Rééducation

1 1 0
                                    

Au même moment, dans une salle vide, Zhu Qianbing réapprenait à Lanyue les grands principes de la Voie du Diamant avec une méthode qui, selon elle, était proche de la torture. Assise en position du lotus au centre de la pièce, elle méditait tant bien que mal afin de lutter contre les vagues de froid intense qu'elle subissait de sa part.

Pour y résister, Lanyue savait se noyer dans ses sentiments et ses sensations pour mieux s'en armer. Au froid, elle opposait la rage.

— Oublie la sensation, l'admonesta-t-il. Elle n'est qu'une information inutile : le royaume tout entier est glacial, à quoi bon lutter ?

— Je n'y arrive pas, annonça-t-elle.

— Parce que tu refuses de lâcher prise.

L'immortel, une main derrière le dos, tournait autour d'elle sans la quitter du regard. Elle grinça des dents. Elle lui donnait ce qui était le mieux pour le royaume en renonçant au trône au profit de Hong'er ! Pourquoi avait-il tant lutté contre cette idée ? Pourquoi avait-elle l'intuition que cet entraînement impossible était ses... représailles ? Comptait-il enfin la destituer, oui ou non ? L'achever serait tout aussi satisfaisant ! Au moins ne causerait-elle plus de mal à Hongmei... Tout plutôt que cette torture d'être traitée ainsi par l'homme aimé !

— Pourquoi refuses-tu de renoncer ?

Lanyue serra brièvement les mâchoires. Elle savait qu'il lui demandait de renoncer à son amour pour lui, ce qui lui était impossible ! Qui plus est, être au moins sa fidèle disciple au Mont Zuanshi lui procurerait déjà tant de bonheur !

— Vous ne détruirez pas en une heure ce que Leng Shidai m'a inculqué en quatorze ans, répliqua-t-elle avec calme.

— Certes, nous n'avons pas tout ce temps pour corriger ton éducation et tu ne seras ma compagne au Mont Zuanshi que dans cinq ans. D'ici là, nous n'avons que quelques mois, sinon des semaines, avant la mort de la Reine et ton couronnement comme régente en attendant que Mei soit en âge de prendre ta place.

Compagne ? Avait-il bien dit « compagne » ? Le cœur de la princesse fit un bond de joie dans sa poitrine et elle ferma les paupières pour savourer plus longtemps ce plaisir indescriptible. Enfin, son désir se réalisait ! Bientôt, très bientôt !

Soudain, il leva un bras vers le ciel et l'abaissa d'un geste rapide, les deux doigts pointés vers le sol. La température de cette nouvelle bise mordante prit Lanyue par surprise et elle grelotta de froid.

— Vous comptez me tuer ? l'interrogea-t-elle en claquant des dents.

— Si c'est la mort qui t'effraie, abandonne la peur, car elle est inutile. Tu ne sortiras pas d'ici avant ce soir. Médite sur ton erreur.

Son erreur ? La Voie du Diamant, le palais, tous la forçaient à agir ainsi ! Combien de fois avait-elle répété en vain qu'elle ne voulait pas être reine ?

Il s'apprêtait à quitter la pièce, quand la princesse l'interpella d'une voix détachée :

— Pourquoi êtes-vous si dur avec moi ? N'avions-nous pas un accord ? Hong'er une fois reine et moi votre disciple, plus personne ne pourra lui faire de mal !

Qianbing s'arrêta, lui tournant le dos, et elle le détesta pour cela. Si elle était ce monstre qu'il haïssait, c'était à cause de lui ! À cause de l'amour empoisonné que sa seule vue avait planté dans son cœur ! Tout ce qu'elle voulait, c'était être à ses côtés au Mont Zuanshi en tant que sa disciple à défaut d'être sa femme...

— Tu oses poser la question ? Tu es une criminelle corrompue par la jalousie qui n'hésites pas à torturer les innocents.

— C'est vrai, reconnut-elle avec un rire triste, mais je m'interroge sur vos motivations. Vous êtes si opposé à la couronner alors qu'il s'agit de la meilleure solution... Me traitez-vous comme une criminelle pour le principe ou pour elle ?

— Certes, Xue Lanyue : tu seras ma disciple parce qu'il le faut...

Il se tut un instant. Elle retint son souffle... et se pétrifia lorsqu'il chuchota dans un sifflement, comme s'il le prononçait à son corps défendant entre ses dents serrées :

— Peut-être... finirais-je par t'aimer... Aimer la femme qui appelle affectueusement sa sœur « Hong'er »...

Lanyue entendait le doute dans sa voix. Il se forçait pour une raison quelconque à prononcer cet espoir, mais cette pensée le révulsait. Dépitée, Lanyue ferma les paupières à cette déclaration. Il venait de la poignarder. Le sort en était jeté : bien sûr qu'elle n'inspirait que le dégoût et le mépris au parfait et juste Zhu Qianbing... Jamais il ne l'aimerait. Si seulement elle n'avait pas été la première née... Si seulement...

— Je suis sûre que vous êtes moins inhumain avec elle, lâcha-t-elle platement.

— Bien sûr. Cette enfant que tu as torturée ne pourrait jamais ignorer une température pareille.

Oui, voilà. Voilà pourquoi elle ne saurait qu'être une créature maléfique et malsaine à ses yeux...

Quand il quitta la pièce et qu'elle se retrouva seule, mordue jusqu'à l'âme par un froid tout intérieur, Lanyue éclata d'un rire fou animé d'une joie triste et absurde. Ses rires ricochèrent entre les murs tels des grêlons lapidant son cœur !

— Zhu Qianbing ! Ô ! Zhu Qianbing ! s'esclaffa-t-elle, la tête rejetée en arrière et à travers ses larmes cristallines. Si ce n'est que cela, le monstre peut redevenir une nymphe céleste !

Elle lui ferait changer d'avis à son propos ! Elle n'avait pas le choix. C'était sa seule chance pour qu'il la regarde autrement ! Pour qu'il l'accepte à ses côtés et lui pardonne le mal qu'elle avait causé à Hong'er !

Lanyue se raccrocha avec désespoir à cet espoir fou : ne l'avait-il pas dit ?

Qu'il apprécierait peut-être la femme qui appelait avec affection sa petite sœur « Hong'er » ?

Seulement, pouvait-elle toujours revenir dans le droit chemin ? Redevenir comme avant ? N'était-il pas trop tard pour elle ? Elle l'ignorait.

Mais elle essayerait...

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Where stories live. Discover now