Aiguilles de douleur

9 2 0
                                    

À l'heure de se lever, il se rendit auprès de Mei comme si sa vision aussi illusoire que dérangeante pendant sa méditation n'avait jamais existé, et il répéta le même ordre qu'hier. Presque aussitôt, la jeune femme bien plus confiante après avoir pleuré tout son saoul dans les bras de son mentor se redressa mécaniquement en se frottant les yeux. Appliqué à ne pas reproduire la même erreur, il précisa cette fois son instruction :

— Tu as quinze minutes pour te préparer, petit-déjeuner inclus, puis tu me rejoins dans la cour.

Mais s'il feignait l'indifférence, Qianbing était troublé. Il avait même peur pour la première fois depuis longtemps. Au réveil, il avait découvert dans son chaudron d'énergie vitale la présence de l'arc qu'il avait vu, mais qu'il ne pouvait manier. Cet objet, lui aussi, était destiné à Hongmei...

Cette voix répétant inlassablement les mêmes mots... Cet arc... Ce mirage effroyable... Avait-ce été... An Guang ?

Pourquoi ? Pourquoi le dieu silencieux s'adressait-Il à lui ? Et que voulait-Il lui dire ? Allait-il vraiment faire ça à Hongmei ? Était-ce une prédiction ? Un avertissement ?

Il réprima un frisson, et, décidé, il partit mettre au point le piège avec Leng Shidai pour revenir le moment venu. Hongmei lui souriait timidement. Son cœur se glaça au souvenir de son visage lacéré au point de n'être qu'un tas informe de chair sanglante et boursouflée.

— Sijin et moi, on est prêts, maître Bing, énonça-t-elle l'évidence.

— Suis-moi. Nous avons une entrevue avec la princesse héritière.

— Pourquoi ? s'affola-t-elle aussitôt d'une voix aiguë.

— Tu as besoin de constater en quoi un enseignement altéré par les émotions affecte le potentiel magique et l'énergie vitale d'un pratiquant de la Voie.

Bon gré mal gré, elle suivit donc son mentor jusqu'à l'immense jardin des quartiers de Lanyue. Cette dernière s'entraînait à la magie sous le regard attentif de Shidai.

Qianbing s'arrêta sans un bruit sur la première pleine lune sculptée du jardin.

Dans son dos, Mei sursauta à un geste brusque de sa sœur en pleine incantation. Ce fut le crissement de ses pieds sur la neige qui trahit leur présence.

Lanyue cessa son exercice et lorsque son regard se porta sur Qianbing, un fin sourire aussi léger qu'un flocon de neige étira ses lèvres en cœur.

— Bienvenue, immortel Zhu Qianbing, l'accueillit-elle. Et vous aussi, Dame Auguste.

Sans un regard pour lui, elle quitta la compagnie de son maître et rejoignit Qianbing.

— Je suis prête à apprendre de vous.

— Commencez, ordonna froidement Qianbing lorsque son condisciple fut à ses côtés.

Celui-ci considéra Hongmei debout près de son mentor.

— Que nous vaut la présence de la Dame Auguste ? feignit-il d'ignorer.

— Elle doit prendre la mesure de l'exemple qu'est sa future Reine, répliqua-t-il sans quitter Lanyue du regard.

Comme prévu par Shidai, cette dernière interpréta positivement cette remarque de sa part : ses yeux eurent un éclat manifeste de plaisir.

D'un geste ferme, quoique doux, il incita sa petite Mei à se placer devant lui. Sa grande main froide reposait sur l'épaule délicate de la jeune beauté en un geste qui se voulait affectueux, sinon intime. De son autre main, il indiqua la plus grande lune de glace au centre du jardin à la princesse héritière qui fronçait à présent les sourcils.

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Where stories live. Discover now