Résurgence

3 0 0
                                    

« Monsieur Dussart, pourquoi avez-vous choisi cette carrière ? Où avez-vous appris la voltige ? »

Alain sourit ; un autre individu lui toucha l'épaule.
« Pourrais-je savoir pourquoi vous avez choisi spécialement le Cirque des étoiles ?
- Mais parce que mon meilleur cheval portait le nom d'une étoile, répliqua Alain.
- Pourquoi vous a-t-on donné le surnom de Castillon ? »

Un troisième journaliste s'avança, d'un air confidentiel.
« D'où vous est venue cette idée de surprendre le public, en descendant du ciel, sans prévenir ? »

Le jeune homme se leva, toujours souriant.
« Que de questions, chers amis ! Pourquoi ceci, pourquoi cela ? La réputation des journalistes n'est donc pas surfaite ?
- Vous aimez les belles paroles, remarqua un homme. On vous prétend taciturne, et je vous vois loquace. Décidément, les réputations peuvent être surfaites...
- Je préfère user de paroles, mais atteindre mon but, répliqua Alain.
- Et quel est-il ?
- Mais vous convaincre que le Cirque des étoiles est le meilleur cirque qui soit, bien évidemment ! »

Cette répartie dérida les journalistes, qui rirent de bon cœur. Ils avaient insisté pour avoir une entrevue avec lui. Longtemps, Alain avait refusé : dévoiler sa vie lui répugnait. Mais la récente modification de son spectacle, notamment l'entrée en scène, avait propulsé son nom dans le monde de la voltige. Impossible de faire marche arrière. Sous les instances du patron, il avait fini par accepter.  Le Alain Dussart, taciturne et peu locace, avait alors disparu pour faire place à un homme accompli, expansif, très à l'aise avec les mots. Le garçon avait muté d'un contraire à l'autre. Difficile, là encore, d'atteindre un juste milieu. C'est connu : un timide qui rompt avec sa timidité ne connaît pas ses limites... Mais après tout, ça faisait partie de sa couverture.

Depuis vingt minutes, cinq ou six reporters déversaient un flot de questions.

« Je travaille pour le journal Au Grand Jour, reprit l'un d'eux. Vous devenez célèbre, Monsieur Dussart, et j'aimerais beaucoup faire une photo de vous, avec un visage découvert. Partout, on ne voit que le masque d'un clown !
- Mais cela crée une atmosphère mystérieuse, qui est très commerciale, remarqua Alain.
- Pourquoi donc refusez-vous de montrer votre visage au public ?
- Je viens de vous le dire : c'est principalement pour une raison commerciale. »

Un journaliste qui s'était tenu à l'écart prit la parole :
« Excusez-moi si je suis indiscret, mais est-ce à cause de cette cicatrice ?
- En partie, je l'avoue. Une marque de la sorte pourrait effrayer les gens !
- Ou donner un certain piquant au personnage qui la porte... je trouve que cette cicatrice peut être aussi commerciale que le... le mystère qui entoure votre visage. »

Alain frémit ; de telles remarques commençaient à être embarrassantes... Il scruta l'homme. D'une stature sportive, celui-ci portait un haut-de-forme élégant, qui renforçait l'expression pétillante de ses yeux bleus. Et soudain, de but en blanc, avec un sourire :
« Auriez-vous peur d'être reconnu ? »

Alain frissonna, voulut échapper aux yeux clairs qui le scrutaient. Il humecta ses lèvres sèches, et répliqua, avec un grand calme.
« Avouez que tout le monde peut avoir des ennemis. Mais non, ce n'est pas cela qui m'inquiète ! Je reconnais que je n'ai pas pensé à cette interprétation. Il faudrait que j'en parle à mon patron...
- Pour sûr. »

L'homme lui tendit un crayon et un papier blanc.
« Voudriez-vous me signer cet autographe ?
- Mais avec plaisir ! »

Alain, soulagé d'avoir éludé la question, prit le stylo et étala sa signature. De nouveau, il rencontra le regard inquisiteur. Tel un orage qui revient, il revit les « sorties » qu'il avait faites avec Roger. Hélas, il n'ignorait pas que la loi le recherchait, ainsi que son pire ennemi le faisait ! L'un comme l'autre pouvait le retrouver, et le constituer prisonnier.

Tant pis si cela arrivait ! Mais, avant, il devait retrouver son père. Oh, comme la vie paisible qu'il avait menée, jusqu'à ses treize ans, était loin ! Neuf années de misères l'avaient plongé dans une promesse qu'il ne pouvait oublier.

Lentement, Alain pensa :
« Bernard Dumas... »

Et, dans ces mots, s'assemblaient tant de menaces, tant de douleurs contenues, que lui-même plaignit ce Dumas, pour le moment où ils se trouveraient face à face.

Toujours perdant !Where stories live. Discover now