En plein rêve

2 0 0
                                    

« Bonjour, Alain.

Je me permets de vous appeler ainsi, puisque vous êtes mon fils.

La manière dont s'est terminée notre dernière entrevue me peine beaucoup, car j'aurais voulu vous dire bien des choses. Je pense qu'il en est encore temps, et c'est pourquoi je vous demande de répondre à cette missive. Je sais combien elle doit vous être douloureuse, mais j'y tiens.

Le Cirque des étoiles s'installera jeudi à Saint-Philbert-en-Mauge. Aubigny n'est éloigné que de quinze kilomètres. Je laisse à votre discrétion le choix de vous rendre ou non là-bas, dimanche soir, au pré des Braillards, que vous connaissez comme moi.

Je ne vous cache pas que je vous y attendrais impatiemment, car j'ai beaucoup de choses à vous dire.

Voilà la fin de cette lettre, et je ne sais comment la terminer. Je pense que, pour le moment, une formule d'amitié serait mal venue. Ainsi, je ne préfère signer qu'avec mon prénom :
Bernard »

Lentement, Alain détacha son regard de la signature. Ses mains tremblaient, et il dut poser la feuille pour ne pas la laisser tomber. Voilà que son père revenait... ce père qu'il voulait oublier. Pourquoi le relançait-il ? Quelles choses cet homme voulait-il lui dire ?

Aubigny... ce soir même... le pré des Braillards, situé entre Aubigny et la ferme de Roger. Curieux nom ! On racontait, qu'à la Révolution, une cinquantaine de Vendéens y avaient été massacrés par les troupes infernales, et que leurs cris s'étaient fait entendre jusqu'à Saint-Philbert-en-Mauge... Un nom qui ne présageait rien d'heureux !
Qu'importe. Il ira. Comment ne pas répondre à une telle demande ? Bernard Dumas cherchait peut-être à se racheter ; il ne pouvait faire la sourde oreille.

Ramené à de douloureux souvenirs, Alain s'enfonça dans les courtes ruelles, si peu nombreuses qu'on ne pouvait s'y perdre. Du reste, il connaissait la ville, pour y avoir accompagné sa mère, certains jours de foire. Cette rue... avec des portes renfoncées, et ce rosier grimpant... cette grosse dalle, toute déchaussée... en voilà une qui avait la vie dure !

Brusquement, son regard heurta un pied. Comme il relevait les yeux, surpris, il aperçut une silhouette qui disparaissait. Cette allure furtive éveilla son attention, et il gagna rapidement le coin de la rue. Un homme assez jeune s'éloignait de lui.Alain haussa les épaules et le laissa partir. Quelques secondes. Un cri lui arracha un sursaut. Cela venait d'une rue secondaire, obscure et profonde. Il s'y jeta.

« Callista ! »

La jeune fille courait vers lui, échappant à d'invisibles agresseurs. Il lui lança :
« Allez chercher de l'aide, et fuyez : je m'en occupe ! »

Elle hocha la tête, trop essoufflée pour parler. Sa silhouette gracile disparut, au moment où trois hommes apparaissaient. En apercevant Alain, ils s'arrêtèrent net. L'un d'eux murmura :
« Oh, oh ! »

Un mince sourire aux lèvres, Alain s'avança froidement, malgré une certaine nervosité... il avait malheureusement laissé son 6.35 à Nickel, sur la demande du patron, et son arme personnelle n'était pas encore disponible.
« Pas de chance, les gars ! Je connais cette jeune fille.
- Une gitane.
- Et alors ? Je l'apprécie bien. C'est pas de chance non plus, pas vrai ?
- Une voleuse.
- Une musicienne hors-pair, que vos oreilles ne méritent même pas d'écouter.
- T'es un de ses amis ?
- Allez le lui demander... »

Les deux compères échangèrent un regard.
« Je serais vous, je filerais, déclara Alain, qui n'avait guère envie d'un combat déloyal. Elle est partie chercher du renfort.
- Cette fois, c'est toi qui n'as pas de chance, répliqua le plus âgé : cette rue est un cul-de-sac.
- On a qu'un seul chemin à prendre » ajouta un des deux autres, d'un ton doucereux.

Toujours perdant !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant