La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1

Les fiançailles

Depuis un mois, sa petite Mei assumait seule la responsabilité de ses actes cependant que Wu Zhihaho le remplaçait auprès de la sœur aînée.

Cette nuit encore, il entendit la fillette entrer dans ses appartements et s'approcher du lit où il méditait. Elle déposa un bol près de lui. Sans doute un sorbet de fleurs de pêcher.

En effet, Qianbing était devenu aveugle seulement quelques heures après l'attaque. La dague de gel noire de Mei avait presque entièrement siphonné son énergie vitale. Il n'avait survécu que de justesse et sa récupération serait longue. Dans son malheur, au moins son élève s'occupait-elle de lui durant sa convalescence. Elle avait eu tout le temps pour réfléchir à ce qu'elle avait fait et avait juré sur la cithare divine de ne plus jamais frapper qui que ce soit sous aucun prétexte.

Même pas la légitime défense. Il retint un soupir à ce souvenir. Sa petite Mei ne connaissait pas la modération. C'était toujours tout ou rien avec elle. Il avait beau tenter de la convaincre du contraire, elle avait refusé d'en démordre. Il craignait qu'elle prît peur d'elle-même et, peut-être, commençait-elle même à adhérer à la Voie du Diamant...

— Petite Mei, l'appela-t-il tout bas lorsqu'il sentit la cuillère parfumée de pêche s'approcher de ses lèvres.

Le mouvement cessa, mais elle ne répondit pas et il l'entendit reposer le bol. Depuis cette promesse, en sa présence elle s'opposait à tout dialogue à ce sujet par un silence borné. Peut-être parlerait-elle à An Guang ? Il devait rapidement retrouver suffisamment d'énergie vitale pour permettre cette métamorphose et la réconforter. Il soupira doucement.

— Nous avons assez perdu de temps : je dois m'entretenir avec Lanyue. Amène-la-moi.

Elle obéit sans bruit et, quelques minutes plus tard, il perçut les pas de trois personnes. Bien sûr, Sijin n'était jamais loin quand il s'agissait de la première princesse.

Froidement, l'immortel congédia ses plus jeunes disciples afin de s'entretenir seul avec Lanyue.

— Comment vous sentez-vous ? s'enquit-elle d'une voix douce en s'asseyant près de lui, sur le rebord du lit.

Qianbing soupira une fois de plus. Comment il se sentait ? Physiquement, très mal. Moralement, encore pire :

Est-ce que Lanyue avait seulement conscience de ce qu'elle et lui, ce que cet amour unilatéral et source de ses frustrations avait créé chez Hongmei ? Était-ce cette menace que Leng Shidai avait prévue ?

Est-ce que Zhihaho avait raison ? Devaient-ils tuer Hongmei pour protéger le royaume ?

Dans son état, allait-il être capable, allait-il avoir le temps de rendre caduque la prophétie de son ancien condisciple ou bien luttait-il contre l'inexorable ?

Tous ces doutes tournaient en rond dans son esprit au point de le rendre presque fou et gêner sa méditation. Cela ralentissait la culture de son énergie vitale et, par conséquent, sa guérison.

Peu importe. Tant qu'il vivrait, il devait essayer, car personne d'autre ne prendrait le risque. Il devait trop à cette enfant. Bien trop. Il ne la laisserait pas devenir la vengeance de Leng Shidai comme ce dernier s'en était vanté au moment d'être banni.

— Lanyue... Pour enfin répondre à ta question, Jing invite la famille royale de Jian afin de convenir d'une alliance par ton mariage avec le prince héritier, Huo Changsheng, finit-il par annoncer.

— Quoi ? souffla-t-elle, ahurie.

— Ainsi le royaume de Jing pourra survivre en profitant d'échanges commerciaux avec Jian, continua-t-il insensiblement. Leurs produits de chasse et de cueillette sur les Terres de l'Au-Delà, ainsi que leur artisanat permettront de nourrir et vêtir le peuple en attendant que tu sois capable de régenter le royaume jusqu'au couronnement de Mei.

— Mais Jing n'a rien à offrir en échange ! tenta-t-elle d'opposer.

— Jing est une terre de magiciens et d'exorcistes. Nous savons neutraliser les fantômes, les monstres et les démons et nous prévenir de leurs attaques. Tandis que le royaume de Jian perd beaucoup d'hommes à chacun de ces raids puisqu'ils sont à leur merci. Des exorcistes de Jing leur seront un soutien considérable, donc leurs excursions seront plus fructueuses. Cette alliance profitera à nos deux pays.

Il fit la grimace lorsqu'elle explosa dans un cri :

— Les hommes de Jian sont des barbares ! Ils se marient à plusieurs femmes qui ne sont que des pondeuses à leurs yeux ! Notre royaume interdit cela ! Si j'épouse le prince de Jian, il restera sur son île, moi sur la mienne ! Le Mont Zuanshi réclame le célibat ! Je ne pourrai jamais être votre apprentie !

C'était bien son principal but habilement dissimulé derrière les intérêts de Jing. Une fois mariée, elle devra faire une croix sur lui. Du moins, tant qu'il pourra faire durer cette union... mais une chose à la fois. Il devait d'abord la rassurer afin qu'elle acceptât et la motiver par là même à devenir une régente digne de ce nom...

— Lanyue, si tu souhaites écourter efficacement la durée de ce mariage et me rejoindre au Mont Zuanshi en tant qu'immortelle exorciste, tu devras te montrer rapidement apte à ranimer et entretenir les pêchers jusqu'au couronnement de Mei.

La princesse garda un moment le silence. Un peu trop longtemps au goût de Qianbing qui se retint de froncer les sourcils sous l'inquiétude et la contrariété.

— La nuit où je ranimerai les pêchers de l'immortalité sera celle où je divorcerai du prince de Jian. Une fois Hongmei couronnée à ses seize ans, je serai votre seule et unique disciple au Mont Zuanshi, c'est bien cela ? chercha-t-elle enfin confirmation.

— Certes.

— Très bien...

Il l'entendit s'agenouiller devant lui pour le saluer avec respect, mais la malveillance de son aura le frappa de plein fouet et il la congédia avec un soupir tendu.

— Tu peux retourner auprès de Zhihaho pour tes leçons de cette nuit.

Une fois qu'elle fut partie, il reprit saméditation avec diligence. Il devait assumer l'apparence d'An Guang au plusvite afin de contrecarrer ce que Lanyue pourrait avoir en tête !