Aiguilles de douleur

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Cette fois, il nota qu'elle perdit son assurance et devint livide, mais sous les doigts de l'immortel, l'épaule de Hongmei frémit légèrement.

Qianbing dirigea son attention vers son aîné à l'expression passablement contrariée, puis s'adressa à son élève afin de remuer le couteau dans la plaie de l'héritière en titre :

— Ma disciple, saurais-tu nous présenter les faiblesses de cette démonstration ?

La jeune femme se raidit, pourtant sa voix s'éleva, claire et détachée.

— Comme vous voudrez, maître.

Cependant, il nota qu'elle choisit ses mots avec la plus grande prudence et économie.

— Son Altesse aurait pu jeter les trois sorts en trois secondes, mais elle a tout fait lentement.

Il acquiesça, satisfait de constater que Hongmei avait été attentive et observatrice. Toutefois, peut-être l'était-elle par réflexe en présence de sa sœur ? Il se rappelait qu'elle savait anticiper les mouvements de ses interlocuteurs pour mieux leur échapper.

— Correct. Mais pourquoi ? Était-ce dû à un défaut de maîtrise ?

— Non. C'était pour vous impressionner.

— Pourquoi vouloir me démontrer son niveau de technique ? l'interrogeait-il toujours aussi calmement.

Elle se détendait enfin, nota-t-il. La neutralité et le calme olympien qu'il adoptait la rassuraient comme prévu. Toutefois, les mots refusaient de franchir les lèvres de son apprentie.

— Parle, l'encouragea-t-il d'une voix forte afin que Lanyue comprenne qu'il l'y forçait.

— C'est la future reine, et vous êtes le meilleur immortel du Mont Zuanshi. Elle devrait être votre élève, pas moi : je n'ai aucune importance pour le royaume.

— Le premier disciple doit être le mentor de la première princesse, répliqua son maître. Cette logique est juste. Qu'est-ce qui motive la princesse héritière à penser autrement ?

— L'orgueil, lâcha-t-elle.

Et parce qu'il était orgueilleux, il fut répugné par ce point commun avec Lanyue.

— Correct. « Prouver sa supériorité est une perte de temps. L'orgueil est improductif. Or, ce qui est improductif est insignifiant aux yeux du véritable disciple de la Voie du Diamant. »

La citation tirée de la doctrine de la Voie fut comme une tempête de neige pour la princesse qui frémit de tout son corps. Tête haute, elle porta un regard plein de défi vers Zhu Qianbing, mais garda le silence.

Qianbing se tourna vers son condisciple pour exposer ses conclusions sans pitié.

— La méthode de la princesse Lanyue est souillée par l'orgueil. C'est pour cela qu'elle a futilement usé de cinq secondes au lieu des trois nécessaires à l'incantation de ces sorts. C'est aussi pour cela qu'elle a visé mon apprentie. Ce n'est pas l'efficacité prônée par la Voie du Diamant. Cette attitude indigne d'une future reine est dangereuse pour le royaume.

— La Reine en sera informée, affirma Shidai qui foudroyait en catimini son élève du regard. Lanyue, ta déplorable performance mérite une sanction.

— Tel maître, telle élève, osa lancer la princesse d'un ton sec.

Le regard noir plein de menaces qu'adressa la princesse à Shidai surprit Qianbing. Il devinait un non-dit d'une importance cruciale, mais quel était-il ?

— Très juste, répliqua son condisciple. Aussi vais-je assumer la responsabilité de mon enseignement douteux.

Devant l'immortel, Hongmei eut un bref mouvement de recul qu'elle interrompit d'elle-même lorsque sa sœur tourna ce regard meurtrier vers elle.

— C'est terminé. Lanyue s'est trahie. Si ce n'est quant à son amour, c'est par son orgueil et la Reine sera forcée d'en accepter les conséquences, annonça Qianbing lorsque le triste duo fut hors de vue.

— Vous en êtes sûr ? chuchota-t-elle.

— Oui. C'est le résultat que Shidai et moi voulions obtenir avec cette démonstration.

Pourtant, Hongmei se retourna pour lui faire face et lâcha un ricanement aussi sec que des éclats de glace.

— Vous êtes trop bête, maître Bing, lui jeta-t-elle en secouant la tête. Vous n'avez rien compris.

Cette réponse au comble de l'effronterie alerta l'immortel autant que les frémissements dans la voix de la jeune femme. Il la dévisagea effectivement sans comprendre. Pourquoi tremblait-elle des pieds à la tête ?

Puis, il eut peur.

— Pourquoi dis-tu cela ? Crains-tu ses représailles ? s'inquiéta-t-il.

Sans répondre, Mei lui adressa un regard dégoûté avant de tourner les talons. Il voulut la retenir par les épaules et mal lui en prit !

— Lâchez-moi ! gronda-t-elle tout bas en étant aussi raide qu'une statue.

— C'est lamentable, constata-t-il.

Bien sûr, il ne parlait pas de Mei, mais des conséquences qu'avait sur elle l'égarement de Lanyue. Il comprit qu'il serait inutile de raisonner son élève en prise avec son instinct de survie et pour cette fois la laissa filer avec Sijin.

Il la suivit du regard tout en s'interrogeant tandis qu'elle quittait d'un bon pas les quartiers de la princesse héritière. Qu'avait-il manqué ? Leur but était atteint. Restait à le confirmer et empêcher la Reine de protéger son héritière. Quant à l'éducation de Lanyue, elle était à refaire le plus tôt possible.

Vers la fin des heures de veille, grâce à Sijin, l'exorciste trouva la Dame Auguste endormie, la tête sur les genoux de la deuxième princesse.

Heiling esquissa un sourire poli à Qianbing lorsqu'elle lui permit d'entrer dans son antichambre et resta silencieuse jusqu'à ce qu'il fût agenouillé face à elle. Les doigts osseux de la jeune femme lissaient la chevelure blanche de Hongmei avec une extrême délicatesse.

Qianbing se demanda pourquoi elle se tenait à l'écart du conflit. Quoique la plus discrète, elle avait été la plus avisée envers la petite Mei. Afin que sa petite sœur fût difficile à posséder pour un fantôme, son enseignement des principes de base de la Voie avait doté la fillette de cette remarquable maîtrise d'elle-même. Un aplomb qui lui avait par la suite permis de survivre face aux maltraitances d'une Lanyue transformée.

— La Reine a bien entendu votre avertissement, lui annonça-t-elle de sa voix fluette. Lanyue a été sanctionnée.

Il acquiesça.

— Mère m'a chargée de veiller secrètement sur la Dame Auguste pour les prochaines nuits et de témoigner des agissements de notre sœur.

Qianbing était satisfait de constater que la Reine ne protégeait plus son héritière corrompue, pourtant, il n'était toujours pas rassuré.

— Il est en effet primordial que la princesse héritière revienne dans la Voie.

Après avoir salué la deuxième princesse, il souleva Mei dans ses bras malgré la brève résistance de Heiling.

— Merci, Zhu Qianbing, chuchota-t-elle.

Il ne dit rien et la porta jusqu'à leur pavillon.

Il restait la question du responsable des fantômes lancés aux trousses de sa disciple.

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Where stories live. Discover now