pas pu en savoir autant sur elle. Une nouvelle pièce s'ajoute donc au puzzle qui ne fait que s'élargir. Et mon pauvre cerveau a énormément de mal à suivre.

— Putain, March, je n'arrive pas à croire que tu ne l'aies pas tuée ! se réjouit une voix que je ne connais que trop bien.

Je lève les yeux vers August qui nous prend dans les bras, le sourire aux lèvres. Un sourire contagieux. Elle m'avait peut-être, un peu, beaucoup, manqué.

— August, lâche-moi, soupire March.

— Toujours aussi rabat joie à ce que je vois, boude August, en saisissant mon bras. Et moi qui me faisais une joie de faire un bout de chemin ensemble. Alors, Jay, je veux tout savoir, comment êtes-vous parvenu à marcher côte-à-côte ?

Seul mon silence lui répond, car je ne saurais même pas par où commencer.

— Allez, tu peux tout me dire. Absolument tout. N'omet rien.

Son enthousiasme me donne du baume au cœur, alors que nous traversons le couloir des jonquilles.

— Tu l'a mets mal à l'aise, laisse-la un peu respirer.

August, en véritable électron, me libère pour se jeter aussitôt sur March. Dont les paroles me renversent. Impossible de le croire et je ne suis pas la seule.

— Tu viens de prendre sa défense ou je rêve ?

— Tu rêves, maintenant avance, tu m'étouffes.

Fidèle à elle-même, August s'empare de nos bras respectifs et March la laisse faire. Moi aussi, et c'est bien la première fois que je n'ai pas envie de partir en courant.

Arrivées devant la porte de la cuisine, nous nous déshabillons et entrons. April, July et la belle asiatique discutent autour de la table en bois massif, regorgeant de nombreux plats dont l'odeur fraîche et herbacée m'enivre. Quand elles nous aperçoivent, elles se taisent immédiatement. Seule la belle asiatique, portant un sublime body vert avec des dragons rouges, se lève et nous salue avant de s'adresser à moi.

— June, ravie de te rencontrer. August m'a beaucoup parlé de toi. March aussi, mais pas de la même façon.

Je sers sa main délicate, non sans un peu trop fixer la fente ouverte entre ses seins qui descend jusqu'au bas de son ventre.

— Oh, euh, January, ravie de te rencontrer également, réponds-je maladroitement, légèrement intimidée. Enfin, tu le savais déjà.

Un gloussement lui échappe et il est loin d'être insultant. C'est tout le contraire. Je me tourne vers March dans l'attente d'une réflexion qui ne vient pas.

— Allons nous asseoir, je suis en forme aujourd'hui, déclare March, en s'installant.

Toutes attablées, les pions se dévisagent dans un silence particulièrement pesant. L'électricité survolte l'air, la haine plane et menace de se déverser sur nos têtes à la moindre étincelle. Que March allume d'un coup de feu.

— April, July, quel temps fait-il chez vous ? Toujours aussi pluvieux ou le soleil a-t-il fini par percer les nuages orageux et s'installer pour de bon maintenant votre alliance consolidée ? les interroge-t-elle, munie de son plus beau sourire narquois.

À ma grande surprise, les filles se concentrent sur leur assiette composée et ne répondent rien alors qu'elles n'avaient pas hésité avec August. March les effraie donc au point de perdre leur langue. Quand l'arrivée des joueurs, vêtus uniquement d'un caleçon, les sauve d'un silence embarrassant pour les jeter dans un bain de rubéfaction. Winter, Spring, Summer et Autumn nous dévorent des yeux et l'espace d'un instant j'oublie où je suis, avant de me rappeler à l'ordre.

— Putain, je bande, lâche Autumn alors qu'ils explosent tous de rire.

En véritables maîtres du plateau, les joueurs s'approchent de la table centrale. Winter se place sur le banc entre March et moi et tous mes globules rouges se glacent. Pitié, qu'il ne fasse rien devant les autres, supplié-je. Summer s'assoit entre August et July, Spring entre June et April et Autumn entre June et August. Nous sommes cernées et des haut-le-cœur soulèvent mes intestins.

— Alors, mesdemoiselles, comment se déroule votre séjour, avez-vous des doléances à partager ? demande Winter, en se servant une belle portion de taboulé.

Il attrape sa fourchette de la main gauche et en profite pour se faufiler sur ma cuisse avec la droite. Je manque de recracher mon lambeau de saumon fumé. Cependant, malgré l'absence d'irrigation de mes muscles, je l'intercepte avant qu'il n'aille plus loin et Winter retire ses abominables doigts quand March s'exclame :

— Je veux sortir ! L'initiation est terminée. Les Ignorantes ont tout compris, donc maintenant il est temps d'être autorisé à prendre l'air et profiter de la piscine.

Winter se tourne vers March qui existe de nouveau vu qu'ils ne se quittent pas des yeux. Ils se défient même du regard.

— Capitaine, vous êtes bien autoritaire. Avez-vous oublié qui sont les joueurs dans cette pièce ?

— Comment pourrais-je l'oublier ? Vous êtes épouvantablement inoubliables, riposte-t-elle.

Winter lâche sa fourchette et se jette sur March qui tombe à la renverse. Une électricité bien différente survolte maintenant l'air. Ils gloussent tel deux gamins allongés dans un champ main dans la main. Puis Winter l'invite à se relever comme s'il n'existait qu'elle, comme si la nuit dernière n'était qu'un songe lointain. Il lui murmure quelque chose à l'oreille et March acquiesce.

— La pool party débutera après le repas et personne n'a bien sûr l'autorisation de refuser l'invitation ! annonce-t-il fièrement, avant de s'éclipser avec March dans le garde-manger.

August, dont les yeux redescendent du ciel, lance la conversation sur la musique. L'atmosphère se détend, pas la poigne autour de mes couverts. Car avec un joueur en moins, il en reste trois. Et n'omettons pas les deux Ignorantes qui m'ont dans leur viseur depuis la disparition de March. Autant dire que mon estomac ne pourrait pas être plus noué. Cependant, comme la délicieuse moquette de notre chambre, tout n'est pas noir, mais d'un gris harmonieux. J'en apprends ainsi plus sur les goûts de chacun.

August adore l'électro sous toutes ses formes, June, les chansons d'amour et je parviens à exprimer mon goût pour les bandes sons. April déclare timidement qu'elle est accro au hard rock, July murmure qu'elle ne jure que par la musique classique. Spring, totalement désintéressé, indique tout de même qu'il aime le rap et le R&B, Autumn, en plein service, préfère l'électro rétro et Summer sifflote les airs de musique latine pour lesquels il vit.

Le temps passe et August et June, d'une douceur apaisante, m'occupent et me distraient du reste. Le repas se termine donc sans encombre et je m'apprête à débarrasser les assiettes creuses quand Spring m'arrête.

— Laisse, les majordomes s'en chargeront. Vous êtes nos pions, pas notre personnel de maison et nous avons une piscine à inaugurer.

Sa main chocolatée se pose sur mon bras et je le revois en train de coucher avec February. Une vague de frissons me parcourt et je m'enfuie à travers la baie vitrée de la cuisine sans demander mon reste.

August et June reposent déjà sur les transats rayés jaune et blanc, installés au bord de la piscine, prise entre la villa et la forêt luxuriante. A ma gauche, la plage de sable fin, accessible par des escaliers en pierre condamnés, se jette dans une mer bien calme aujourd'hui, comparé à hier. A ma droite, s'érige une cascade rocheuse. Me voilà donc de nouveau piégée. Piégée en maillot, encerclée par des filles et pire des hommes. Et je n'ai pas la moindre idée de où aller, de comment me comporter, quoi dire ou quoi faire. Le moteur s'affole et tombe en panne.

— Jay ! m'interpelle alors une voix flambante qui rallume les batteries. Tu viens t'asseoir avec nous ?

— Avec plaisir !

Incapable de la remercier, c'est tout ce qui sort de ma bouche que j'ai quand même bien fait de ne pas coudre. Elle pourrait encore te servir ou te desservir, raille la voix de ma conscience, bien en joie. Je prends place sur le transat le plus excentré et sirote le cocktail à mes côtés.

— Combien paries-tu qu'elle ne sort pas encore avant au moins un quart d'heure ? lance August.

— Vingt balles que Winter apparaît d'ici dix minutes ! suit June.

— Dix minutes ? Tu ne le sous-estime pas un peu là ?

— C'est toi qui sous-estime March, s'esclaffe-t-elle.

— On verra bien qui rira le dernier ! Et toi, Jay, tu veux parier ?

Je secoue la tête et elles respectent mon choix sans jugement. Elles reprennent leur conversation que je n'écoute plus, j'observe plutôt la fête qui bat son plein. Le champagne coule à flot et les cocktails plus colorés les uns que les autres défilent sur des plateaux d'argent, de rose, d'or et de cuivre, portés par les majordomes qui se fondent dans le paysage comme des ombres dansantes.

April et July enchaînent les verres et terminent par se déhancher sur le bord de la piscine. Le temps se trouve particulièrement ensoleillé chez elles aujourd'hui. Surtout en l'absence de March qui n'est toujours pas revenue avec Winter.

Summer enlève June et August en leur ordonnant de danser avec lui. Il ne m'épargne pas son immonde sourire, mais ne m'oblige pas à les accompagner, heureusement. Deux filles se tiennent au-dessus d'Autumn en plein extase sur son transat et Spring enfonce son visage dans la poitrine d'une autre. Ils sont tous bien occupés. Si je m'éclipsais maintenant, personne ne le remarquerait avant un bon moment.

La forêt m'appelle. De ce que j'ai aperçu du toit, elle s'étend à perte de vue. Je peux donc m'élancer à tout moment, aucun obstacle n'est là pour me retenir. Mais, et ensuite ? Je construis un radeau et espère tomber sur un bateau qui me ramène chez moi ? Il suffit de trouver du bois et de l'attacher, mais mon maillot de bain est dépourvu de ficelle. Le tissu relie la culotte taille haute au haut, en dévoilant mon ventre du côté droit, sans toutefois se détacher et je n'ai rien qu'une paille pour le découper.

Malgré tout, m'enfuir par la forêt demeure une possibilité. Cependant, elle nécessite des préparations ou seul le naufrage m'attend. Et finir perdue dans les tréfonds de l'océan ne fait pas encore partie de mes plans. Plans desquels un cri perçant m'extirpe soudainement. Que se passe-t-il encore ?

Continue Reading

You'll Also Like

9K 405 46
Une jeune fille âge de 17ans vie une vie assez mouvementée à cause de ses frères et son père qui lui va lui imposé un mariage forcé Sa vie vien...
7.2K 354 19
"- Une vie ?! Dit-je sur un ton agressif. C'EST UNE VIE QUE J'AI LA ?! - Répète un peu ça ?! Je te regrette énormément ! J'aurais du choisir un de t'...
1.5K 396 48
L'humanité perdit deux fois. Elle perdit une première fois il y a 5000 ans, lorsque les démons envahirent le monde via les Treize Portes . Massacrant...
1.5K 103 9
Isabella Laguerra, la fille du Docteur, est une personne très respectée. Froide, insensible, charmante et imprévisible, telle était la façon dont ell...