Nos coeurs entaillés

By ElodiePignoux

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Plongée au coeur de son avant dernier semestre d'une licence de psychologie, Anna se retrouve bloquée à cause... More

Petite dedicace aux lecteurs 🫶🏻
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3 (Flashback)
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Épilogue
Remerciements

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By ElodiePignoux

Aujourd'hui est un des jours que je redoute le plus au monde: retourner à Tours pour voir ma mère. Je sais d'avance que ce sera terriblement gênant et qu'il y a 98% de chance que ça se passe mal en l'espace de quelques heures.

Je me rends à la gare vingt minutes avant le départ de mon train. J'arriverai dans ma ville d'enfance un peu après le repas du midi et partirai en fin de journée, vers dix-huit heures. Ma mère voulait que je reste un peu plus mais je lui ai bien fait comprendre que j'avais un emploi du temps chargé à partir de demain et que je voulais me reposer avant tout. Elle m'a engueulée, mais elle a fini par comprendre, du moins je crois.

Je m'installe dans le sens de la route et sors mes écouteurs ainsi que mon ordinateur pour travailler durant le trajet. Après trente minutes de trajet, je tombe de fatigue et décide de faire une sieste pour avoir le plus d'énergie possible afin de survivre aux prochaines heures qui m'attendent.

Une fois arrivée à la gare de Tours, je prends le temps de me balader au bord de l'eau avant d'aller dans la maison du diable. Mon téléphone sonne et je sais déjà qui c'est. Je décroche.

— Anna ?
— Oui, maman. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Tu es arrivée ?
— Oui.
— Pourquoi tu n'es pas encore à la maison, alors ?
— Je me balade un peu, j'arrive bientôt.
— D'accord, ne tarde pas trop, déjà que tu ne viens pas longtemps.

Bim. Première pique lancée parmi la longue liste qui m'attend.

— Oui, je rentre bientôt.
— D'accord, à tout de suite, bisous.
— Ouais.

Puis je raccroche.

Je ne l'ai même pas encore vue mais je suis déjà épuisée mentalement et de mauvaise humeur à l'idée d'y aller. Mais bon... mieux vaut faire semblant pour ne pas m'attirer les foudres de ma mère.

Quand j'arrive, elle m'accueille avec un grand sourire. Quelle hypocrisie. J'avais complètement oublié cette partie-là d'elle. Je ne sais pas comment j'ai pu.

— Coucou ma puce ! lance-t-elle d'une voix si peu naturelle.
— Salut, répondisréponds-je d'un ton un peu froid.

Je sens sa forte odeur quand elle s'approche de moi et devine rapidement qu'elle a bu. Evidemment qu'elle est bourrée. Elle n'aurait pas été capable de s'empêcher de boire le seul jour où je viens après une longue absence.

— Toujours aussi aimable à ce que je vois.

Bim, deuxième pique.

— Je suis fatiguée, c'est tout. Je n'ai pas le droit de l'être ?
— Tu m'insupportes. Allez, rentre donc.

Elle passe devant et je rentre après elle. La maison est étonnamment propre pour une fois. C'est peut-être le seul effort qu'elle a fait pour ma venue.

— J'ai rangé parce que ce soir j'ai quelqu'un qui vient à la maison.

Aïe. Moi qui pensait que c'était pour moi, je me suis encore trompée à son sujet.

— C'est qui ?
— Quelqu'un que j'aime bien.

Je rassemble toute la bonne volonté que j'ai en moi pour ne pas exploser de rire. Elle ? Aimer quelqu'un ? Alors qu'elle n'est même pas foutue d'aimer sa propre fille ? Quelle ironie, et quel culot surtout.

Je commence à regretter silencieusement d'avoir fait le déplacement et de ne pas avoir trouvé d'excuse pour rester chez moi et voir Théo à la place. Heureusement qu'on se voit ce soir, lui et moi.

On a beaucoup parlé ces derniers jours. Il ne parle pas souvent de lui et évite souvent les questions que je peux lui poser à son sujet mais je ne peux rien dire puisque je fais la même chose. En revanche, on parle beaucoup de sociologie, de psychologie et j'aime constater qu'on est tous les deux très curieux sur la vie et le monde qui nous entoure en général. Je sais que c'est encore tôt, mais je crois qu'il me plaît bien. Je ne pense pas avoir déjà des sentiments ou quoi que ce soit, mais ce qui est sûr, c'est que je passe vraiment de bons moments à parler et rire avec lui. J'ai hâte de le revoir.

— Tu m'écoutes ?

La voix de ma mère me tire de mes pensées.

— Oui, pardon. Tu disais quoi ?
— Je te demandais comment se passait la fac.
— Euh, très bien.
— C'est tout ?

Je souffle intérieurement avant de lui répondre ce qu'elle a envie d'entendre.

— Ça va très bien. J'ai de bonnes notes, j'aime mes cours et les comprends. J'ai juste un projet de groupe à faire avec un ami mais on est bloqué.
— Pourquoi ?
— On doit trouver un cas clinique pour notre projet mais on n'en a pas.
— Moi, je peux peut-être aider.

Sa remarque me fait sourire. Ce serait bien une des rares fois où elle me serait utile, mais quand elle saura sur quoi le projet porte, je suis presque sûre que je vais m'en prendre une. Mais qui ne tente rien n'a rien, pas vrai ?

— C'est dans le cadre de notre cours sur les addictions et on a choisi de le faire sur l'alcoolisme. Donc oui, tu pourrais.

Même si je n'en ai pas envie, je prie tout au fond de moi pour qu'elle accepte parce que sinon, je ne sais pas comment nous allons faire avec Eliott.

— Ah oui... d'accord. Parce que je suis tellement une mauvaise mère que tu es obligée de faire ton truc sur moi.

Je ris jaune.

— Premièrement, je ne le fais pas sur TOI en particulier. Arrête d'être égocentrique pendant deux minutes, s'il te plaît. Deuxièmement, tu es la première à dire que tu n'es pas alcoolique, donc tu n'es tout simplement pas logique. Et dernièrement, on devait choisir une addiction et oui, c'est celle que je connais le mieux. Donc maintenant, accepte ou non, j'en ai rien à faire.

Un lourd silence s'installe entre nous. Je savais que la conversation allait tourner comme ça, c'est la même chose à chaque fois. Ne supportant plus ce jeu de rôle, je décide de me lever pour partir mais c'est à ce moment-là que ma mère décide de rompre ce silence.

— Je serai ton cas clinique, Anna. Ne pars pas maintenant, s'il te plait.

Dos à elle, j'expire tout l'air que je peux faire sortir de mon corps avant de me retourner. Je déteste quand elle me prend par les sentiments de cette manière. Elle ne sait faire que ça, manipuler émotionnellement les gens et profiter d'eux.

C'est pour ça que je vais profiter d'elle à mon tour pour mon projet.

— D'accord, dis-je en retournant m'asseoir sur ma chaise.
— Je vais devoir faire quoi ?
— Avec mon collègue, on va préparer une série de questions qu'on te posera concernant l'addiction et tu devras y répondre honnêtement et sincèrement.
— Ce sera quel genre de question ?
— Je ne sais pas, on en a pas encore parlé lui et moi. Il faudra aussi que tu fasses zéro mention du fait que tu es interviewée par ta fille, d'accord ?
— D'accord. Je ferai attention à ça.
— Super.

Je sais que c'est un peu paradoxal mais je n'aime pas quand ça se passe "bien" entre elle et moi. C'est ce genre de moment qui me donne l'espoir d'un jour avoir une relation normale avec ma mère, sans son alcoolisme, puis peu de temps après, tout redevient comme avant. Elle boit, m'insulte, me critique, me rabaisse et m'humilie. C'est un cercle vicieux.

Je sais également que je prends un énorme risque en l'incluant dans ce projet parce que la connaissant, à tout moment elle peut décider d'arrêter et me mettre dans la merde sans aucun scrupule. Je me dois de tenir au courant Eliott et il décidera s'il est prêt à prendre ce risque-là.

Ma mère se lève pour aller aux toilettes et je profite de ce temps-là pour prendre mon portable et envoyer un message à Théo.

Moi: Je suis arrivée chez ma mère. J'ai hâte de rentrer et d'être ce soir !

La réponse arrive quelques secondes après.

Théo: Super ! J'ai hâte aussi. On se posera chez moi ou pas ?

Je souris mais je n'ai pas le temps de répondre parce que ma mère revient au même moment. Elle me regarde d'un air suspicieux, je sais qu'elle a vu mon sourire.

— C'est cet ami qui te fait sourire ?
— Quoi ? Non ! C'est personne, c'est juste Louise.
— C'est personne ou c'est Louise ? Ce n'est pas la même chose.
— Louise. C'est tout.

Je ne sais même pas pourquoi je cherche à me justifier. D'autant plus que n'importe quelle information que je lui livre pourrait servir d'arme contre moi durant ses excès de colère.

— J'ai toujours cru à une époque que vous sortirez ensemble, toi et elle.

Je la regarde, amusée de sa remarque.

— Pardon ? Pourquoi ?
— Vous étiez toujours proches au lycée, et sûrement encore maintenant puisque vous vivez ensemble.
— Oui, d'accord, mais ça ne veut pas dire qu'on s'aime de cette manière. Je m'en fiche si deux personnes du même sexe s'aime, mais ça ne sera jamais plus que de l'amitié entre elle et moi.

Pourquoi est-ce que je me justifie autant ? Les fois où c'est arrivé ne m'ont pas servi de leçon ou quoi ?

— D'accord. Tu te justifies beaucoup pour si peu, mais bon.
— En même temps, ta remarque est un peu étrange. Ce n'est pas parce que deux filles sont proches qu'elles sont forcément attirées l'une par l'autre.
— Non, c'est sûr. Mais vous aviez toutes les deux un style de garçon manqué au lycée, donc ça pouvait porter à confusion.

Sa façon de penser me choque, mais venant de sa part, ça ne m'étonne pas vraiment. Je ne comprends pas pourquoi, sous prétexte que je m'habillais comme un garçon, j'aime forcément les filles. Et puis, ça veut dire quoi s'habiller comme un garçon ? J'aimerais juste pouvoir m'habiller comme j'en ai envie et comme j'aime, sans être caractérisée comme "féminine" ou "garçon manqué". Ce dernier est d'ailleurs un terme que je supporte de moins en moins au fil du temps.

— N'importe quoi.
— Oui, allez, on ne peut jamais rien dire avec toi de toute manière.

Bim. Une troisième pique.

— Si tu le dis...
— Revenons-en à ton projet plutôt, tiens, toi qui as tant de choses à dire.

Et voilà, une quatrième pique.

— Tu vas devoir venir ici plus souvent ou ce sera à distance ?
— Non, je vais devoir venir. Une fois par semaine, je pense. J'augmenterai selon comment on avance avec mon partenaire.
— Lui aussi, il viendra ?
— Non, réponds-je, sèchement.
— Pourquoi ? Ce n'est pas un travail à deux ?
— Si, mais il ne sera pas disponible, c'est tout.
— Ou alors c'est parce que tu as trop honte de ta mère, mauvaise que je suis.

Et encore une, quel plaisir...

Je regarde discrètement ma montre et constate qu'il me reste encore deux heures à tenir dans cette situation. Bordel...

— Je rigole, ne panique pas, tente-t-elle en remarquant mon silence.
— Je ne panique pas, j'en ai juste marre de venir ici et de m'en prendre plein la gueule à la moindre petite chose que je fais ou ne fais pas.
— Et moi j'en ai marre que tu te places tout le temps en position de victime parce que sans moi, tu n'aurais rien eu en grandissant.

C'est vrai, sans elle, je n'aurais pas eu tous les traumatismes qu'elle m'a causés et sans elle je ne serais peut-être pas obligée de m'endormir tous les soirs avec de la musique dans mes oreilles. Ça ne serait peut-être pas plus mal finalement, la vie sans elle.

Je sais qu'on dit souvent qu'on ne peut pas penser à ce genre de chose vis-à-vis de sa famille, parce que les liens du sang, c'est sacré et tout le baratin mais je ne suis pas d'accord. Je ne vois pas pourquoi sous prétexte qu'on partage ce lien, on devrait tout pardonner aux membres de notre famille, au dépend de tout le mal qu'ils nous font. Si quelqu'un nous fait souffrir à un point de non retour, qu'il soit notre amoureux, amoureuse, ami, amie, frère, sœur, parent ou tout autre personne, nous sommes en droit de couper les ponts avec pour notre propre bien, pour notre santé mentale, que ça plaise ou non. Mais je me retiens de lui dire tout ça. À la place, je réponds simplement:

— Tu sais quoi, je vais partir plus tôt que prévu et on se reverra la semaine prochaine.

Je me lève sans lui laisser le temps de répondre et me dirige vers la porte.

— Je suis désolée...

C'est toujours la même chose avec elle... Elle paraît tellement sincère mais je sais qu'au fond elle ne l'est pas vraiment.

— Oui, comme toujours, mais il n'y a jamais rien qui change. Tâche au moins de ne pas boire pour la semaine prochaine, lâche-je froidement avant de claquer la porte.

Je m'attends d'abord à ce qu'elle me suive dehors mais rien, ce qui est d'un côté un soulagement.

Je n'ai aucune idée de ce que je vais faire durant le temps qu'il me reste à Tours avant de repartir, mais tout est mieux comparé à être chez ma mère. Je décide de me poser à un café et de lire jusqu'à mon départ.

***
Hello ! Voici le nouveau chapitre (avec du retard, encore désolée !)
On rencontre physiquement la mère d'Anna dans celui-ci, qu'en pensez-vous ?
N'hésite pas à donner votre avis en commentaire, aimer et partager !

On se retrouve mercredi 18h pour la suite
Love.❤️‍🩹

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