La mélodie de la lune bleue

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Lorsque Hongmei rouvrit les yeux, un cri se coinça dans sa gorge : elle était de retour au palais, dans le pavillon oublié qui était le sien. Comment ? Pourquoi se trouvait-elle là ? Zhu Qianbing ?

— Hong'er ? l'appela une voix douce et claire d'adolescente dans un murmure discret.

« Hong'er » ? Sa famille anéantie par Zhu Qianbing, elle n'avait plus entendu ce diminutif depuis lors, mais elle n'avait pas le temps d'y réfléchir : les pas se rapprochaient. Elle se cacha derrière un pan de mur, s'accroupit, retint sa respiration et coula un regard vers la cour nue qui était son jardin.

Une adolescente et une petite fille entrèrent dans son champ de vision. La plus âgée qui était aussi la plus belle tenait une lanterne : une perle de lune fichée au bout d'un bâton de gel et qui réfléchissait le moindre rayon de lune. Le premier réflexe de Mei fut d'évaluer le danger : elle ne pourrait pas se dissimuler dans les coins sombres parsemant l'intérieur du pavillon à cause de ça !

Puis, elle arrondit les yeux, stupéfiée de reconnaître sa sœur adorée en cette douce et souriante jeune fille vêtue de rouge et d'allure sylphide. Les longs et soyeux cheveux noirs de Lanyue encadraient librement son beau visage poupon qu'ornaient des yeux en pétale de fleur de pêcher et des lèvres nacrées en forme de cœur. Elle était entourée de la cadette et de leurs mentors : Leng Shidai et Wu Zhihaho ! Mais que se passait-il ?

— Hong'er ? Où es-tu ? Sors de ta cachette !

Non ! Un piège ! C'était forcément un piège ! Une illusion ! Leng Shidai ne l'aurait pas deux fois !

— Où peut-elle bien être ? s'inquiéta la petite Heiling qui s'arrêta pour interroger leur sœur.

La deuxième princesse se tourna vers Zhihaho avec cet air à la fois sévère et inquiet qui la caractérisait.

— Maître, vous êtes bien sûr que sa nourrice s'est occupée d'elle cette nuit ? Et si...

— Allons, allons, Heiling, reprends-toi, l'interrompit Lanuye en déposant sa main libre sur l'épaule de la cadette.

Hongmei se souvenait vaguement à présent. C'était la nuit où elle avait rencontré ses sœurs et leurs professeurs pour la première fois, à l'âge de quatre ans. Lanyue en avait eu quatorze et Heiling dix.

Elle ne comprenait plus rien. Venait-elle de faire un bond dans le passé ? Était-elle morte et An Guang lui rendait-il ce qu'elle avait perdu ? Est-ce que ces deux années de souffrance n'avaient été qu'une illusion ? Une punition peut-être ? Mais quel genre de bêtise avait-elle pu commettre pour la mériter ?

La petite fille déglutit et prit sa décision. Sa famille lui avait si terriblement manqué ! Elle ne comprenait pas, mais à cet instant, elle s'en moqua : elle voulait que tout restât ainsi, comme avant. Hongmei quitta le couvert du mur et s'avança timidement vers eux. Dès qu'ils l'aperçurent, d'immenses sourires soulagés étirèrent leurs lèvres, même celles de l'inquiétant Wu Zhihaho.

— Vous êtes qui ? s'entendit-elle demander timidement d'une voix haute perchée, plus enfantine que jamais.

Elle s'adressait à Lanyue qui était déjà aussi belle et douce que la lumière de la lune.

Celle-ci posa un genou à terre et abandonna la lanterne sur la neige avant de tendre les bras vers Hongmei. Ce merveilleux sourire plein de tendresse illuminait son visage.

— Que tu es mignonne ! N'aie pas peur. Je suis Lanyue : ta grande sœur.

— Grande sœur ? J'ai une sœur ? répéta la benjamine incrédule tout en s'avançant pas à pas vers ces étrangers bien plus gentils et accueillants que les dames qu'elle côtoyait toutes les nuits.

— Tu en as même deux, intervint la cadette qui imita Lanyue et s'agenouilla à son tour pour lui ouvrir les bras. Je m'appelle Heiling.

Le bébé de quatre ans que Hongmei avait été à cette époque s'arrêta pile à portée des bras tendus vers elle. Ses grands yeux ronds comme des soucoupes allèrent de la merveilleuse Lanyue à la plus discrète Heiling. Elle perçut chez la cadette plus de désir et d'espoir que dans ceux insondables de Lanyue, pourtant elle choisit les bras de l'aînée. Si forts et si doux à la fois.

Quand Lanyue la souleva dans ses bras, Hongmei éclata soudain en gros sanglots :

— Maman ! Tu m'as tellement manqué ! sanglota-t-elle contre l'épaule de son aînée.

Bien sûr, Lanyue n'était pas sa mère, mais dans le cœur de la fillette à cet instant précis, cela avait été tout comme. Cette même nuit, l'infante baptisa Heiling « Tata ». Leng Shidai « Papa » et Wu Zhihaho...

— « Tonton » ? répéta-t-il, interloqué.

Ils continrent leurs rires. Tata Heiling déclara qu'elle lui apprendrait ce qu'ils appelaient « la Voie du Diamant » quand elle serait un peu plus grande et pour qu'elle n'ait pas peur des fantômes. Maman Lanyue lui joua une berceuse à la cithare et lui promit qu'elle ne serait plus jamais seule dans ce pavillon isolé du reste du palais. Elle lui dit qu'elle était une personne de Jing comme les autres.

— Quand maman sera reine et tata vice-reine, tu seras la précieuse petite princesse de Jing, murmura Lanyue qui lissait sa chevelure. Plus personne ne pourra te faire de mal.

— Maman... J'ai cru que tu m'avais abandonnée... avoua tout bas Hongmei qui avait couché sa petite tête sur les genoux de sa sœur et s'endormait doucement. Tu étais devenue méchante avec moi... C'était de la magie, c'était pas vrai, hein ?

Sa sœur ne répondit pas. La fillette rouvrit les paupières et chercha le regard de Lanyue qui fixait quelque chose à côté.

— Zhu Qianbing... chuchota-t-elle, le regard brillant d'admiration.

Ce nom glaça le cœur de l'enfant qui à son tour chercha et aperçut une silhouette au loin. Sa blanche pureté surpassait la neige au point de s'en démarquer. Ses longs cheveux noirs flottant autour de ses épaules étaient un souffle de la nuit. Il bondit dans les airs, s'envola et disparut, ne laissant derrière lui que le fugace éclat de son demi-profil.

L'attention de Hongmei revint à Lanyue avec appréhension. Son instinct lui disait que l'atmosphère venait de brutalement changer. L'air était plus froid et les doigts de son aînée sur son crâne étaient crispés. Elle perçut le crissement frotté de pas dans la neige et jeta un coup d'œil par-dessus son épaule avant de glapir.

Leng Shidai ! Pourquoi avait-il lâché ses cheveux le long de ses épaules ? Pourquoi était-il vêtu de rouge ? Son visage aux traits déformés par la haine et son regard d'une noirceur insondable la firent frémir de terreur.

— Maman ! Attention ! Papa...

Elle tira sur la manche de Lanyue, mais la suite de son avertissement mourut dans sa gorge en un glapissement lorsque sa sœur lui adressa un regard assassin.

— Pourquoi es-tu libre et moi pas ! hurla-t-elle.

Lapaume de son aînée frappa sa poitrine au niveau du cœur qui fut soudain inondéd'une violente douleur.

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant