18. Entre paix et utopie

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18.





Dans les villes et les rues marchandes, le bruit courait que la guerre prenait de l'ampleur. De Magnecourt à Porthaven, les machines volantes guettaient la populace du dessous, comme du bétail, un tas de viande prêt à être flambé sur place. C'était un enclos inconscient, personne ne voyait vraiment leur patrie comme quelque chose qui voulait les garder dans ses filets, les habitants d'Ingary avaient une foi aveugle en leur souverain, alors que derrière ses grands murs, lui-même ne savait plus où donner de la tête.

Le soir, le ciel brillait en rouge, dans le lointain, personne ne parlait des villages qui prenaient feu, ou des forêts meurtries. Chacun avait dans sa besace ses propres soucis, regarder dans l'horizon pour voir ce qui s'écroulait ne leur donnerait aucun pouvoir, juste de l'horreur à prendre dans leur cœur.

La guerre dévorait le monde.

Depuis la fenêtre du château ambulant, Seungmin regardait les pieds de fer parcourir les collines. Avec les jours, il arrivait à reconnaitre certains paysages. Ingary n'était pas une infinité de terres, et les landes elles-mêmes n'en composaient qu'un morceau. Alors parfois, il remarquait qu'ils étaient passés au même endroit, reconnaissait au loin la fumée de certaines cheminées, des torches vives dans les ruelles grises, ou entendait même le bruit de la locomotive, celle qui passait souvent devant les murs de la chapellerie.

Marché-aux-Copeaux lui manquait de plus en plus. Et ça, Hyunjin aussi le remarquait.

— Ça va ?

Seungmin sentit les bras qui entourèrent sa taille, le menton qui se posa sur son épaule pour suivre la ligne continue de son regard. En prononçant cette phrase, le torse de Hyunjin vint se presser contre son dos.

— Tu penses qu'ils me croient mort ? fit-il alors. Mes proches.

Le chapelier s'était posé ces questions, d'abord avec une peur réelle que ce soit la vérité. Ses sœurs et sa mère devaient s'être fait un sang d'encre pendant des jours. Puis les jours sont devenus des semaines, la guerre prenait vie dans de plus en plus de contrées et plus personne n'avait la tête à pleurer les morts, il fallait prendre sur soi et tenir tête pour préserver ce qui restait, ce qui valait encore la peine qu'on se batte.

Il n'avait pas eu d'écho comme quoi Marché-aux-Copeaux avait subi une quelconque attaque. Au moins, ça le rassurait.

Je pense qu'il n'y aura pas plus heureux au monde quand ils te verront rentrer à la maison, lui répondit Hyunjin en un murmure.

L'herbe scintillait encore près des ruisseaux, en-dessous, le terrain fut bientôt parcouru de bleu. Seungmin méditait sur la phrase de Hyunjin, comme si elle n'avait été qu'un chuchotis du vent. Rentrer à la maison.

— La maison ?

Hyunjin fourra son visage dans son cou et y déposa un baiser. Voilà aussi ce qui s'annonçait compliqué, eux. C'était compliqué depuis le début, et à cet instant, alors qu'ils avaient à demi-mots fait le point sur ce quelque chose qui les liaient, ces sentiments bancals mais bien présents, ils en profitaient peut-être égoïstement, fermant les yeux sur le reste.

Quand Seungmin rentrerait à la maison, il n'aurait pas juste à annoncer à sa famille entière que la sorcière des landes avait fait de lui son bouc-émissaire. Cette dernière avait trouvé en Seungmin un moyen d'atteindre Hyunjin, elle avait peut-être dès le début eu un soupçon concernant leur rencontre. Peut-être avait-elle vu ce qu'eux-mêmes s'étaient entêtés à ignorer, cette étincelle. Être l'un des mages les plus puissants du royaume n'apportait pas que grâce et idolâtrie ; parfois, le ressenti était plus sombre et certains voulaient lui nuire. Cette histoire aurait déjà été délicate à mettre en mots, surtout que Seungmin ne pensait pas vraiment en être débarrassé, de ce maléfice. Il marchait à l'aveuglette dans un avenir qu'il avait toujours su bancal, et là, à bord d'une maison qui boitillait sans point fixe, c'était parfaitement illustré.

"Le Château ambulant" 🔚 Seungjin Où les histoires vivent. Découvrez maintenant