Remerciement à FanSALTLTRRtr09 et à RoseBreart pour leurs commentaires, ainsi qu'à tous ceux ayant voté.
Sur ce, une entrevue intéressante. Bonne lecture !
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« la culture permet à l'homme d'agir avec un gain d'effort et de temps. La culture libère le corps de l'esclavage du travail, elle le dispose à la contemplation. »
Umberto Eco
- « Quand l'amour à vos yeux offre un choix agréable, jeunes beautés laissez-vous enflammer : moquez-vous d'affecter cet orgueil indomptable, dont on vous dit qu'il est beau de s'armer : dans l'âge où l'on est aimable rien n'est si beau que d'aimer. Soupirez librement pour un amant fidèle, et bravez ceux qui voudraient vous blâmer ; un cœur tendre est aimable, et le nom de cruelle n'est pas un nom à se faire estimer : dans le temps où l'on est belle, rien n'est si beau que d'aimer. »*
La Princesse d'Élide est l'une des pièces de théâtre préférées d'Isabelle, laquelle a décidé que les enfants avaient bien besoin de distraction après trois jours d'apprentissage des langues étrangères. Louis-Auguste a particulièrement progressé en anglais et en espagnol. Louise Françoise et Louise Marie Anne ont chacune leur idiome fort. Quant à Louis-César, sa préférence se porte sur la seconde langue, dont il glorifie la maîtrise de sa gouvernante bien-aimée.
En tout et pour tout, leur éducation s'est déroulée de la meilleure façon qui soit pendant ces trois premiers jours. L'espérance de la bonne satisfaction du roi est plutôt haute pour la comtesse qui alterne entre les rôles de la Princesse, Aglante et Cynthie.
LA PRINCESSE
Oui, j'aime à demeurer dans ces paisibles lieux,
On n'y découvre rien qui n'enchante les yeux,
Et de tous nos palais la savante structure
330 Cède aux simples beautés qu'y forme la nature :
Ces arbres, ces rochers, cette eau, ces gazons frais
Ont pour moi des appas à ne lasser jamais.
AGLANTE
Je chéris comme vous ces retraites tranquilles
Où l'on se vient sauver de l'embarras des villes;
335 De mille objets charmants ces lieux sont embellis,
Et ce qui doit surprendre, est qu'aux portes d'Elis
La douce passion de fuir la multitude
Rencontre une si belle, et vaste solitude :
Mais à vous dire vrai dans ces jours éclatants
340 Vos retraites ici me semblent hors de temps,
Et c'est fort maltraiter l'appareil magnifique
Que chaque prince a fait pour la fête publique :
Ce spectacle pompeux de la course des chars
Devrait bien mériter l'honneur de vos regards.
LA PRINCESSE
345 Quel droit ont-ils chacun d'y vouloir ma présence,
Et que dois-je après tout à leur magnificence ?
Ce sont soins que produit l'ardeur de m'acquérir,
Et mon cœur est le prix qu'ils veulent tous courir :
Mais quelque espoir qui flatte un projet de la sorte
350 Je me tromperai fort si pas un d'eux l'emporte.
CYNTHIE
Jusques à quand ce cœur veut-il s'effaroucher
Des innocents desseins qu'on a de le toucher ?
Et regarder les soins que pour vous on se donne
Comme autant d'attentats contre votre personne ?
355 Je sais qu'en défendant le parti de l'amour
On s'expose chez vous à faire mal sa cour :
Mais ce que par le sang j'ai l'honneur de vous être
S'oppose aux duretés que vous faites paraître,
Isabelle n'a point le temps de continuer. Une voix doucement grave et mature derrière elle prend le relais, la faisant se raidir à son entente familière, quand bien même elle ne l'a pas entendu depuis trois jours.
- « Et je ne puis nourrir d'un flatteur entretien vos résolutions de n'aimer jamais rien. Est-il rien de plus beau que l'innocente flamme qu'un mérite éclatant allume dans une âme ? Et serait-ce un bonheur de respirer le jour si d'entre les mortels on bannissait l'amour ? Non, non tous les plaisirs se goûtent à le suivre, et vivre sans aimer n'est pas proprement vivre. »
- Père !
Mesdemoiselles de Tours et de Nantes sautent du canapé où elles sont assises pour se précipiter dans les bras grand ouverts du monarque. Le duc du Maine les suit avec quelques peu de difficulté, sans pourtant être soustrait à l'affection de son paternel.
Passée sa stupéfaction, Madame de Langlois sourit légèrement et soulève contre elle le comte de Vexin. Elle ne comprend tout d'abord pas pour quelle raison la prise de celui-ci sur son cou est plus serrée que d'ordinaire. Jusqu'à ce qu'elle se retourne pour constater la présence de Madame de Montespan. Elle ne manque nullement l'expression, affichée pourtant avec subtilité, sur le visage blanc de cette dernière. Une expression traduisant un mépris auquel il est impossible de s'y tromper. Un mépris qui lui est destiné.
Que cela signifie-t-il ? Les deux femmes ne s'étaient trouvées face à face qu'une seule fois, il n'y a donc aucune raison valable pour qu'elle la déteste. À moins que ce ne soit la vue d'une autre portant son enfant dans ses bras ? Elle n'est toutefois pas sans savoir que Louis-César est atteint de déformations conséquentes de sa colonne vertébrale et qu'il ne peut se déplacer seul. Et sachant qu'elle n'est pas dotée d'un quelconque instinct maternel, que cela lui importe-t-il ? Elle ne peut pas non plus avoir réalisé le début de passion que son amant éprouve, si ?
La comtesse de Vauboyen se garde nonobstant bien de trahir son sentiment de confusion face à cette soudaine animosité. Sa face neutre ne laisse rien paraître lorsqu'elle s'approche de la petite famille, se concentrant uniquement de donner le comte de Vexin à son père avant de s'incliner dans une révérence muette. Le roi porte ensuite toute son attention sur elle, parlant d'une voix calme et posée.
- Je suis ravie de contempler, Madame, l'esprit cultivé que vous possédez. Ceci suffit à me rassurer que mes petits anges sont entre de bonnes mains. J'affectionne beaucoup cette œuvre de Molière, comme j'imagine que cela est votre cas ?
- La Princesse d'Élide est un joyaux littéraire qui me tient particulièrement à cœur, votre Majesté. J'ai pensé instruire les enfants avec de la littérature française, après celles d'Angleterre et d'Espagne.
La fratrie royale s'empresse aussitôt à ces mots de faire l'éloge de leur gouvernante, clamant ses progrès foudroyants et témoignant fermement de son plaisir de l'instruction avec elle.
Le souverain conduit finalement tout le monde au jardin pour profiter du soleil. Louise Françoise et Louise Marie Anne ne perdent pas une minute à s'éloigner de leur mère, à supposer qu'on puisse l'appeler ainsi. Louis-Auguste et Louis-César n'ont, pour leur infortune, pas d'autres choix que de rester avec elle sur la nappe étalée sur l'herbe.
Isabelle n'a pas le loisir de les soulager de la présence de cette insupportable femme. Louis la convie à faire une promenade au milieu des allées fleuries. Ils auront ainsi la tranquillité nécessaire pour dialoguer sans être perturbés. La principale concernée ne se fait néanmoins pas d'illusions sur le fait que cette initiative ne plaît guère à la marquise de Montespan, laquelle ne s'est pas déridée depuis tout à l'heure. Pour ce qui est du souverain, en revanche...
Cela fait déjà quelques minutes que le couple marche dans le calme le plus complet. Madame de Langlois jette de temps en temps des œillades à dérobé en direction de son compagnon. Si elle escomptait déceler une trace quelle qu'elle soit de sa pensée, elle n'en trouve aucune. En effet, qui pouvait se vanter de savoir ce qu'il pensait réellement ? Il était passé maître dans l'art du contrôle de soi au fil de ses longues années de règne, on ne pouvait lire dans son esprit si facilement, voir même point du tout et il savait parfaitement générer des illusions.
S'il porte en ce moment-même un masque devant elle, la comtesse doit admettre que cette mesure de sa part ne l'enchante absolument pas. Ils ne sont pas à la cour ici, et elle n'est pas l'une de ces courtisanes intrigantes. Quel besoin de se dissimuler ? Ne lui avait-elle pas déjà prouvé son honnêteté par les mots dans sa lettre de réponse à sa demande ? S'il éprouve un tant soit peu de penchant pour elle, pourquoi n'est-il pas franc lui-aussi ?
Elle se maudit soudain de faire preuve d'autant de stupidité. Évidemment, il est un roi ! Il se doit d'avoir en toutes circonstances une attitude composée et de tenir son rang. À quoi s'attendait-elle ? Elle se prend néanmoins à l'observer plus en détails.
Que Dieu lui pardonne, mais quel bel homme !
La prestance, l'élégance, le charme. Une grâce et une majesté incroyable. Ce n'est point parce qu'il est le Roi Soleil qu'Isabelle le trouve être en cet instant l'une des plus belles choses en ce monde.
Il fait halte, la forçant à s'arrêter, puis se tourne vers elle.
- À présent, nous sommes à l'abri des oreilles indiscrètes. Je ne suis point venu uniquement pour rendre visite à mes enfants, je voulais également m'enquérir de votre état moral, Madame. Avez-vous pu recouvrer un peu de contentement durant ces quatre jours auprès d'eux ?
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Notes de fin de chapitre :
1*: « La Princesse d'Élide », 1664, Molière
Voici une première interaction en bonne et due forme entre Louis et Isabelle, laquelle a pour le moment du mal à savoir comment se comporter, plus encore en découvrant l'hostilité de la Montespan (chose attendue, on ne va pas le nier). Comme dit dans les précédents chapitre, ce n'est que le début d'une longue intrigue.
La suite de la conversation entre nos deux protagonistes la semaine prochaine !