Leng Shidai

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L'homme de l'autre côté de la statue contint un nouveau soupir. Il baissa la tête, les yeux fermés à s'en fendre les paupières. Les notes que l'enfant avait tirées de la cithare résonnaient encore à ses oreilles. C'était donc vrai... Il frémit comme si une dague de glace venait de le poignarder en plein cœur et serra les poings sous les longues manches de sa tunique.

Au fond de lui, il avait espéré avoir mal calculé les augures. Alors Mei ne se serait jamais trouvée ici et il aurait eu une chance de restaurer sa confiance et son innocence. Hélas, s'il y avait bien un unique domaine où même Zhu Qianbing ne le surpassait pas, c'était bien l'art de la divination. Son condisciple vivait dans le présent où il excellait. D'après lui, celui qui est efficace au moment où il doit l'être n'a pas l'utilité de connaître le futur.

Là résidait l'erreur de Zhu Qianbing.

Il lui montrerait. Il leur montrerait à tous, car tout se déroulait comme prévu. Il devait être fort et se préparer à ce qui l'attendait.

Toutefois, malgré cette résolution, il regretta une fois de plus d'avoir à enseigner à quelqu'un d'autre. S'il avait pu être le maître de la petite fleur, tout aurait été pour le mieux. Être le maître de l'élève qu'acceptait la cithare divine... Il n'aurait plus été si médiocre... Zhu Qianbing aurait été celui de la princesse héritière qui en aurait été comblée. Si seulement tout avait été différent. Il ne l'aurait jamais rencontrée. Il ne souffrirait pas tant...

L'immortel fronça les sourcils au sifflement cinglant de la baguette de glace qui hantait ses souvenirs. Il n'avait qu'observé, immobile, en silence, torturé par le savoir que l'enfant comptait sur lui, lui faisait confiance.

« Qu'est l'amour ? » s'était-il demandé cette nuit-là. « Une malédiction » était sa réponse. Une malédiction qu'il comptait faire payer à l'objet de son affection comme à son rival pour mieux s'en libérer.

Hongmei avait eu la folie de placer ses espoirs en un être pris au piège du pire des sortilèges... Elle avait tous les droits d'être en colère et de lui en vouloir après ce qu'il s'était produit. À présent, il était un monstre à ses yeux. Elle n'avait pas tort. N'était-il pas corrompu, après tout ?

Peu importe, se dit-il. C'était le moment ou jamais de le lui dire, pour hier et pour demain.

— Je suis désolé, petite fleur, souffla-t-il de sa voix flûtée.

Il était sincère, même si ces piètres mots ne rachèteraient pas sa lâcheté.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, un cri silencieux vibra dans sa gorge au regard glacial de son rival accompagné de leur Grand Maître ; un vieil homme aux cheveux et à la longue barbe aussi blancs que la neige.

— « Désolé » ? répéta Zhu Qianbing de son murmure grave, dardant sur lui ses grands yeux insondables.

— Je... bredouilla-t-il avant de s'interrompre, confus comme toujours en présence du jeune prodige de la secte.

Il se retint de justesse de détourner le regard et s'attacha à afficher une expression neutre. Aussi, du coin de l'œil, il remarqua que la petite fille avait quitté l'abri de la statue pour se diriger vers la sortie à pas feutrés.

— Petite Mei, l'interpella Qianbing.

Elle se figea, tout comme l'immortel rongé par la jalousie.

Il lui était désagréable d'assister en personne à l'accomplissement de ses prophéties ! Seules la souffrance et la déchéance de son rival lui procureraient du plaisir ; ce n'était pas le prestige qu'il gagnait encore à être le maître de celle à qui était destinée la cithare divine !

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant