2. La fête du cinq mai

1.1K 168 40
                                    

2.




Junha entra dans l'atelier avec une hâte durement dissimulée. Assis à son bureau, épingle aux doigts et breloques sur la table, Seungmin tourna la tête et cligna plusieurs fois des paupières.

Tout sourire, l'assistante d'Eunha quémanda l'attention du jeune héritier de la chapellerie.

—      Seungmin, comptez-vous nous rejoindre pour la fête de mai ? Nous pourrions assister au défilé et fermer plus tôt.

Même si ça ne l'enchantait pas vraiment, Seungmin se surprit à considérer la proposition. Son couvre-chef inachevé sous la pulpe des phalanges, il soupira. Il arrivait des choses intéressantes dans la vie de tous les jours, aux autres, pas à lui.

Lui, il était comme le narrateur du quotidien. Il voyait tout, mais ne participait pas.

—      Je voudrais terminer mon travail, peut-être vous rejoindrai-je à la fin de la journée.

Madame Junha fit une petite moue, gardant pourtant quelque chose de très formel dans sa posture. Elle était douce, amicale, mais n'oubliait pas les affaires. La fête du cinq mai était une exception, c'était à cette occasion que la population marchait dans les rues vêtue de ses plus beaux vêtements.

Elle se tourna, mais garda une main posée sur le cadre de la porte.

—      Ne vous tuez pas au travail, mon garçon. Vous êtes encore bien trop jeune pour vous faire aigrir par les responsabilités.

Mais des responsabilités, Seungmin en avait depuis tout petit.

Et si dehors, Ingary brillait sous les festivités d'un jour de printemps, soit.

La locomotive fit son raffut en passant devant la chapellerie. Seungmin fixa la vitre qui se vit tout à coup noire de gris. La fumée camoufla sa vue sur le paysage, pendant quelques instants, le bruit fut hérissant et sa vision bien fade.

Décidément, il s'ennuyait.

Demoiselles et damoiseaux s'apprêtaient à partir, quand la fumée se dissipa. Et les collines des Landes se dressèrent sous leur visage. Seungmin n'eut pas vraiment le temps de dire un mot, et son regard s'ouvrit à peine quand dans la salle principale de la boutique, l'amie de Junha s'exclama :

—      Le château de Hyunjin !

Encore.

Encore une fois, les jambes de fer se dessinèrent dans le lointain. Quelle jeune fille Hyunjin avait encore ensorcelée dans Marché-aux-Copeaux ? Ce mage aussi, devait avoir une vie bien trépidante pour se retrouver en une journée aux quatre coins du pays. Cette petite ville semblait être sa préférée, pour qu'il vienne aussi souvent y flirter.

Une cliente se mêla au début d'effervescence, Seungmin tendit l'oreille quand un nom bien particulier se fit entendre.

—      Il y a une rumeur qui court, comme quoi Chaeli, l'employée de chez Cesari se serait fait arracher le cœur !

Seungmin fronça les sourcils. Il avait rendu visite à Chaeli il y a trois jours, son cœur semblait être bien à sa place, enfin, métaphysiquement parlant.

—      C'est terrifiant ! scanda une autre dame.

—      Madame, vous ne risquez rien, vous.

Ils gloussèrent de son embarras, et peu après, la porte claqua. Le château ambulant disparut derrière les nuages.

Ce ne fut qu'une heure plus tard que Seungmin se leva, le visage plus grave. Il entendait la cohue de dehors, et les soldats qui venaient de Magnecourt, la capitale. Il pensa à ce qui avait été dit un peu plus tôt. Il n'avait pas fini, mais ne parvenait plus à se concentrer.

"Le Château ambulant" 🔚 Seungjin Where stories live. Discover now