Complice (2/2)

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Elle posa quelques questions à son tour. Et contrairement à ce qu'elle aurait pu croire, le temple n'acceptait pas seulement des orphelins, mais aussi des enfants issus de la noblesse de Jing. Comme elle, ils étaient considérés de trop dans leur famille. Puisqu'ils n'avaient pas d'utilité, on les avait confiés à la Secte, imaginant en tirer plus tard quelques prestige ou influence à la Cour.

Mei s'entendit ricaner à cette information.

— C'est idiot, hein ? renchérit l'une des filles dans cette situation. Quand on sera immortels, on se fichera bien d'eux au palais.

Elle sentit que l'atmosphère venait de changer. Dans le clan des laissés-pour-compte flottait un air de revanche glacial qu'elle connaissait bien pour en entendre souvent les sirènes.

— Je comprends pourquoi maître Zhu t'a choisie, lança soudain l'un des adolescents du clan des orphelins. Y'a qu'une princesse oubliée élue d'An Guang qui soit digne du seul disciple du dieu.

Elle rougit, bien que cette seule phrase suffît à réveiller sa méfiance. Elle plongea son regard noir dans celui de son interlocuteur qui lui adressa un sourire mutin. Il fendit la foule et la salua avec respect.

— Sois la bienvenue dans ton temple, Hongmei « Harpe Céleste ».

— Hein ? s'exclamèrent-ils tous en chœur avec l'intéressée.

— Sijin ! Chut ! le houspilla l'une de ses camarades en lui envoyant son coude dans le bras. Tu veux te faire punir par l'un des maîtres s'il t'entend ?

— Personne n'osera ! affirma-t-il sans quitter son grand sourire mutin qu'étiraient ses lèvres à la moue boudeuse. Vous savez très bien que maître Zhu ne laisse jamais rien au hasard ! Pourquoi il nous aurait dit qu'il l'avait choisie parce qu'elle sait jouer de la cithare interdite, sinon ? Vous n'avez pas vu combien elle avait peur de nous quand il l'a laissée seule ? Je suis sûr qu'elle croyait qu'on allait l'étriper.

Tous les regards se posèrent sur Mei qui dévisageait Sijin, bouche bée. Voilà qu'elle tombait sur un petit Zhu Qianbing. Si elle réfutait, cela équivaudrait à avouer. Elle devait donc détourner le sujet.

— Mais pourquoi tu m'appelles « Harpe Céleste » ?

— Parce que tu possèdes la cithare que personne d'autre ne peut approcher !

Mei se trouva dépassée. Elle ne savait pas quoi répondre ni dans quel but. Cependant, alors qu'elle prévoyait de prendre congé, le dénommé Sijin vint à son secours en pointant de l'index les divers papiers de glace, lamelles et pinceaux enchantés.

— Je peux te l'écrire si tu veux. Tout le monde a un petit surnom ici, mais c'est un secret entre nous. Moi, par exemple, on m'appelle Sijin...

— « Belle gueule », l'interrompit quelqu'un, un des plus âgés.

L'intéressé se tourna vers celui qui venait de parler et fit la moue d'un air réprobateur.

— Vous m'appelez tout le temps « Renard Bleu » !

— Parce que t'arrives toujours à faire craquer les immortelles ! Séducteur comme un renard !

L'un de ses camarades dans le dos de Sijin le saisit par les joues et les tira jusqu'à le forcer à sourire.

— Je suis le plus mignon des orphelins !

Hongmei s'entendit rire et ce bruit la surprit. Elle n'avait plus ri de bon cœur depuis si longtemps ! Elle n'était pas la seule à en être étonnée, car les facéties cessèrent aussitôt et l'attention revint sur elle. Sijin, plus particulièrement, la dévisageait la bouche ouverte. Si bien qu'elle rougit une fois de plus et, embarrassée, passa une main sur ses lèvres.

— C'est le plus joli rire de tout le temple, décréta le garçon.

— C'est pas difficile : personne ne rit ici, fit remarquer l'une des filles avec une certaine aigreur.

Mei reconnut immédiatement la jalousie qui couvait dans cette voix. Elle dévisagea Sijin qui ne la quittait pas des yeux. À vrai dire, il ne volait pas son surnom ni sa réputation. Il était de loin le garçon le plus beau qu'elle avait jamais vu, même si elle n'en avait pas rencontré beaucoup. Sa bouche aux coins relevés lui donnait une irrésistible mimique espiègle.

Mais la petite fille alertée par les premières notes de la jalousie en revint à ses vieux réflexes : elle se leva pour vider les lieux de sa présence avant que l'animosité naissante ne s'envenime.

— Je vais vous laisser travailler, prétexta-t-elle en tâchant d'afficher le plus d'assurance possible.

Première règle : ne jamais trembler lorsque l'on s'apprête à tourner le dos à son prédateur.

Elle fut soulagée de constater que filles comme garçons se déplacèrent afin de lui ouvrir la voie, mais elle n'oublia pas de vérifier où elle mettait les pieds. Lorsqu'elle parvint à la porte d'un pas ni trop pressé ni trop lent, elle entendit Sijin l'appeler :

— Hey ! Attends un peu, Harpe Céleste !

Mince, zut et flûte. Elle réfléchit rapidement. S'il avait de la sympathie pour elle, il l'aiderait peut-être à s'enfuir. De toute façon, elle ne pouvait plus rester ici. Hongmei laissa Sijin la rattraper dans le couloir et n'entama les négociations que lorsqu'il fut à sa hauteur. Elle choisit ses mots au mieux.

— Dis, Renard Bleu, est-ce que tu pourrais m'aider à m'enfuir ?

Il en écarquilla ses yeux en amande.

— Mais pourquoi tu veux partir ?

Elle eut envie de lui répondre que, si elle restait, ses admiratrices et admirateurs l'écorcheraient vive pendant des siècles, mais elle devait lui présenter le pire :

— Parce que je suis morte sinon.

Mei porta la main au niveau de son cœur. Un geste d'appréhension qu'elle n'avait plus eu depuis sa fuite du palais. Sur son visage, elle laissa voir à Sijin toute l'angoisse et la douleur qu'elle ressentait à l'idée d'y retourner.

Interloqué, le garçon arqua l'un de ses sourcils aigus et, baissant d'un ton, il saisit la main de Mei pour l'inciter à le suivre, prétextant qu'il connaissait un endroit où ils pourraient parler loin des oreilles indiscrètes. Malheureusement, Mei n'avait plus beaucoup de temps. Elle pouvait s'enfuir tant que Zhu Qianbing était absent. Elle s'en voulut d'avoir oublié son objectif pour quelques sourires éphémères. Des sourires qu'elle désirait tant, malgré tout...

— Faut que tu m'aides à partir maintenant ! murmura-t-elle d'un ton pressant.

Elle attendit, le cœur au bord des lèvres, qu'il prenne sa décision. Si elle ne se trompait pas, même s'il ne savait pas voler sur l'épée, il réussirait tout de même à la faire sortir d'ici. Elle avait cru comprendre qu'avec ses airs irrésistibles, il avait de la ressource.

— D'accord, viens !

Le soulagement de Mei fut tel qu'elle lui adressa un sourire tremblant d'une reconnaissance sincère. Sijin parut touché par sa détresse et, sans lâcher la main de sa cadette, il se pencha pour embrasser son front. Cette marque inattendue d'affection réussit à rassurer la princesse en fuite. Ça aussi, ça lui manquait tant...

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Where stories live. Discover now