Une fois encore...

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La musique endiablée s'estompait doucement.

Tout étourdi, Alain reprit son souffle, et jeta un regard par-dessus son épaule.

Derrière lui, se dressait une imposante bâtisse, tout illuminée, traversée de rires. Par une grande fenêtre, aux battants ouverts, on discernait le tourbillon des danseurs, les belles robes, et les canes inutiles de quelques galants.

Malgré lui, Alain ne put s'empêcher de sourire. Quelle surprise aurait la marquise, en rentrant dans sa chambre, toute souriante, et en trouvant le petit écrin vide !... Oh, cela ne lui ferait pas beaucoup de mal, et Roger lui avait affirmé qu'il ne s'agissait pas d'un bijou de famille. Cela rendait le vol moins grave - à ses yeux, du moins. Dans quelques instants, il trouverait Vénus, prendrait le chemin de retour. Une demi-heure après, il atteindrait la clairière où l'attendait Pierre. Puis, ce serait le cachot, et peut-être la punition promise par Roger... mais que faire ? S'il ne revenait pas à l'heure dite, Bernard Dumas serait tué.

Le jeune homme s'arrêta, consumé de rage : être ainsi manipulé le révoltait. Et puis, il y avait cette fête, toute proche, où des gens s'amusaient... tandis que lui... lui, il allait revenir se mettre sous la botte de Roger ! Et il n'avait pas d'échappatoire ! À la moindre alerte, s'il avertissait quelqu'un et qu'une attaque était lancée contre la ferme, Dumas serait assassiné.

Soudain, le garçon jeta un regard vers la grande horloge de l'église.
23h... Pierre l'attendait pour minuit, et il lui restait une bonne demi-heure. Le cirque, sur la grande place, dressait son immense chapiteau.

Et là, tout proche... son père... Alain Lagarde...

Le voleur tapota ce petit sac qui pesait dans sa poche. La maille du collier devait être en or massif, pour avoir un tel poids ! Tant pis. Les risques de rencontrer un gendarme ou un inspecteur étaient presque nuls. Cris Hermann, s'il était là, devait l'attendre près de la roulotte de Callista ou de la sienne, et non près de celle de son patron... Une nouvelle pensée l'arrêta : et si Roger le faisait surveiller ? Non... il devait avoir confiance dans son chantage.

Le garçon ramena son chapeau sur son visage ; personne ne devait le reconnaître... son absence avait dû éperonner les curieux, et mettre à mal la réputation du cirque.

Il longea une caravane, se plaqua au sol. Les bottes d'un homme passèrent près de lui. Alain suivit l'ombre des yeux. Un point rouge lui apprit qu'un fumeur se tenait là, adossé contre un arbre. Les murmures d'une conversation nocturne lui parvinrent. Doucement, il rampa jusqu'au véhicule voisin.

Les portes des caravanes étaient toujours ouvertes ; on ne craignait ni les voleurs ni les indiscrets. Ainsi, Alain n'eut qu'à pousser le battant pour entrer. Le directeur, allongé dans son lit, s'assit vivement.

Alain releva les rideaux qui voilaient la pièce, laissant entrer la lumière étouffée de la lune, et chuchota :
« Patron ? C'est moi, Alain. »

L'homme se leva, furieux :
« Mais où étiez-vous donc passé ? Pourquoi revenez-vous en pleine nuit ? Le public a été extrêmement déçu de ne pas vous voir sur la piste... vraiment, je... »

Alain l'arrêta d'un geste. Le temps pressait ; il fallait y aller, carrément.
« Vous connaissez Aubigny, n'est-ce pas ?
- Qu'est-ce que...
- Vous vous souvenez de Roger ? De Bernard Brabant ? »

Le visage du directeur prit une teinte cadavérique.
« Vous... vous êtes un de ses hommes ?
- Laissez-moi vous expliquer. »

L'homme, soudain, reprit toutes ses couleurs.
« Vous avez trahi Bernard, et vous me trahissez, c'est cela ? J'avais pourtant prévenu Bernard de votre visite ! »

D'un geste brusque, Lagarde s'empara d'un chandelier.

Le socle de bronze du candélabre heurta violemment la nuque d'Alain, qui s'affaissa, privé de conscience. Le silence retomba, seulement troublé par l'impitoyable cadencement des aiguilles d'une montre.

Toujours perdant !Where stories live. Discover now